J'aimerais tellement revenir en arrière, remonter dans le temps, retourner en enfance.

Toute ma vie, j'ai voulu grandir, mais pour quoi ?

Grandir, c'est le plus grand des mensonges qu'on nous dit lorsqu'on est enfant. On en fait une quête au lieu de profiter de notre innocence. On passe nos belles années à courir après un mensonge. Si j'avais su...

Si j'avais su, Maman, je t'aurais crié dessus moins souvent, j'aurais profité de ta présence. Moi qui te demandais de me laisser tranquille, de me laisser seule, c'est finalement quand je le suis définitivement que je voudrais que tu sois là, avec moi.

Je n'arrive toujours pas à m'y faire. On me dit, c'est le cycle de la vie, c'est normal d'être triste, ça va passer, un jour ce sera derrière toi.

Mais non. Plus jamais je n'échangerai un regard avec toi quand Papa parle trop à table, plus jamais nous ne nous disputerons, plus jamais je ne dirai Maman,plus jamais ...

Ma vie est remplie de Plus jamais.

Elle est aussi remplie d'erreurs de ratés.

Finalement, je n'ai même pas 50 ans, mais j'ai tout gâché.

Ma vie, celle des autres aussi.

Si tu savais, Maman, combien de fois je me suis dis que vous seriez mieux sans moi, que vous n'aviez pas mérité une fille comme moi...

Si tu savais, Maman, combien de fois je me suis reprochée d'être née.

Pourquoi suis-je en vie, moi, alors que d'autres meurent ?

Pourquoi ?

Pourquoi suis-je donc obligée de supporter tout le mal que je fais aux autres ?

Pourquoi suis-je donc obligée de leur faire du mal ?

À eux, à tous ceux que j'aime.

Maman, cela ne fait pourtant que peu de temps que tu es partie, peu de temps à l'échelle de ma vie, rien qu'un dixième, et pourtant...

Cela ne fait donc que 5 ans que j'ai tout quitté.

Avec ta mort, Maman, j'ai aussi perdu toutes les illusions que je me faisais sur le monde. Mes rêves ont été piétinés par la réalité.

L'Amour, avec un grand A, celui que je recherchais tant enfant, celui que j'avais tant rencontré dans les livres, j'ai fini par croire qu'il n'existait que dans les livres.

Je ne l'ai rencontré qu'une fois, avec toi, mon Louis adoré. Finalement, ce n'est pas auprès d'un homme que je l'ai vu, mais auprès d'un petit garçon. Celui que je gardais. Celui que j'ai dû quitté après ta mort parce que je ne voulais pas qu'il me voit sombrer.

Jamais je n'aurais cru aimé quelqu'un ainsi. Je l'ai aimé comme je t'ai aimée, Maman. Je l'ai aimé d'un amour inconditionnel, d'un amour réciproque. Comme je t'ai aimé, mon Louis, toi, le fils de mon amie d'enfance.

Elle, elle a tout eu. Le mari, l'amour, les enfants, la carrière, les amis. C'était difficile de ne pas lui en vouloir, de ne pas être malade de jalousie en voyant son bonheur. Comme je l'enviait.

Je l'envie toujours.

Tu sais, Maman, parfois, je souffrais tellement d'être seule que cela me rendait malade. Même maintenant encore, même si j'ai perdu tous mes rêves, ça me fait mal.

Je crois que mes pensées commencent à ne plus être très claires, à ne plus être très nettes. Tout s'embrouille, tout se mélange.

Peut-être est-ce l'effet de tous ces médicaments ?

J'espère que j'en ai pris assez. Que je ne devrais pas recommencer.

Après tout, j'ai déjà raté ma vie.

Je ne vais pas en plus rater ma mort.