le train ne s'est plus arrêté pendant un moment et j'ai senti l'air devenir lourd comme si nous approchions d'une plage.
le colosse a entamé une discussion avec moi. il a dit : "dites, pourquoi vous êtes là, vous ?". comme je ne savais pas, j'ai répondu : "je ne sais pas". il m'a dit « d'accord ». je me sentais un peu seul, alors j'ai demandé : "et vous ?". il a longtemps regardé ses grands pieds et m'a finalement répondu : "j'étais au front il n'y a pas longtemps". j'ai compris que c'était un militaire et que j'avais bavé sur son uniforme. j'ai pensé à le remercier pour son travail mais peut-être que c'était déplacé. je n'ai rien dit. il a continué : "j'ai reçu des éclats d'obus dans la jambe". je me suis souvenu qu'il boitait et j'ai un peu mieux compris. il a désigné le vide en face de nous avec sa grande main : "ma femme et mes enfants m'attendent à la maison", il a marqué une pause, "je dois me faire opérer dans une semaine, les médecins sont tous très occupés". j'ai hoché la tête en lui disant que « c'était dur ». il a répété « oui, oui, c'est dur » pendant un moment.

personne ne parlait plus, j'ai trouvé ça gênant alors j'ai dit : "vous connaissez quelqu'un ici ?", il m'a dit que non et sans qu'il ne me le demande en retour j'ai dit : "moi non plus, je crois".
le conducteur a reprit le micro et a parlé de la mer devant laquelle nous passions. "comme en septembre avec maman...", le colosse a dit "pardon ?", j'ai dit "non, rien".
j'ai pensé à cette journée de septembre où j'étais allé me baigner à la plage avec maman et mathilde. il faisait froid et la brume était lourde mais j'avais insisté pour y aller. on s'est baigné et mathilde n'est jamais rentrée. maman a beaucoup pleuré, elle a dit que c'était de ma faute et que j'avais tué ma petite sœur. j'ai été triste, maman ne m'a plus jamais fait de pancakes.

j'ai dit tout haut pour combler le vide :