On ouvre le livre avant de s'être posé, mais une pareille lecture se fait aisément debout et même sur ces tapis couverts de pics que l'on appelle ironiquement « tapis à fleurs ». Car on ne vit alors que pour le livre, dans le livre. Et l'on est condamné à y rester jusqu'à ce qu'une circonstance extérieure nous en tire, toujours avec brusquerie. Le retour ne se fait cependant jamais complètement avant quelques heures, quelques jours. Nous ne savons alors songer qu'à ces pages, qui ouvrent vers des horizons nouveaux et pourtant déjà anciens ; que jamais on n'a vu et que jamais on ne verra plus lorsque la dernière page se sera tournée. "Se sera tournée " car jamais nous ne les tournerons vraiment ces pages... jamais.

Quel dictateur que le maître de ces mots dans lesquels on se perd, auxquels on s'abandonne ; ces mots qui nous privent de corps et que nous suivons ainsi, malgré nous, n'importe où.
Le caractère dictatorial de l'œuvre est tel que plus que s'imposer à nous comme une vérité nouvelle, elle s'impose en nous, s'ancre en nous, devient nous et marque ainsi notre être dans la durée, de telle sorte qu'un changement s'opère systématiquement en lui. En dépit de tout, nous appelons cela "lecture heureuse", « texte de jouissance ».
Et nous voici bientôt, à nouveau, dans cette petite boutique ou cette bibliothèquee ; ce sanctuaire littéraire où tout a commencé. Nous prions le libraire de nous offrir voyage similaire. Mais une pareille lecture ne se fait qu'une fois ! Nous ne l'acceptons pas, alors nous prenons ce qui y ressemble le plus, sans jamais trouver meilleur contenu.

-> Et pour vous, qu'est-ce qu'une lecture heureuse ?