Vivre
Zelda ne dansa qu'une seule fois. Elle dîna brièvement avec Link, se frotta très rapidement les yeux, puis se confondit en bâillements. Elle récupéra sa pèlerine ainsi que le sac de toile, sous l'œil attentif de Link.
« C'est quoi ? » s'enquit-il.
La jeune femme sourit. L'espace d'un instant, elle avait été catapultée dans sa tendre enfance, avec Link qui ne cessait de lui demander "pourquoi tu fais ça ?" "ça veut dire quoi ?" et l'irremplaçable "c'est quoi ?" quand elle cueillait des plantes insolites dans la forêt.
Une joie indicible monta dans sa poitrine à l'évocation de ces souvenirs.
« Si t'es sage, tu verras ça demain matin. Je suis épuisée.
- Oh... fit-il, boudeur.
- Arrête ... Même quand tu boudes, tu es irrésistible. »
Aussitôt, Link se fendit d'un grand sourire, un sourire qui semblait monter d'une oreille à l'autre. Zelda prit un air outragé et releva le menton.
« Monsieur, ce ne sont pas des manières. Je vous prierais de bien vouloir me raccompagner décemment à ma chambre.
- Vos désirs sont des ordres, Altesse », répondit-il en s'inclinant.
L'espace d'un instant, une curieuse impression traversa Zelda ... Intuition ? Impression de déjà-vu ? Altesse...
Non. Une impression d'à-venir, si cela existe.
Elle secoua la tête pour s'éclaircir les idées. Peut-être était-ce la fatigue, tout simplement... un vertige la fit perdre l'équilibre alors qu'elle s'apprêtait à se remettre en marche. Link la rattrapa aussitôt par la hanche d'un bras ferme et rassurant.
« Je suis épuisée, confia-t-elle à voix basse.
- Appuie-toi contre moi », offrit-il d'un ton plein de chaleur.
Elle le remercia et se laissa soutenir. Comme c'était agréable, de se laisser porter... sans avoir rien d'autre à faire qu'à profiter, et marcher.
Ils parvinrent sans encombres jusqu'à la porte de sa chambre. Les paupières lourdes de sommeil, Zelda parvint néanmoins à tourner la poignée et atteindre le seuil. Elle fit face à Link.
Cette bienveillance dans son regard...
« Ça va aller ? » s'enquit-il doucement.
Des milliers de mots se bousculaient dans son esprit. Des milliers...
Je t'aime.
Pardonne-moi, Link.
Je t'ai fait tant de mal par le passé. J'aimerais tout effacer. Mais ça fait partie de nous, c'est comme ça qu'on a appris toi et moi. En faisant des erreurs, n'est-ce pas ? Sinon, on aurait pas pu évoluer, grandir, et en arriver là... alors, finalement, ce n'est pas si mal.
Cette vie, c'est nous qui l'avons choisie.
Quelque part, nous nous sommes choisis.
Pourquoi ? Seuls nous le savons. Nous avons choisi de vivre pour le meilleur, et de nous rencontrer.
Et je ne regrette pas un seul instant de t'avoir choisi. Si Hylia nous a guidés, c'est mon cœur qui t'a choisi, et le tien m'a choisie.
J'ai tellement de choses à apprendre de toi. Et j'ai tellement de choses à t'apprendre.
Pour le meilleur.
Et le pire... Nous le traverserons. Nous le franchirons. Nous avons cette force en nous, depuis que nous sommes nés. Même si, parfois, nous la perdons de vue, elle sera toujours là. Cette flamme de la vie.
Le voyage, physique et psychique, vers sa mère, avait débloqué un frein en elle. Elle ne savait pas encore quoi exactement, mais...
Elle prenait conscience.
Elle prenait conscience de l'importance de la vie, de sa beauté, de tous ses hasards pas si hasardeux, de la nécessité des choses, de la voie et voix du cœur. Et finalement, peu de choses étaient réellement graves. Les personnes qui aiment réellement pardonnent toujours, et aiment toujours. Sans ses pensées fluctuantes, le monde était tellement plus beau, authentique... la vie sans étiquettes mentales, sans jugement de valeur - ni sur soi-même, ni sur les autres.
La vie. Vibrante dans sa nature, animée, en mouvement constant. Rayonnante, magnifique, infinie.
Quand son mental s'était tu, la joie avait monté en elle, une joie primaire. Une lumière chaude, bienfaisante, presque oubliée.
Sa joie d'enfant.
Son état naturel.
Elle voulait dire tout cela à Link, mais son corps criait son besoin urgent de sommeil. Elle espérait que son regard parlerait à sa place.
« Je vais bien, murmura-t-elle à la place. Bonne nuit, Link. On se voit demain... ?
- Bien sûr.
- Alors, à demain, prince de mon cœur. »
Elle n'avait pas réfléchi. Elle avait juste laissé parler son cœur. Une lueur s'alluma aussitôt dans les yeux de Link et il rougit. Elle referma la porte en lui souriant.
Plongée dans la pénombre de sa chambre, elle posa au hasard sa pèlerine et le sac de toile contre un mur, retrouva son lit à tâtons et se pelotonna dans ses couvertures. Elle ne tarda pas à sombrer dans le sommeil.
Elle souriait toujours.
***
Le moineau voleta jusqu'à l'arbre. Le vent en poupe, il laissa la brise gonfler ses plumes et suivit un courant ascendant, puis se laissa planer quelques instants. Enfin, il descendit jusqu'à la branche la plus proche et planta ses serres dans l'écorce accueillante.
Il sentait le jour recommencer. Il sentait le cycle recommencer, comme à chaque fois.
Alors, il gonfla sa poitrine et entonna le tout premier chant de la journée.
Quelque part, un pigeon roucoula, comme s'il répondait à son appel. Une corneille s'envola à tire-d'aile en croassant.
Le vent se leva ; les arbres prirent une grande inspiration. Les feuilles bruirent de ses murmures et dansèrent.
Et la vie s'éveilla.
***
Tout était calme. A travers les persiennes à demi ouvertes, les premiers rayons de soleil s'engouffraient comme une brise tiède.
La porte de la chambre souffla doucement sur le plancher. Une silhouette pénétra dans la pièce sans faire de bruit. Deux yeux bleus suspendus dans l'univers, un corps aux aguets et un esprit empreint d'une curiosité bienveillante.
Tout recommençait ...
Zelda contempla le visage paisible de Link. Il semblait si bien, installé dans son lit douillet, berceau de ses rêves.
D'une manière générale, elle avait toujours trouvé dans la chambre de Link un lieu apaisant. Il ne s'encombrait pas d'objets inutiles : il se contentait du strict minimum. S'il ne devait garder qu'une seule chose, ce serait son lit.
Parce que Link adorait rêver, Zelda le savait. Il avait le sommeil facile, et lourd.
Un ange endormi.
Elle aimait ses cheveux en bataille sur son oreiller, ses paupières closes, son visage serein et détendu. Son nez droit, ses lèvres si bien dessinées et roses, ses pommettes qui rougissaient si facilement.
Il n'était pas parfait, mais parfait dans ce qu'il était. Dans sa maladresse, dans ses mimiques, dans ses erreurs et ses réussites, dans ses intonations de voix... tout ce qui le constituait.
C'est tout cela que Zelda aimait si passionnément. Elle n'avait rien besoin d'autre.
Tout ce que nous avons traversé, toi et moi... pensa-t-elle en souriant. Tout ceci nous a menés jusqu'à cet instant.
Le jeune homme remua. Comme à chaque fois, il semblait, de manière inconsciente, sentir la présence de sa congénère. Zelda ne s'approcha pas trop. Il n'aimait pas ça. Il avait besoin de son espace quand il se réveillait. Alors, elle resta debout en face du lit, légèrement penchée vers l'avant.
Link ouvrit bientôt les yeux. Zelda observa avec affection ces prunelles bleues s'ouvrir sur le monde, à nouveau. Deux bouts d'océan dans un seul regard. Deux portes de l'âme, deux portes de l'infini.
Qu'est-ce que ça lui avait manqué.
Les yeux de l'Océan se dirigèrent vers elle comme un papillon vers une fleur. Furtifs, légers, caressants. Un regard limpide, serein et curieux.
Le monde sembla s'arrêter tout à coup.
L'Océan l'appelait... il tirait sur son cœur, menaçant de le faire chavirer.
Où le destin les appellerait-il ? Quelles forces de l'Univers étaient à l'œuvre ?
J'ai encore tant de choses à apprendre. Tant de choses à vivre.
Dans le silence de la chambre, quelque chose de profond s'ancra dans le lien du cœur. La douceur et la beauté de la contemplation. Quand vint le moment propice, alors Link s'exprima le premier.
« Bonjour, Zelda.
- Bonjour, Link. »
Sa voix était une rivière tranquille, la rivière qui menait à l'Océan.
Que va-t-on dire sur toi, Link ? Toi, le Héros qui a combattu l'Avatar du Néant ? Quelles légendes naîtront sur toi ? Quels mensonges vont se raconter les gens ? Quelqu'un a-t-il déjà loué la douceur de tes yeux, de ton regard ? La beauté chaotique de tes cheveux ? Ou bien se souviendra-t-on de ton courage guerrier ?
Quelqu'un chantera-t-il la peur qui te nouait les tripes quand tu t'es retrouvé devant moi, à exprimer tes sentiments ?
Quelqu'un se souviendrait-il de la vérité ?
Quelqu'un se souviendrait-il de l'humain ? Ou bien préférerait-on se servir de Link pour rabrouer les enfants trop chahuteurs, les "paresseux", les "mauviettes" ? Qui éprouvaient des émotions dérangeantes, dont on ne voulait pas ?
Dé-ranger. Détruire ce qui est si bien rangé...
Peu importe. Si les gens veulent se mentir, c'est leur problème, pas le nôtre. On ne peut changer les autres ... Mais on peut se changer, soi. Devenir meilleur. Prendre soin de soi. Apprendre. S'ouvrir. Aimer.
C'est en se changeant soi, en s'aimant soi...
« Je t'offre un petit-déjeuner à l'extérieur, aujourd'hui, déclara-t-elle. Je te montrerai ce que j'ai ramené du Vallon du Sceau. Dans notre coin préféré de la cascade, près de la grotte. Ça te dit ? J'ai... Envie de passer du temps avec toi. Qu'on soit rien que toi et moi... »
Link l'observa avec une curiosité bienveillante. Elle se sentit rougir et détourna le regard. Ce n'était pas facile de soutenir le regard de l'Océan, quand on avait du mal à accepter d'être vulnérable. Elle pouvait se noyer dans ce regard.
« OK, ça me va, accepta-t-il en s'étirant. Est-ce que... »
Il hésita et elle le vit rougir lui aussi. Il se gratta la nuque, l'air embarrassé.
« Quoi donc ? le relança-t-elle gentiment.
- ... Je pourrais avoir un câlin ? »
Cette fois, ce fut son tour de sourire d'une oreille à l'autre. Elle s'assit au bord du lit... il se jeta dans ses bras. Elle lui frotta énergiquement les cheveux avec taquinerie, ce qui eut pour effet de les ébouriffer encore plus. Elle adora son rire spontané et à moitié réveillé alors qu'il s'accrochait à ses épaules.
« Tu veux que je passe chez le coiffeur, pouffa-t-il.
- Mais non, grand benêt. J'adore quand tes cheveux sont ébouriffés.
- Ah bon ? » il redressa la tête et la regarda, visiblement perplexe. D'un ton plus grave, il demanda : « Non ? C'est vrai ?
- Ben, oui !
- Tu ne me l'avais jamais dit... En fait, je croyais même que tu n'aimais pas. »
... Qu'on change et qu'on aime les autres.
« Dans ce cas, je répare tout de suite cette interprétation : Link, j'adore tes cheveux. »
Il rougit encore, puis se mit à glousser.
« Merci, Altesse.
- Banane.
- C'est toi la banane, tu as vu tes cheveux ? »
Et la journée débuta par une joyeuse chamaillerie.
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