« Alors, quelle est votre décision ? »

Herenya serra les poings. Ghirahim se tenait face à elle, statue immuable et imperturbable. Il semblait trouver un malin plaisir à la mettre à l'épreuve.

La jeune reine avait longuement pesé le pour et le contre. Elle ignorait parfaitement où se trouvait sa famille. Elle avait toujours pensé qu'ils n'étaient plus de ce monde, et enterré tout espoir de les revoir. Elfy l'avait maintenue dans le mensonge le plus insidieux qu'il lui eût été donné de connaître. Parce qu'elle savait que son foyer portait sa promesse de guérison. Sa promesse de se réaliser en tant que personne. Un nouveau départ. Loin de la couronne. Loin de sa tutelle. Loin des artifices.

Mais à présent que la porte était ouverte...

Les lueurs du passé avaient resurgi, plus vives et plus coriaces que jamais elles ne l'avaient été. Si proches, palpables, elles tenaient là, au creux de sa main. Elles tenaient au creux de sa décision, irréversible.  

Mais il était aussi de son devoir de reine de faire barrage aux démons. Les leçons du passé leur avait appris un avenir des plus terribles : celui de finir englouti sous un monde de ténèbres et de désolation. 

Un monde contrôlé par les démons. Voilà ce que voulait Ghirahim. Il ne pouvait en être autrement. 

Et pourtant ...

Et pourtant, elle ne pouvait pas oublier sa famille.

Elle ne pouvait tout simplement pas.

Elle ne pouvait pas les abandonner.

Elle prit une ample respiration et apaisa le tremblement de ses mains. 

« J'ai bien réfléchi, Seigneur Ghirahim. » elle marcha en direction d'une des hautes fenêtres, son regard hissé bien au-delà des frontières matérielles. « Vous avez refusé de me parler de vos desseins. J'y ai perçu une décision tout à fait volontaire de votre part. »

Elle inspira encore, une fois. Ça n'allait pas être facile.

Elle se tourna vers lui.

« Vous ne me laisseriez pas régner sans conditions », laissa-t-elle tomber.

Ghirahim eut un hochement de tête approbateur.

« Votre analyse est exacte, Herenya. » il se pourlécha les lèvres. « Cette vivacité d'esprit est tout à fait respectable. Je ne m'attendais à rien de mieux de votre part. 

— Ce choix n'est donc pas sans conséquences pour ma terre, poursuivit la reine sans en démordre.

— Il est vrai que j'ai... omis d'en parler. »

Herenya retint son souffle. Elle ne parvenait pas à le défier. Les paroles tant répétées mouraient avant d'atteindre ses lèvres. 

Ghirahim sourit, comme s'il sentait sa lutte intérieure.

 « Mais assez parlementé. Faites-moi part de votre choix. Maintenant. »

Herenya ferma brièvement les yeux. Elle prit une grande inspiration et rassembla son courage. Elle devait le faire.

Ce que je m'apprête à faire...

Sa lèvre inférieure tremblait. Elle l'ignora.

Elle devait le faire.

... Engage notre destinée.

Elle se tourna vers son acolyte. 

Elle devait le faire. 

« Je n'accepte pas votre proposition. »

Un silence, lourd de sous-entendus, tomba sur la Salle du Trône. 

« Manifestement, vous me croyez juvénile au point de me laisser appâter, asséna-t-elle en lui faisant vaillamment face. Je suis de lignée royale. La plus légitime encore en vie. Et je ne céderai jamais le Levant à des forces telles que la vôtre, d'aucune façon. »

Le rire de Ghirahim rugit comme un coup de tonnerre. Coupée net dans son élan, la reine se figea.

« Excellent ! se gargarisa-t-il. Spectaculaire !  » il l'applaudit du bout des doigts, un sourire mesquin accroché à ses lèvres. « Tout ceci m'arrange formidablement, vous ne pouvez pas savoir à quel point.

— Pardon ? renvoya Herenya, déstabilisée par cette saute d'humeur.

— Ah, ma chère... Ma très chère reine. » il laissa éclater un rire plus mesuré, bas et froid. « Si vous aviez accepté mes conditions, vous auriez cédé à la facilité. Et la facilité... » il braqua son regard, devenu glacé, dans le sien. « ... Me dérange ! »

Des pointes d'acier aussi effilées qu'une lame fusèrent vers la reine. Elles se plantèrent dans les coutures de sa robe, la clouant contre le mur du fond. Elle était épargnée de toute blessure, mais immobilisée. 

Elle se débattit, en vain. Ses bras, son torse et ses jambes étaient retenus par les pointes.

« Émerveillez-moi ! claironna Ghirahim en avançant vers elle, ses yeux agrandis par l'excitation. Montrez-moi l'étendue de vos pouvoirs ! » son regard s'était fait prédateur. « Impressionnez-moi, Majesté. »

La respiration saccadée d'Herenya l'emmena au bord de la panique. Elle n'allait tout de même pas défaillir ici... pas aujourd'hui, pas maintenant... 

Pas comme ça.

Elle bougea les poignets. Elle n'avait pas d'armes, tous ses gardes étaient congédiés, et elle ne disposait d'aucune ressource. Son pouvoir s'appliquait à la matière, mais il n'avait aucune prise sur les pointes d'acier qui la retenaient prisonnière. 

Mais si...

Elle se concentra et contracta les poignets. Le trône quitta son emplacement et fondit droit sur Ghirahim, qui l'esquiva sans aucune difficulté apparente.

Il est trop rapide !

« Admirable, reconnut-il d'une voix suave. Mais insuffisant. Est-ce ainsi que vous comptez régler vos comptes ? »

Sa phrase mourut dans des bris de verre ; une fenêtre venait de perdre sa consistance et de la rendre sur son visage. Un cri hystérique ébranla la Salle du Trône.

Herenya le toisa durement. 

« Vous n'avez pas compris ma réponse. » elle contracta les mâchoires. « Revoir ma famille ne m'aurait pas changée. » elle secoua lentement la tête comme pour ancrer ces propos. « Si j'avais voulu changer, je l'aurais fait depuis longtemps. »

Elle laissa son regard errer dans le vague, tandis que Ghirahim se débattait avec les bris de verre.

« L'obscurité ne me sauvera pas en se parant de lumière. », souffla-t-elle d'un air sombre. 

Le démon releva les yeux vers elle, visiblement déconcerté. Il débarrassa ses bras des éclats coupants. 

« Vous m'intriguez... Vous tenez donc si peu à votre famille ? 

— Ce n'est pas ce que j'ai dit. Ils ont construit leur vie sans moi. » elle ferma les paupières, retint les larmes qui attendaient d'en jaillir. « Ma destinée est toute autre. » elle releva la tête. « J'ai pour mission de protéger mon royaume des forces démoniaques. Navrée, mais vous en faites partie. »

Elle puisa alors dans toute la force que pouvait contenir son être. Elle chercha la colère si longtemps enfouie. Elle chercha le chagrin, si profond, caché depuis tant d'années. Elle chercha ce qui l'avait brisée, des années auparavant.

Une déflagration d'énergie pure anéantit les pointes d'acier qui la maintenaient prisonnière. Elle se répercuta dans toute la salle et déstabilisa un instant son ennemi, qui chancela sous la puissance du phénomène.

« Vous savez quoi, Ghirahim ? J'en ai marre des commodités. Alors allez vous faire foutre. Allez vous faire foutre, et ne remettez plus jamais les pieds ici. »

Fenêtres, dalles du sol et lustres s'abattirent sur lui dans un fracas retentissant. La fureur longtemps contenue d'Herenya s'exorcisa enfin. Le mobilier s'acharna sur son persécuteur, ne lui laissant aucun répit. La fonte du lustre gifla son visage, la vieille commode écrasa ses pieds, le verre balafra sa peau, la lampe d'étude brûla son torse. 

« Je protégerai ma terre jusqu'au bout de mes ongles, hurla Herenya, dressée dans la tempête. Ni vous, ni personne d'autre ne m'arrêtera. Disparaissez de ma vue. Et ne revenez jamais ! »

Au milieu de la tourmente, les yeux sombres du monarque démoniaque la transpercèrent de toutes parts.

« Ainsi, vous avez pris votre décision », asséna-t-il d'une voix terrible.

Il se téléporta hors de danger. Une pluie meurtrière de pointes d'acier martela alors le sol. Elle ricocha dans toutes les directions. Les pointes arrachèrent broderies, tapisserie, tableaux, et brisèrent vitres, statues, verres, sans jamais s'arrêter.  Herenya n'eut d'autre alternative que de se protéger en se glissant sous le trône. 

« Vous êtes maligne ! apprécia Ghirahim d'une voix tonitruante. Mais ça ne suffira pas, ma chère ! »

L'espace d'un terrifiant instant, Herenya sut.

Elle arracha une enveloppe soigneusement dissimulée dans sa poitrine et la fit disparaître dans un repli de l'espace.

Cette précaution n'aura pas été vaine.

Sa protection valdingua à l'autre bout de la pièce. Un instant plus tard, Herenya fut projetée contre le mur.

Tout s'effaça et rien n'exista plus. 

                   ***

Ghirahim observa le corps allongé de la jeune femme contre le dallage et crispa les doigts. Il était... contrarié.

« Il est fort dommage que nous en soyons arrivés là, susurra-t-il. J'ose espérer que vous serez plus coopérative à votre réveil. »

Il leva les yeux vers l'estrade.

« C'est vraiment très contrariant... Vous avez abîmé mon trône.  »

https://youtu.be/vCKXs0Xhj2Q

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Eeet voilà le nouveau chapitre (tant attendu ?!) de Jusqu'aux Étoiles !

J'espère que vous passez de bonnes vacances :)

Mais que va-t-il se passer ?!