Le lendemain, Link était prêt.

Debout sur le seuil de l'École de Chevalerie, il respirait l'air à grandes goulées. Il se sentait oppressé : par le temps, le manque de moyens, la respiration courte et hachée, suffoquée.

Il était prêt.

Prêt à affronter la vérité.

Les sangles de son sac bien ajustées sur ses épaules, il prit une grande inspiration.

Le cœur serré, il regarda l'École une dernière fois.

Du moins c'est ce qu'il croyait. Tout avait été planifié dans sa tête, claire comme de l'eau de roche ; seul le doute la troublait et il préférait ne pas s'y astreindre.

Il était tôt. Le ciel n'avait pas encore vêtu son manteau de crème, plongé dans son voile nocturne pâlissant. Les étoiles illuminaient la voûte déclinante ; le père de Link lui soufflait par voie intuitive par où aller.

Au-delà des mots, il percevait sa présence là, quelque part dans son esprit, et même si elle était faible, il en tirait un réconfort aussi immense que le câlin d'une mère affectueuse.

J'y vais, décida-t-il.

Zelda se reposait tranquillement. Il ne serait pas long et ne voulait pas qu'elle le harcèle de questions qui pourraient alimenter son doute.

Il laça ses chaussures.

Partit d'un bon pied, incertain mais décisif, vers sa destinée.

                                    ***

Le trajet fut long.

Link avait l'impression de revenir sur les terres du Levant quand il l'aperçut enfin.

Le vallon du Sceau.

Fourbu, il descendit de son célestrier et continua à pied. Ses mains le dérangeaient. Il les essuya contre son pantalon pour leur donner plus de chaleur. Les coutures étaient usées par ses nombreux voyages ; à vrai dire, ils dataient de la chevauchée céleste, et Hylia savait combien d'allers retours il avait entrepris de la terre au ciel.

Les grandes portes du temple étaient fermées.

Pas un rai ne venait pénétrer ce lieu saint. Il était gardé, depuis des millénaires, par la même vieille femme.

Impa.

Sa sagesse toute-puissante permettait de maintenir le Sceau en place. Du moins c'est ce que Link croyait.

Il réajusta ses gants, nerveux. Il fallait beaucoup d'adresse et de courage pour monter un célestrier, supporter les vents contraires et surtout, surtout, maintenir ses mains au chaud.

Il en fallait encore plus pour faire face à Impa.

Il s'éclaircit la gorge et frappa contre la porte. L'épée sacrée se réveilla ; Fay apposa sa main contre le sceau, qui grésilla et s'estompa tout à fait.

« Bah, tu pouvais pas me le dire plus tôt ? s'exclama-t-il à l'épée ; il était fatigué par les événements récents et ne parvenait plus à s'exprimer comme il l'aurait souhaité.

— Je voulais vous faire la surprise, Maître. »

Complètement abasourdi, il dévisagea Fay sans comprendre.

Il ne comprenait rien depuis un certain moment de toute façon.

Ainsi elle connaissait le sens de la surprise ? Elle avait bien changé depuis leur première rencontre.

Ils entrèrent.

La grande Porte du Temps tournoyait de tous ses rouages et illuminait le sanctuaire de reflets opalescents. Link avança, impressionné par la stature de cette porte pourtant immatérielle, où l'on se rendait des milliers d'années en arrière avec la sensation d'avoir traversé de l'eau.

Toujours fidèle au poste, Impa semblait l'attendre, sa longue tresse suivant un temps qui ne semblait pas connaître de fin.

« Link. Bienvenue, salua-t-elle en se levant. Quelles sont les nouvelles ?

— Je viens voir mon père.

— Ton père ?

— Il m'a dit qu'il avait lui-même ses entrées ici.

— Hmm-hmm », dit-elle d'un ton appréciateur. Elle baissa les yeux. « J'ai de bien terribles nouvelles pour toi, j'en ai peur. »

Elle se leva et arpenta le temple de long en large. Son grand âge rendit la scène extrêmement longue, mais Link n'osa pas l'interrompre. Il était pendu à ses lèvres comme un enfant.

« Ton père est passé. » sa voix résonna sous l'immense voûte du temple. « Il s'est fait prendre par une patrouille. »

Hébété, Link la regarda sans comprendre.

« Une... une patrouille ?

— Une patrouille du Levant, Link.

— Q... Que... QUOI ? »

J'ai fait tout ce chemin pour rien ? Papa, pourquoi ne réponds-tu pas ?

« Link. Sois sage envers tes ennemis. Manifestement ils t'ont provoqué pour aggraver ta colère et déclencher une guerre. N'agis pas sous la colère. »

Elle leva les bras et décrivit de larges cercles concentriques. Des filins argentés sortirent de ses mains comme si elle façonnait quelque chose.

« Je te donne la Sagesse. Utilise-la à bon escient. »

Un triangle d'or se forma au milieu du cercle et rejoignit la poitrine de Link, qui se mit à briller d'un éclat surhumain.

« Une particule... de la Triforce ? » s'étrangla-t-il sous la puissance du rayonnement.

Il tomba à genoux, le souffle court.

«  En effet. Tu en auras besoin pour établir ta stratégie. Va, à présent, retourne voir Zelda et quête ses conseils. N'agis jamais seul, Link. »

Estomaqué, Link repartit du temple en ayant la lourde sensation que tout cela n'avait servi à rien du tout.

Papa...

Papa...

Papa !

PAPA !

Pas de réponse.

Notre lien s'est-il effiloché à ce point ?

Il serra les poings en atrappant la sangle du célestrier.

Je te retrouverai, papa.

***

Il ne put rien manger le midi. Zelda s'inquiéta tellement de son état qu'elle finit par lui sortir les vers du nez à force de gesticulations.

« Une particule de Triforce ? Ton père enlevé ? Link, ça m'a tout l'air d'une quête !

— Une quête vers quoi ? On a même pas déchiffré la prophétie, s'évertua-t-il à rétorquer.

— Mais si ! Je crois qu'il faut retrouver les fragments de Triforce pour vaincre Herenya et retrouver ton père et ton royaume !

— Par Hylia, jura-t-il d'un seul coup, je crois que je sais où se trouve l'un de ces fragments. N'y a-t-il pas une vieille légende qui parle de la Montagne et de la Force ?

— Si. 

— Les gorons, Zelda. Il faut qu'on aille les voir. Darunia, leur chef... Il sait forcément quelque chose. »

Elle continua de déambuler dans la chambre de Link, l'index posé sur sa lèvre en signe de profonde réflexion.

« Et si... Et si... S'ils l'avaient mangée ?

— De quoi ?

— La Triforce. Ils l'ont peut-être engloutie et il faudra attendre qu'ils la chient. »

Trop fatigué pour résister, Link explosa d'un rire inattendu.

« Tu m'as eu, admit-il en essuyant ses paupières.

— Je le savais. Tu as besoin de décompresser, Link. Repose-toi. On fera les préparatifs ce soir.

— Et s'ils...  » il s'interrompit quelques instants. S'ils l'ont vraiment mangée, on fait comment ?

— Alors là, on sera vraiment dans la merde, au sens propre. »

Ils éclatèrent de rire, puis, la tension redescendant, Link se leva.

« Bon ! C'est parti pour la Triforce ! On ne devrait pas prévoir un masque ? »

Ce à quoi Zelda le qualifia d'idiot et le laissa tranquille en rejoignant sa propre chambre.

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Un court chapitre mais toujours aussi intéressant je l'espère !

Je ne lâche pas l'histoire et vous souhaite de bonnes Pâques :)