Hergo marchait de long en large sur le seuil de sa chambre, si absorbé dans ses pensées qu'il ne prêtait même plus attention à son énorme miroir sur pieds – chose rarissime, et témoin de la gravité de la situation.

Cette Herenya... Son plan était parfait. Minutieux, précis, discret, infaillible.

Oui, bon, c'était une femme. Mais pas n'importe laquelle : la princesse du Levant, le royaume de l'Extérieur. Et c'est lui qu'elle avait choisi.

Oui... il était promis à une grande destinée. Il le savait, depuis toujours. Enfin... enfin, il pourrait accomplir son destin avec courage et héroïsme. C'est pourquoi, en ce début d'après-midi, il attendait les futures instructions de la princesse.

Il tressaillit en apercevant Latruche traverser le couloir. Lui pourrait l'aider.

« Latruche ! Viens par ici.

— Qu'est-ce qu'il y a, Boss ?

— Je suis en pleine crise existentielle. La situation est critique. » il inspira un grand coup. « Je vais devoir prendre des mesures drastiques... et tu vas pouvoir m'aider.

— Oui ?

— J'ai une devinette pour toi. Pose pas de questions et réponds.

— Je suis prêt, Boss.

— Nickel. Qu'est-ce qui est gros et marron ? »

Aussitôt, son collègue se plongea dans une réflexion intense. Les plis de son front se creusèrent, son regard se perdit au plafond. Il se gratta le menton, et bafouilla : « Euh... euh... », d'un air concentré, se mordillant un ongle. Puis il s'exclama :

« JE SAIS ! C'est une bonne grosse m...

— OK, c'est bon.

— Vous êtes sorti de votre crise, Boss ?

— Oui. Tu viens de me prouver que t'es plus stupide que moi. Ça me rassure.

— Évidemment, Boss, c'est vous le plus intelligent.

— Évidemment. »

Il allait redresser sa mèche, se désintéressant de lui, quand Latruche reprit :

« Boss ?

— Quoi ?

— Votre devinette. Je pensais à un truc, un truc qui me chiffonne.

— Eh ben vas-y, accouche !

— Si on a la diarrhée, ma réponse compte quand même bon ? Non parce que... vous savez, c'est plutôt liquide... »

Bon. Il était vraiment con.

« T'as pas la diarrhée dans la devinette.

— Et si on a bouffé que des petits pois ? Du coup, ça peut pas être gros.

— Mais non. Dans la devinette, t'as bouffé un gros poulet avec des frites. » bon, il l'avait pas précisé, mais tant pis. S'il continuait, Latruche serait plus brillant que lui. L'horreur suprême, le déshonneur absolu. Impossible. « Tu peux me laisser maintenant. Je me prépare à un truc important.

— OK, ouais, j'suis désolé. Vous êtes vraiment intelligent, Boss... Je vous laisse à vos incroyables réflexions.

— C'est ça. »

Latruche fila sans demander son reste.

Qu'est-ce qu'il était bête celui-là.

Mais bon, il l'aimait bien, comme Orbo. Il pétait pas plus haut que ses fesses, lui, pas comme Link. Alors lui...

« Oh ! Hergo, je te pardonne, je t'accorde toute ma mansuétude, pinailla-t-il d'un ton suraigu devant son miroir en se déhanchant. Je ne m'abaisserai pas à ce genre de choses, vois-tu, j'ai bien trop d'honneur. »

Patience... Avec ce plan extraordinaire, Link ne rigolerait plus. Non. C'est lui qui implorerait son pardon. Il serait à ses pieds, en train de le supplier et de chialer. Il goûtait déjà ce futur proche... Enfin, il lui faudrait encore un peu de temps. Pour l'heure, son ennemi profitait d'instants volés avec Zelda, tranquille pépère, loin de l'École.  Mais quand cela arriverait... quand le vent tournerait...

« Hergo ?

— Oui ? répondit-il, dos à la porte. Quoi encore ? Latruche, pourquoi t'as une voix de femme ?

— C'est moi. Herenya. »

AH. Voilà pourquoi c'était "Hergo" et non pas "Boss". Il était si absorbé dans ses pensées de vengeance qu'il avait oublié que, potentiellement, la princesse pouvait se pointer entretemps.

« Ahem... Je... Pardon. Entrez, entrez donc. Je me préparais, s'excusa-t-il en se retournant.

— Je vois ça, répartit-elle d'un ton neutre, les lèvres pincées. Vous vous rappelez du plan, n'est-ce pas ?

— Bien évidemment.

— Il est temps d'aller faire nos préparatifs pour ce soir. Comme je vous l'ai expliqué, nous allons prendre votre célestrier et aller chercher le matériel au Château du Levant. Il ne faut pas qu'on nous voie, mais la reine, ma mère, est au courant. Je lui ai envoyé une lettre avant de vous retrouver. Je lui expliquerai chaque étape de ce que nous allons faire. Cette lettre est la preuve que je n'ai pas quitté Célesbourg. Si vous manquez de discrétion, les soupçons se porteront immédiatement sur vous. Je ne pourrai pas vous soutenir, car j'ai un statut à protéger, tout comme Sa Majesté.

— Oui, oui, j'avais saisi. J'suis pas débile. »

Herenya sourit franchement. Elle avait bien trouvé ce type. Simple, franc, efficace, qui n'hésitait pas à prendre des risques. Cela allait lui faciliter la tâche. La rancœur qu'il nourrissait pour Link était un moteur qui les propulserait vers le succès.

Mon mignon, quand tu découvriras que tu te retournes contre les tiens, je me demande quelle tête tu feras. Mais peut-être que tu le sais déjà ? Tu parais simplet, mais il y a du potentiel en toi.

« Parfait. Allons-y. Il est temps de mettre notre première phase à exécution. »

Musique d'ambiance !

https://youtu.be/5rEeEKYbVX8

                       ***

Ni Link ni Zelda ne se doutaient des événements qui se tissaient autour d'eux, une toile aux fils invisibles et savamment orchestrés. Une rangée de dominos, s'abattant les uns après les autres dans un fracas silencieux.

Toute leur attention s'était focalisée sur la prophétie. Link avait pris soin de la retranscrire mot pour mot sur un carnet. La tablette reposait tranquillement à ses pieds. Elle était trop lourde pour pouvoir la manipuler facilement.

Ce qui donnait :

« Deux haches ensemble brandies/ Jamais ne fonderont l'Uni/ Mais deux être réunis/ Pour en former un seul suffit.

Force, sagesse et courage/ Qui brillent en deçà des nuages/ Fraieront le chemin/ De son destin.

Quand trois seront réunis/Une nouvelle ère commencera.

Les cieux et la terre/En tandem ouvriront la voie/Vers leur avenir longtemps occis/Par les démons d'autrefois. »

« Bon, commença Zelda. Tu comprends maintenant pourquoi je suis assez dépassée par ce qui est écrit dessus.

— Et il n'y a eu aucun autre indice, j'imagine.

— Non, effectivement.

— Hmm. Et comment saurons-nous si notre décryptage est juste ? Il y a sûrement plusieurs interprétations possibles.

— Hylia a réveillé mon « intuition prophétique ». J'imagine que je saurai si c'est juste, d'une manière ou d'une autre. On verra bien. »

Link acquiesça pensivement.

« Ce qui est sûr, c'est que le début est trop nébuleux pour l'instant. Mais par contre, on dirait qu'il est fait mention de la Triforce. Force, sagesse et courage. »

Un chuintement sonore retentit. Link sursauta en se protégeant instinctivement le visage, car des projections bleutées s'étaient échappées de la tablette comme un jet d'eau. Zelda, quant à elle, s'était figée, les yeux écarquillés.

« Au nom d'Hylia... murmura-t-elle.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— La tablette, Link. Regarde ! »

Le jeune homme se dévissa le cou pour scruter le bloc de pierre. Son cœur rata un battement.

Les symboles du sixième vers – « Force, sagesse et courage » – luisaient par intermittences. Puis ils se figèrent dans un bleu lumineux, laissant le reste de la prophétie dans la pénombre de la tablette.

« C'est un bon début. On sait que c'est la bonne piste », commenta Zelda. Puis elle eut un froncement de sourcils, comme brièvement happée par quelque chose. « Ce n'est pas suffisant.

— Comment ça ?

— Je pense qu'il y a autre chose derrière la Triforce. Regarde la suite. Elle n'est pas validée. « Brillent à présent en deçà des nuages. Quand trois seront réunis / Une nouvelle ère commencera ».

— Les trois réunis... Les trois pouvoirs ? Reconstituer la Triforce ? »

La tablette resta de marbre.

« Non, conclut Zelda en se fendant d'un sourire ironique.

— Ce serait trop simple. Mais il fallait tenter le coup. » le front de Link se plissa sous la réflexion. Il mordilla la gomme de son crayon. « Donc on sait qu'il est question de la Triforce. » (ce faisant, il le nota, et poursuivit :) « Peut-être qu'elle est menacée et qu'on doit la protéger.

— Tu crois ? »

Pas un seul clignement bleu. Zelda soupira.

« J'ai surtout l'impression qu'il manque un élément crucial pour comprendre cette prophétie. »

Le jeune épéiste hocha la tête en guise d'approbation. Puis il attira l'attention de la jeune femme sur les premiers vers de la prophétie.

« Regarde :  « Deux haches ensemble brandies / jamais ne fonderont l'Uni. Mais deux êtres réunis / pour en former un seul suffit ». Ça n'a pas de sens. Elle parle de haches. Et ensuite, elle dit d'en « former un seul ». Si ce n'est pas former une hache, qu'est-ce que c'est ? »

Zelda relit attentivement la strophe et écarquilla les yeux.

« Nom d'une moustache, je ne l'avais pas relevé ! Peut-être qu'elle parle de former l'Uni ? « Un seul », c'est l'Uni dont elle parle ? »

Ils attendirent ; toujours pas de réaction de la part de la tablette. Fausse piste.

Zelda était troublée. Elle persistait à croire que quelque chose semblait l'appeler dans la prophétie. Un détail, infinitésimal, mais extrêmement important.

Quelque chose qui lui échappait.

Quelque chose avec lequel la prophétie prenait tout son sens...

L'Uni... un seul suffit...

Elle secoua la tête. Elle se rappela du message de sa mère et se tordit les mains, en proie à l'appréhension de ne pas savoir que faire.

« Hylia m'a dit que je ne devais pas m'attacher aux mots, mais à leur symbolisme, leur sens caché. Que je devais les ressentir.

— Peut-être qu'en la relisant attentivement, tu sentiras quelque chose. Essaie pour voir. Ça ne coûte rien. »

Zelda la saisit et la posa sur ses genoux. Elle inspira un bon coup et se plongea dans les lignes, plongea en elle-même pour les ressentir à un niveau plus profond. Un niveau intuitif, où elle ne s'arrêtait plus aux mots en eux-mêmes, mais à leur signification cachée. Elle ferma les yeux et, sans réfléchir, psalmodia :

« Deux haches ensemble brandies... Jamais ne fonderont l'Uni. Jamais ...ne fonderont... l'Uni... Mais deux être réunis... Pour en former un seul suffit. Pour en former un seul... suffit... »

Et tandis qu'elle psalmodiait, elle se nourrissait de la vibrance des mots et s'en imprégnait, comme lorsqu'on écoute attentivement une histoire et que plus rien n'existe autour de soi. Elle sentait à peine la présence de Link en face d'elle, qui avait fermé les yeux afin de se laisser imprégner par la prophétie.

Soudain, elle sentit une résonance. Un son grave, comme une corde de basse grattée dont les vibrations onduleraient dans l'air. Puis des murmures à peine perceptibles, volutes frôlant sa conscience...

Prends garde ! Prends garde contre les fils du destin qui se tissent.

Deux haches brandies vers le ciel, dont les manches s'entrechoquent dans un fracas métallique. Une couleur. Vert d'eau.

Un lac.

Non.

Le bras d'une rivière.

Non plus.

Des yeux.

Qui ?

Les fracas métalliques résonnent. Des épées qu'on aiguise dans l'ombre. Les haches résonnent et se rapprochent.

Prends garde... L'araignée tisse sa toile... Elle glisse sur les fils, sans que tu ne la voies... Prends garde...

Les yeux verts d'eau pétillent dans le noir.

PRENDS GARDE !

Zelda reprit brutalement son souffle, les yeux exorbités.

« L'araignée ! L'araignée a des yeux vert d'eau ! »

Et, sous le regard stupéfait de Link, elle s'évanouit.

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L'intrigue se poursuit ! On dirait que des obstacles vont se dresser sur la route de notre couple préféré... des choses qui se trament dans l'ombre...

Des idées de décryptage de la prophétie ? :D

Dites-moi si les chapitres vous paraissent trop courts, si vous auriez envie qu'ils soient plus fournis, ou si ça vous va comme ça ;) je ne peux pas trop mesurer, c'est à vous de me dire comment vous sentez la lecture ^^

Vous aimez toujours autant la fanfiction ? Car de nombreuses surprises sont à venir ;)

P.S : Pas de panique : avec moi, ça se finit toujours bien ! :3