La Mission de Zelda
La lumière palpitait dans les vastes nuages bleus. Le temps n'existait plus dans cette dimension. Il n'y avait plus de corps, plus de température. Rien que cette lumière bleutée : une sensation, un toucher de l'âme éphémère.
Dans ce vide sensoriel, la matière se développa. Un décor se précisa : le Vallon du Sceau. Le long des parois rocheuses, des symboles crépitèrent, d'un bleu électrique presque aveuglant. Zelda cligna des yeux et se tourna vers le temple derrière elle.
Là, une silhouette féminine l'observait tranquillement, ses lèvres retroussées dans un sourire bienveillant. A ses pieds, des pots en céramique peints, remplis de cadeaux sacrés : perles de nacre, eau de pluie, fruits secs, minerais.
« Votre Grâce, s'inclina Zelda. Mère. Je suis heureuse d'avoir pu vous trouver.
— Ce bonheur est partagé, résonna la voix douce d'Hylia. Ton offrande est acceptée. »
Les pots disparurent instantanément.
Zelda s'empêcha de serrer les dents ou de se contracter. Si elle perdait son état méditatif, elle devrait tout recommencer. Elle laissa glisser, ne s'attachant guère à ce que son mental racontait. Surtout, ne pas se laisser embarquer dans ses jugements.
Cela faisait trois jours qu'elle méditait devant le temple, à la demande de la Déesse elle-même de venir la trouver. Et c'était sans compter ceux qui lui avaient fallu pour trouver les perles de nacre, les minerais. Encore une fois, l'Ancienne - enfin, Impa - l'avait aidée dans sa "quête spirituelle".
Deux mois plus tôt, Hylia avait contacté sa fille par le biais d'un rêve particulièrement profond. Les mêmes lumières bleues clignaient, et le rêve lui avait paru très net.
« Zelda... Ma fille. Rejoins-moi. Tu dois venir sans l'Élu, ou sa présence perturbera ton esprit. Pour parvenir à me trouver, tu devras élever ton âme. Cela risque de prendre du temps. Les perles représentent des étapes. Mais tu dois à tout prix me rejoindre. J'ai un message très important à livrer aux humains. Tout comme il me tarde de te revoir, ma fille. Rejoins-moi... Rejoins-moi... REJOINS-MOI ! »
L'ordre l'avait alors secouée, palpité à la lisière de son esprit, comme une piqûre de moustique dont on ressentirait un besoin urgent de gratter. Il y avait une détresse presque palpable dans l'appel de la Déesse. Une puissante intuition la poussait à agir, un sentiment d'extrême importance. L'intuition, aussi, qu'elle ne devait mettre personne au courant - exceptés son père, gardien des antiques messages de la Déesse, et Link.
Link... cela faisait bientôt deux mois.
Reste concentrée.
Elle était partie escortée par deux chevaliers aguerris jusqu'au Vallon du Sceau. Nam, le frère, et Numéa la sœur. Le voyage à dos de célestrier avait demandé deux jours entiers, arrêts compris. Là, elle avait retrouvé son guide, Impa, ainsi que Fay. Le décompte des jours transmis à Fay venait de l'Ancienne, qui elle-même la tenait d'Hylia. Elles avaient scrupuleusement calculé le temps qu'il faudrait à Zelda pour mettre ses élans de cœur de côté - ainsi que son mental - et tendre son esprit, son âme vers la Déesse, et le monde du vivant. Pour rejoindre sa mère... elle devait assourdir l'amour qu'elle ressentait pour Link. Ce qui n'avait pas été évident. Elle avait dû le relayer à une place plus éloignée dans son cœur, et se concentrer corps et âme sur sa mission.
À présent qu'elle y repensait, elle se sentait plus sereine. Parfois quand on aime beaucoup, il est nécessaire de prendre du recul, de la distance, pour ressentir un amour plus sain.
Cela dit, elle n'avait pas touché à l'épée. Elle n'était pas non plus retournée vers Célesbourg. Fay avait subi une sorte de téléportation, d'un socle sacré à un autre. Dans un élan désespéré, elle avait pu communiquer avec elle et transmettre son message à Link. Ce qui avait retardé sa mission, mais, baste ! Il méritait quand même qu'elle le prévienne.
Ne pense pas à lui, ou tu perdras le contact avec Hylia.
Car malgré les apparences, son succès était très fragile, et nécessitait toute sa concentration. Elle tendit son esprit vers la silhouette devant le temple. Ses contours se précisèrent alors.
Une voix s'éleva, aussi majestueuse que l'envol de l'aigle :
« Je suis fière de toi... ma fille. Tu as réussi à trouver la voie pour me rejoindre. »
Elle vit alors ses yeux, aussi profonds que l'océan. Ils brillaient d'une sincérité qui la toucha. Des volutes diaphanes dansèrent autour de la Déesse, puis se superposèrent dans plusieurs couches, tels les nombreux pétales couvant le cœur d'une rose. L'ensemble forma une robe blanche qui la drapait jusqu'aux chevilles. Ses cheveux étaient de longs fils de soie blond cendré, ondulant au gré d'une brise chimérique.
« M-Merci. Je suis là, à présent. Je me pose beaucoup de questions, Votre Grâce, à propos de ma présence ici. »
Hylia opina du chef. Elle était bien visible, à présent. Elle semblait... matérielle, si l'on ne prenait pas en compte les volutes éthérées qui ondulaient autour d'elle, telle la fumée montant d'une terre froide chauffée par le soleil.
« Comme je te l'ai dit, j'ai un message extrêmement important à te faire parvenir. Malheureusement, ton essence par moitié humaine ne pourra pas le supporter tel quel. Alors je te l'ai écrit.
— Qu'est-ce que c'est ? »
La Déesse lui fit signe de s'approcher plus près. Zelda obtempéra et, comme lui avait recommandé Impa, mit un genou en terre. Le sol était doux, comme si on l'avait drapé d'une longue soie. Elle baissa le menton, et sentit la main de sa mère presser tendrement sa tête. Une énergie la traversa brutalement, à la manière d'un bref courant électrique.
« Relève-toi et regarde. »
La jeune femme obéit. Hylia tenait désormais entre ses mains une tablette d'argile gravée de symboles hyliens. Zelda la saisit précautionneusement et lut les lignes sculptées de caractères en fronçant les sourcils. Aussitôt, son mental se saisit de l'opportunité.
Comment est-ce que je vais comprendre un truc pareil ?
Il n'y avait rien de très compliqué dans les mots. Mais elle ne saisissait pas le sens.
Pas de jugement.
« J'ai éveillé ton intuition prophétique, intervint Hylia comme en réponse à ses interrogations. Elle somnolait dans ton être depuis ta naissance. A présent, tu es prête à en faire bon usage pour comprendre mon message. Ce que j'ai perçu de l'Univers... Je l'ai retranscrit en mots.
— Je... D'accord. Je vous remercie, Votre Grâce. »
Hylia eut un sourire triste. Puis elle saisit sa fille par ses épaules. Zelda se pétrifia instantanément, surprise par ce contact incongru.
« J'essaierai de te contacter à nouveau. Ouvre ta conscience aussi souvent que tu le pourras. Je te guiderai de mon mieux. Il y a autre chose dont j'aimerais te parler. »
Zelda retint son souffle, dans l'expectative.
« Je constate que j'ai fait le bon choix pour toi ... à propos de l'Élu. »
La jeune femme sentit ses joues s'empourprer. Elle savait... Bien sûr. Le contraire eût été étonnant.
Ne pense pas à lui. Reste concentrée.
Le contact des mains de sa mère sur ses épaules l'ancrait beaucoup mieux dans cet espace, mais elle préférait rester prudente. La Déesse sourit et reprit :
« J'ai tout fait pour vous réunir et vous guider. Par des signes, des rêves... Je suis très heureuse que vous soyez parvenus à vous trouver. »
Une bouffée d'émotion monta dans la poitrine de Zelda. Subitement, elle prit conscience qu'Hylia n'était pas indifférente. Elle n'avait jamais été indifférente à leur sort. Non : elle veillait sur elle, sur Link, et sûrement sur les autres humains. Subtilement, à un plan spirituel élevé, qu'ils ne percevaient pas. Mais elle le faisait.
« Mère... Je vous remercie sincèrement. Maintenant que je vous écoute, je me dis... Au fond... Nous faisons, tous, ce que nous pouvons. Parfois, nous sommes aveugles ou sourds à ce qui est implicite. Je pensais que ce qui nous arrivait ici-bas ne vous importait pas. Je me rends compte à quel point je me suis trompée. Je vous demande pardon. »
Cette fois, le sourire de la Déesse fut compatissant. Elle hocha la tête et la regarda avec intensité.
« Je ne suis pas limitée par des croyances, répondit-elle sereinement. Jamais je ne me dirai "je ne suis pas aimée", "je ne mérite pas de vivre, d'être aimée, d'exister", "je n'ai pas de valeur". Je ne suis pas non plus limitée par mon passé ou mon vécu. Je ne connais pas le blocage psychologique, les difficultés personnelles : je suis une entité chargée de veiller sur plus petit que moi en apparence, mais détenteur d'une sagesse infinie et d'une force exponentielle. » sa voix résonnait, aussi grave et profonde qu'un carillon. « Ma fille, comme tu le vis certainement, il y a des comportements qui peuvent te paraître incompréhensibles, d'autres odieux, irrespectueux, ou bêtes. Et cela arrivera encore, c'est certain. Il est important que tu te relies à ta nature empathique : que tu ouvres, le plus souvent possible, ton cœur à la compréhension de l'autre, dans tout ce qu'il est. Et plus important encore avec ceux qui te sont chers, et proches. »
Zelda savait ses paroles vraies. Elles trouvaient un écho en elle ; il n'y avait nul besoin de prouver, de vérifier, de réfléchir. C'était le genre de paroles essentielles, qui trouvaient un écho en nous, des paroles que l'on savait intuitivement qu'elles sont vraies. Et la tête ne servait à rien pour les comprendre. Le mental ne pouvait comprendre ce genre de choses. Le mental cherchait des concepts là où il n'y en avait pas. Toujours à essayer de rationaliser. Mais le rationnel ne suffisait jamais dans une vie. Ce n'était qu'un outil.
« Les humains projettent tant de choses... poursuivit Hylia dans un soupir. J'ai vu certaines personnes en forcer d'autres à suivre leur grille de lecture affective, sans prendre en considération la différence de l'autre. Et ainsi, si un cadeau n'est pas compris, s'il est estimé comme ayant peu de valeur, il est rejeté et la personne s'enfonce dans une conviction absurde : "je ne suis pas aimée". Certains attendent même de la relation qu'elle leur apporte des bienfaits matériels, et si ce n'est pas le cas, ils s'en vont. Quelle étroitesse d'esprit... Je ressens toujours une tristesse infinie devant ces scènes. Ma fille, je souhaite que tu ne t'enfonces pas dans ces travers du mental. Tu l'as dit toi-même : vous faites tous de votre mieux, avec ce que vous vivez, ce que vous êtes, ce que vous avez appris. Je souhaite... Je souhaite que tu te sentes aimée. Je souhaite que tu te sentes respectée et acceptée. Je souhaite que tu prennes conscience de toute ta lumière, tes qualités si tu préfères, comme tes parts plus sombres, qui sont là pour te faire grandir. Je souhaites que tu gardes à l'esprit que tu es très aimée, à commencer par moi. Et avant tout, je souhaite que tu t'aimes, telle que tu es. Parce que tu es un petit bout inestimable de l'Univers, que tu es unique et que personne ne peut te remplacer. »
Zelda sentit ses yeux s'humidifier. Et son cœur s'ouvrir, s'ouvrir... Elle empêcha toute pensée jugeante de se formuler. Elle écouta sans a priori.
Hylia étendit ses bras éthérés vers le ciel.
« Quand tu douteras, rappelle-toi qu'à chaque instant, tu es aimée. Peu importent tes erreurs. L'amour est inconditionnel. C'est une énergie qui relie l'Univers entier. Les humains peuvent s'empêcher de manger, de boire, de parler, même de respirer. Mais jamais d'aimer. Même moi : je suis aussi ce bout d'univers qui transporte cette énergie à travers les cœurs.
— Maman... »
Hylia laissa ses bras reposer le long de son corps, puis tendit une main à sa fille, paume ouverte pour l'inciter à la saisir. Zelda répondit à son appel, serrant la tablette contre sa poitrine de son bras libre. Elle sentit des doigts chauds, doux, presser sa main. Elle voulait rester ainsi pour toujours.
« Certains essaient d'y renoncer, reprit la Déesse. Mais renoncer à l'amour, c'est encore pire que mourir. C'est se couper de son énergie vitale, de sa raison d'être au monde. D'autres ont peur d'aimer, ou ont vécu des choses extrêmement difficiles, et pensent que ce n'est rien qu'un ramassis de mièvreries. Ou que cela ne fait que souffrir. Comme ils se sont perdus... comme c'est terrible d'en arriver à ce point.
— Oui, confirma Zelda. Qu'est-ce que ce doit paraître vide. »
Hylia retira délicatement sa main et acquiesça d'un air grave.
« Chaque jour, fais comme si tu t'éveillais à la vie pour la première fois. La vie est un éternel présent. Ce qui est passé est révolu et n'existe plus. Le futur n'existe pas non plus. Le futur se construit.
— Pourtant... Ce que vous venez de me donner...
— Ce que je viens de te donner n'est qu'une direction à suivre. Tout comme les mots ne sont que des panneaux indicateurs pour faire comprendre une idée, un concept, des sensations. Rien ne sert de s'y attacher. Si tu n'aimes pas le mot "amour", tu peux le remplacer par "affection", "tendresse", "attachement". Amour n'est pas niais. Amour n'est qu'un mot. Un mot est un outil, un vecteur de partage. Ce qui est vrai, c'est ce qui est en toi, je veux dire profondément en toi, ce qui trouve un écho authentique. »
Zelda hocha lentement la tête.
« Voilà pourquoi je te partage ce que j'ai senti dans l'Univers. Rappelle-toi, ma fille : pour comprendre mon message, ne t'attache pas aux mots. Regarde au-dedans d'eux, dans leur symbolisme, leurs images, leurs sensations... leurs intentions. Ressens-les.
— Mais... Si je n'arrive pas à comprendre ce que vous avez voulu me partager ?
— Fais-toi confiance. Fais confiance à ton intuition... »
La silhouette d'Hylia devint soudainement floue. Zelda se sentit aspirée, de manière inextricable, vers le réveil.
Non !
« Maman ! Je t'aime ! Je te pardonne ! Attends, s'il te plaît ! »
Son corps bascula subitement en avant. Elle émergea brusquement dans le temple, poussant sur la porte de la salle au cristal, et une pression ferme sur ses épaules l'empêcha de tomber dans les escaliers en contrebas.
« Dame Zelda, résonna une voix familière. Vous êtes de retour parmi nous. On dirait que tout s'est bien passé. »
Les images, les idées tournoyaient dans l'esprit de la jeune femme.
Maman...
Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Cette fois, l'apparition d'Hylia ne l'avait pas rendue folle. Elle s'y était préparée. Impa lui laissa le temps de reprendre son souffle.
« Une prophétie, souffla Zelda. La Déesse m'a confié une prophétie.
— Bien. Vous avez réussi votre quête : je vous en félicite. A présent, vous pouvez vous acheminer vers Célesbourg afin de l'étudier.
— Vous ne m'aiderez pas ?
— Non, je regrette. La Déesse a besoin de moi ici.
— Et si je reste avec vous ?
— Non, s'obstina gentiment l'Ancienne. Vous devez aller là où est votre place. C'est à Célesbourg qu'on a besoin de vous. »
C'est vrai. Je ne peux pas rester ici. Je suis partie longtemps. Mais... je dois retrouver Hylia pour pouvoir étudier la prophétie !
C'est alors qu'elle remarqua la tablette d'argile que ses bras serraient contre sa poitrine.
« Il est temps que vous rentriez au bercail, intervint Impa en souriant. Les chevaliers qui vous escortent vous attendent dehors. Quoi que la déesse vous aie dit, ne l'oubliez pas. »
Zelda sentit ses mains trembler légèrement sous l'émotion.
« Je ne l'oublierai pas », souffla-t-elle.
Sa mère pouvait-elle l'entendre ainsi ?
La jeune femme s'élança vers la sortie du temple. Une autre quête venait de débuter.
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Merci beaucoup pour toutes vos lectures, vos votes, vos commentaires : j'écris ce message avec le cœur et j'espère que c'est toujours un plaisir pour vous de lire ce que je publie ! :)
Un merci particulier à ceux qui me suivent régulièrement, Zergath, Yveltia, greunouille16, unlapinecrivain, MagicarpeShiny !
La prophétie sera bientôt dévoilée... Patience !
Comme toujours, je reste ouverte aux suggestions de scènes, de nouveaux personnages, lieux. J'exclus le contenu de la prophétie, car je l'ai déjà écrite, donc je n'ai pas besoin de piste là-dessus :D
Au fur et à mesure du temps, je reprends certaines parties de la fanfiction pour en améliorer le style, rectifier des phrases, etc. (j'ai déjà beaucoup modifié "Ensemble", par exemple). Pour ne pas prendre trop de temps, je préfère publier les chapitres et les affiner ensuite, tranquillement. S'il y a des phrases qui paraissent moins bien tournées, c'est donc normal ! C'est secondaire pour moi. Ma priorité est de faire avancer l'histoire. Si, de votre côté, vous trouvez des trucs peu cohérents, des phrases bizarres, n'hésitez pas à le signaler, en restant bien sûr dans la bienveillance !
Voili voilou ! Vivement les retrouvailles de Link et Zelda... Et le contenu de la prophétie ! Mouahaha !
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