L'Horizon des Choix
Link se réveilla en se frottant douloureusement les yeux. L'allergie avait frappé ; en plein cœur de l'été, le pollen de l'ambroisie faisait des ravages. Il referma sa fenêtre et éternua si fort qu'il manqua trébucher sur sa commode.
Il ne manquait plus que ça.
Il plia son dos en arrière pour tenter de débloquer ses vertèbres. S'il avait gagné contre Cassandre, son corps lui rappelait à quel prix...
Link s'assit sur le lit et se massa la nuque. Il en était quitte pour se rendre au marché couvert et trouver une potion antihistaminique.
Un coup discret à sa porte le fit lever les yeux. Zelda glissa sa tête dans l'entrebâillement et s'étonna de le voir déjà debout.
« Ah, mais ce n'est pas juste ! Ta chambre était vide depuis deux semaines, et quand tu t'y trouves enfin, je n'ai même pas le plaisir d'être la première chose que tu vois... »
Link haussa un sourcil. Tiens donc ? C'était donc pour cette raison qu'elle venait le réveiller à chaque fois, depuis toutes ces années... une quinte de toux l'empêcha de penser davantage.
« Tu ne vas pas bien, s'inquiéta aussitôt Zelda en s'asseyant à côté de lui. Tu es malade ?
— Plutôt allergique.
— Mince, grimaça-t-elle en frottant son épaule. Ça va aller ? Tu veux qu'on aille voir un guérisseur ? »
Link soutint son regard, frappé par l'évidence. Elle se comportait comme s'ils vivaient ensemble. L'amie lui aurait sommé d'aller voir un guérisseur tout seul. Pas l'amante. Elle se portait aussi garante de sa santé. Il sentit son cœur s'accélérer.
Vivre ensemble.
Et voilà. C'était une idée, une projection, qui venait de s'ajouter à la réalité de la situation, de leur situation.
« J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ? s'enquit Zelda, étonnée par son silence et la fixité de son regard.
— Non. Non, c'est juste que... Je... Excuse-moi, je suis un peu fatigué.
— Tu en es sûr ? »
Il se mordit la lèvre.
« Zelda, est-ce qui ne t'est jamais arrivé de... D'imaginer que...
— D'imaginer quoi ? le pressa-t-elle, impatiente de lui tirer les vers du nez.
— Eh bien, qu'on puisse... habiter ensemble ? »
Ses sourcils s'envolèrent vers son front et une drôle de lumière illumina son regard.
« D'où est-ce que tu tiens ça ? s'esclaffa-t-elle. Waouh, c'est assez inattendu... Je ne sais même pas comment réagir à ça. Tu me parles d'allergie et maintenant de la possibilité qu'on puisse vivre ensemble. »
Son regard se fit amusé, puis se teinta de solennité.
« Tu aimerais ? » demanda-t-elle d'un ton très sérieux.
Link cligna lentement des yeux, un peu déconcerté. En fait, il ne s'était jamais vraiment posé la question. Peut-on envisager une réalité quand on l'imagine sous forme d'un rêve fantasque, d'une projection imaginaire qui fait battre son cœur sans vraiment oser lui donner forme ?
« Je crois, oui. »
Il croisa son regard et tous deux restèrent ainsi sans rien dire, plongés dans un silence méditatif. Puis Zelda saisit sa main et entrelaça ses doigts aux siens. Sa paume était tiède et douce.
« On va prendre le temps d'y réfléchir. Allons chez un guérisseur d'abord. », décréta-t-elle.
***
Au même moment, Herenya toisait Ghirahim du regard.
« Que voulez-vous ? » demanda-t-elle d'un ton acéré.
La question resta en suspens dans l'immense salle. Ghirahim se tapota la lèvre du doigt d'un air pensif. Puis il sourit d'un air poli, nullement contrarié par sa méfiance.
« Je vous propose un marché, répondit-il enfin d'un air détaché. Je vous aide à retrouver votre famille ; en échange, vous m'aidez à accomplir mon dessein. »
Herenya garda le silence, pensive.
« Et quel est ce dessein dont vous parlez ? murmura-t-elle au bout d'un moment.
— Oh, souffla-t-il d'un air de conspiration, un magicien ne trahit jamais ses secrets.
— Très bien... Qu'est-ce que vous voulez ? De l'or ? Ou des femmes, peut-être ?
— Hmpf. Épargnez-moi ces choses frivoles sans intérêt... Non. Tout ce que je veux, dit-il avec emphase, ses bras ouverts vers le ciel, c'est le Héros. Tout ce que je vous demande, c'est de l'emmener ici. » il les resserra sur sa poitrine. « Il me manque tellement, vous ne pouvez pas savoir à quel point... »
Herenya n'était pas femme à se laisser impressionner. Il y avait anguille sous roche. Elle plissa les yeux et, appuyant sur chacun de ses mots, demanda d'un ton très bas :
« Qu'est-ce que vous me chantez là ? »
Ghirahim fronça le nez d'un air ennuyé.
« Vous l'avez déjà rencontré, à ce que je vois, en déduit-elle. Si vous vous avisez de faire du mal à Link, vous pouvez renoncer tout de suite à votre requête.
— Ah, ah, ah, tout de suite les grands mots. »
Il pivota sur ses talons dans une large courbette, puis fixa la reine avec intensité, ses prunelles rouge profond figées dans un silence contemplatif. S'il n'avait pas d'informations sur sa famille, Herenya l'aurait renvoyé sans autre forme de procès. Elle détestait ses manières et ce regard aussi acéré qu'une lame de rasoir.
L'albinos n'en démordit pas, cependant. Il repartit à sa grimace d'un large sourire.
« Laissez-moi vous poser une question, Majesté. »
La jeune femme se renfrogna davantage. Il n'en tint pas compte :
« Quel est le plus important pour vous ? La pérennité d'un royaume qui vous est indifférent... ou le bien-être de votre famille ? »
Une lueur dangereuse s'alluma dans son regard. La reine renforça sa vigilance et sentit les muscles de ses épaules se crisper.
« Qu'est-ce que vous sous-entendez, au juste ? » comme il demeurait muet, figé dans son sourire, elle sentit la colère monter. « Qu'est-ce que vous avez fait ? »
Ghirahim secoua la tête d'un air navré.
« Ttt-tt-ttt ! Je suis allergique aux scènes de bonnes femmes, martela-t-il dans une moue écœurée. Je vous conseille plutôt de bien réfléchir à ma question, Majesté. Je viendrai quêter votre réponse, disons, dans... » il se tapota pensivement la lèvre inférieure. « ... Deux jours. Voilà, ce sera parfait. »
Il pivota sur lui-même dans un sourire encore plus grand que le précédent.
« Oh, une dernière chose. »
Herenya se crispa.
« Je suis votre égal, releva-t-il avec délectation. Par conséquent, je vous serais gré de me respecter en tant que tel. Si tel n'est pas le cas, ma colère pourrait bien s'exorciser sur vos proches. » son sourire s'élargit comme une entaille. « Ce qui serait fort dommage. Mais, ajouta-t-il dans un geste du bras appuyé, quelque chose me dit que cela n'arrivera pas. »
Il appuya ses propos en se pourléchant les babines, puis disparut dans un nuage de losanges.
***
Le soir venu, Herenya n'avait pas avancé d'un pouce sur la réponse. Elle observa en silence les premières étoiles apparaître dans le ciel nocturne et s'assit en tailleurs sur le tapis oriental d'Elfy.
Peut-être que vous êtes là-haut. Peut-être que vous m'observez. Comme vous devez être déçus, n'est-ce pas ? Peut-être que Ghirahim me fait miroiter quelque chose qui n'existe plus.
Elle baissa les yeux sur le minuscule pendentif au creux de sa main gauche : un magnifique ouvrage ciselé, en forme de lanterne. A l'intérieur, une matière phosphorescente brillait d'un éclat orangé.
Les mains de sa mère.
Le "tac, tac" des outils martelant, compressant, cisaillant la matière.
Le sourire de son père.
Leurs doigts enlacés devant elle, et leurs regards la couvant de toute l'affection d'un cœur humain.
Son frère.
Ses cheveux emmêlés, ses yeux clairs et limpides comme de l'eau. Ses émotions à fleur de peau. Ses pommettes sous la puissance de son sourire, si lumineux.
Que penseriez-vous de moi, aujourd'hui ?
Elle frissonna. Pour ça non plus, elle n'avait pas la réponse, et elle n'était pas sûre de vouloir la connaître.
***
Au cours de l'après-midi de cette journée-là, Link glissait la tablette de la prophétie sur un des bureaux de la bibliothèque de l'École. Il examinait chacune des runes tracées avec une précision remarquable.
« C'est bien la bonne », confirma-t-il à Zelda.
Le couple n'en menait pas large. Face aux pressions récentes, Orbo avait avoué son implication ainsi que celle d'Hergo dans les plans du Levant. Et, par le plus grand des hasards, ce dernier s'était éclipsé et demeurait introuvable.
« Je n'arrive pas à croire qu'Hergo soit derrière tout ça, marmonna Zelda d'un ton amer.
— Moi non plus. Et je gage qu'il s'est précipité à la rencontre d'Herenya, Hylia sait comment, pour rester sous sa protection. »
En réalité, Link se sentait trahi. Lui qui avait pardonné Hergo et avait entraperçu un lien, minuscule, naître... penser qu'il avait été jusqu'à orchestrer son enlèvement lui laissait un goût amer dans la bouche.
Il secoua la tête et se concentra sur la prophétie :
« Et moi qui pensais que toutes nos aventures nous auraient éclairés, soupira Zelda. Je n'y comprends toujours rien. »
Mais Link n'était pas de cet avis.
« Je crois que je commence à comprendre, au contraire.
— Ah oui ?
— Oui. Hergo est de mèche avec Herenya, on le sait à présent, nota-t-il, maussade. Le fait est que le "H" est la première lettre de leurs prénoms. Ça se prononce exactement comme "hache". Curieux, n'est-ce pas ? Trop, en tous cas, pour être une coïncidence. » il fronça les sourcils sous la réflexion. « Et ce n'est pas tout. Il y a autre chose d'assez troublant.
— Explique ?
— Quelle est l'arme de prédilection d'Hergo ?
— Eh bien... C'est la hache ! réalisa-t-elle subitement.
— Précisément. Et devine quoi ? C'est aussi celle d'Herenya. »
Zelda fronça les sourcils, regarda la prophétie, puis, saisie, porta la main à ses lèvres.
« Deux haches ensemble brandies... Il s'agit d'Hergo et d'Herenya ? Bon sang ! Mais oui ! Regarde, ça s'illumine !
— Je pense aussi que cela symbolise les combats. Ou un rapport de force quel qu'il soit. »
Les premiers mots de la prophétie se figèrent dans le même bleu lumineux que le seul vers validé : Force, sagesse et courage.
« Alors, ma vision de l'Araignée... souffla Zelda. Oui, c'était bien les yeux d'Herenya. La vision m'avait donné une partie de la réponse ! C'est incroyable... j'avais aussi vu des haches.
— Je pense aussi avoir ma petite idée en ce qui concerne le symbolisme des cieux et de la terre.
— Vraiment ?
— Oui. Les cieux pourraient nous représenter, nous qui venons du ciel, ou bien... Ils pourraient te représenter toi. La fille de la Déesse, la fille du ciel. »
Aussitôt, les mots s'illuminèrent dans une projection de particules bleutées.
« Impressionnant ! siffla Zelda avec admiration. Mais la terre, alors, qu'est-ce que ce serait ? » elle écarquilla les yeux, sous une brusque prise de conscience, puis grimaça d'un air dégoûté. « Oh non... J'espère que ce n'est pas le royaume du Levant ! »
Ils attendirent avec appréhension la réponse de la tablette.
Aucune réaction.
Link hocha la tête et prit une profonde inspiration. Il était temps.
« Zelda, déclara-t-il d'un ton grave, il est temps que je te parle de ma famille. »
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