Évoluer
La brioche était tendre et moelleuse à souhait. Sa mie fondait en bouche, et sa fine croûte sucrée collait sur les dents. Link s'amusait à ressentir chaque saveur qui naissait sur son palais avec délectation. Il y avait bien peu de choses qu'il n'aimait pas ; en tout amoureux de la nourriture, il adorait explorer son sens du goût.
Il observa Zelda d'un œil attentif. Elle n'était pas coiffée, mais ses cheveux suivaient gracieusement la courbe de son visage. Seules quelques mèches frôlaient ses joues quand elle baissait ou tournait la tête. Le reste s'écoulait le long de ses épaules et ondulait dans son dos. Elle avait cessé de les lisser depuis un certain temps et ça ne jouait pas en sa défaveur ; cela la rendait encore plus aérienne, plus gracile et, étonnamment, plus vraie. Derrière la douceur de ses traits et de son regard, il devinait sa force de caractère, une flamme de vie jamais entièrement consumée.
Zelda surprit sa contemplation et le dévisagea en haussant les sourcils.
« Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai de la brioche sur le visage ?
— Non. Je me disais que cette coiffure te va vraiment bien. »
Les mots se dérobaient encore ; il sentait toutes ses impressions positives se bousculer à sa conscience, mais n'arrivait pas à les exprimer. Si tu étais comestible, je te dévorerais et cette brioche serait fade en comparaison. Il se retint de formuler cette pensée, car Zelda le trouverait sûrement un peu dérangé.
Il espéra que ses yeux pourraient transmettre toutes ces impressions. Zelda lui assurait toujours que son regard était très expressif. Elle le soutint quelques instants, puis détourna le sien et gratta un coin de table du bout de l'ongle. Ses joues étaient devenues toutes roses et un sourire tremblotant montait à ses lèvres, comme si elle cherchait à le réprimer. Elle inclinait la tête vers la table, ses mèches formant un rideau autour de son visage. Link se pencha légèrement en avant, joueur.
« Tu veux me cacher ton beau sourire ? »
Ses joues rosirent encore plus. Et le sourire, comme une bulle de lumière, s'étendit sur son visage. Zelda releva la tête, mais son sourire s'était soudainement figé, comme dans l'attente de quelque chose.
« Je m'en veux, Link », déclara-t-elle de but en blanc. Son regard s'assombrit d'un voile d'incertitude. « Sincèrement, je ne sais pas ce qui m'a pris. »
Link se recula dans son fauteuil en gardant le silence. Face à son absence de réaction, Zelda haussa encore le regard, son expression figée d'incertitude. Puis le jeune homme fronça les sourcils.
« J'ai un truc coincé dans la dent. Attends », expliqua-t-il en arrachant une écharde de la table.
La jeune femme écarquilla les yeux, plus choquée par le fait qu'il veuille se curer la dent ainsi que par sa réaction désinvolte.
« Au nom d'Hylia, qu'est-ce que tu fais ?
— Je me cure la dent, comme tu le vois... Voilha. Ha, zhut. Ch'est un chacrhé bout.
— Link, avertit Zelda en prenant un air faussement sévère.
— Qhoi ? Hattends un peu... Là.... Ha ! Jheu le tiens !»
Le bout de brioche s'était embroché sur le pic en bois improvisé. Mais la pointe était rouge. Un goût de sang chatouilla ses papilles. Zelda saisit vivement sa main pour lui prendre l'écharde, s'arc-boutant au-dessus de la table.
« Donne-moi ça », grommela-t-elle.
Deux choses se déroulèrent simultanément. Link laissa tomber le bout de bois par terre ; dans le même temps, Zelda agrippa sa main dans l'espoir de le lui retirer. Trop tard. Elle resta bêtement la main dans la sienne, en suspens au-dessus de la table.
Link se laissa imprégner de la chaleur et de la douceur de cette main. Il en caressa le dos du bout de ses doigts d'un air pensif. Son expression se fit plus grave.
« Je t'ai dit que je t'avais pardonné. Mais en retour, j'aimerais que tu me fasses une promesse. » déclara-t-il, d'un ton profondément masculin qui fit frémir Zelda.
Elle resta le regarder sans rien dire. Link était un homme, à présent, et elle une femme. Ils n'étaient plus deux enfants, ou deux adolescents qui passaient leur temps à se chamailler. Cette subite prise de conscience remua ses entrailles.
« Oui, Link.
— Promets-moi que tu ne le referas plus jamais. »
Zelda planta son regard dans le sien. Cette fois, elle y lut tout le chagrin qu'il avait dû éprouver en la voyant se laisser charmer par un autre homme. Oui, tant d'impressions passaient dans son regard... une fenêtre sur l'âme. Ses traits se détendirent et s'adoucirent. Elle lâcha sa main, défit leur étreinte, puis contourna la table et se mit à sa hauteur.
« Je te le promets. »
Link se sentit très ému par la profondeur et la gravité de sa voix. Il sut qu'elle était complètement sincère. Il plongea à son tour son regard dans le sien. Elle ne cilla pas.
Et soudain, dans ce partage silencieux et profond, le visage de Zelda rayonna comme une fleur baignée de soleil. Elle lâcha sa main, contourna la table et plongea doucement dans ses bras. Ses lèvres embrassèrent tendrement sa tempe, ses bras enserrèrent ses épaules. Link la laissa faire et posa son menton sur le sommet de son crâne. Le parfum de Zelda s'était atténué, remplacé par son odeur corporelle, chaude et sucrée, fleurie. Son propre corps réagissait à sa présence proche, intime ; ses narines se dilataient, son buste se détendait, ses mains touchaient avec délice les cheveux blonds comme les blés. Une curieuse vague de chaleur le parcourut.
Il ne sut mesurer le temps qu'il resta avec elle dans le fauteuil. Au bout d'un moment, il enfouit son visage dans ses cheveux. Qu'est-ce qu'ils étaient doux. Il l'embrassa doucement sur le sommet du front et sentit son rire faire vibrer sa poitrine.
Une clef tourna dans la porte d'entrée. Opale et Carmin étaient déjà de retour ? Link ignorait qu'autant de temps s'était écoulé depuis son réveil. Il se dévissa la tête pour pouvoir entrapercevoir le couple frotter ses pieds contre le paillasson, et croisa le regard d'Opale.
« Vous n'êtes pas encore partis ? » s'étonna-t-elle en suspendant sa veste à la patère de l'entrée. Puis elle fixa bizarrement Zelda et se frappa le front du plat de la main. « Oh, quelle nouille ! Je ne vais pas te laisser déambuler comme ça ! Ton père va me passer un savon ... Je vais te prêter quelque chose de plus ... séant, hein ? Viens avec moi ! »
Zelda se retira à contrecœur des bras de Link. Les deux femmes partirent à l'étage. Carmin se tourna vers son invité.
« Alors, qu'est-ce qui t'est arrivé ce matin pour que tu tombes du lit ? »
Link avait complètement oublié cet épisode... embarrassant. Il rougit jusqu'à la racine des cheveux.
« Je ... J'ai été tellement surpris par la présence de Zelda que j'ai eu peur. »
Carmin n'était pas dupe. Il étudiait la réaction de son visage d'un air très amusé.
« Ah oui ? Vraiment ? Ce ne serait pas plutôt la proximité d'une jolie demoiselle fort peu vêtue qui t'a remué les entrailles... ? Tu vois de quoi je veux parler... »
Link se leva d'un seul coup et lui envoya une bourrade affectueuse dans le torse. Carmin ne s'y attendait visiblement pas, car il se rattrapa de justesse au canapé.
« Oh, c'est comme ça que tu le prends ? Tu devais être bien émoustillé, le provoqua-t-il, mort de rire.
— Je ne te permets pas ! » répliqua Link, pris au jeu.
Et il repartit à l'assaut, bien vite bloqué par la stature de bûche de Carmin. Ils se chamaillèrent tant et si bien que la table se renversa, emportée par le poids des deux hommes qui avaient mutuellement perdu l'équilibre. Leur bataille fut interrompue par l'intervention d'Opale, qui les fixait, poings sur les hanches.
« Hé ! C'est quoi ce bazar ?
— C'est pas moi », plaida aussitôt Carmin.
Opale fronça les sourcils.
« Corvée vaisselle pour toi tout à l'heure.
— Hein ? Ah non ! C'est pas juste !
— Ça vaut bien tes bêtises, répliqua-t-elle en lui tirant la langue.
— Mais et lui, alors ? rétroqua-t-il en désignant Link. C'est lui qui m'a poussé.
— Peut-être, mais il a une tête d'innocent, contrairement à toi, chéri. »
Carmin prit un air faussement dépité en répétant « c'est pas juste ».
Link sentit soudain une main chaude et douce attraper la sienne. Pendant qu'Opale et Carmin se réglaient gentiment leurs comptes, il fit face à une créature digne de contes de fées.
Avec son corset à rubans argentés, ses jupons en coton violet qui épousaient ses hanches, comme un nuage qui descendait jusqu'aux genoux, Zelda était ravissante. Ses bottines de cuir rappelaient le mauve profond du corset.
« Alors, preux chevalier ? susurra-t-elle. Je croyais que les bagarres, c'était fini ?
— Devant ma princesse, en effet », confirma-t-il en s'inclinant et en lui baisant le dos de sa main. « Laissons ces nobles gens et profitons de la journée. L'École de Chevalerie nous attend...
— Non. Plus tard. Après. » sa nervosité soudaine l'intrigua, mais il n'osa pas la contredire. « Allons à la cascade, mon chevalier.
— Ainsi soit-il », acquiesça Link en la couvant d'un regard bienveillant et sans arrière-pensées qui, cette fois, eut le mérite de la faire rougir elle. « Mais avant, je dois satisfaire un besoin primaire, si ma princesse veut bien m'excuser. »
Elle grimaça.
« Alors toi, tu as le chic pour détruire les ambiances romantiques ... »
Ce à quoi Link répartit d'un large sourire avant de rejoindre sans plus attendre les commodités.
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