Effet papillon
La pluie avait enfin cessé dans le courant de la nuit. Herenya acheva d'écrire sa lettre entamée la veille. Elle la plia, lissa ses bords puis la glissa dans l'enveloppe, qu'elle frappa du cachet de son royaume : un soleil sur fond de cire jaune.
La jeune femme sourit d'un air satisfait. Elle allait dépêcher un chevalier pour envoyer cette lettre en bonne et due forme à sa mère, Sa Majesté Elfy, reine du royaume du Levant.
Et nous pourrons mettre notre plan à exécution.
Elle regarda par sa fenêtre. De là où elle était, elle avait une vue plongeante sur la façade sud de l'École de Chevalerie. Cette École où ils n'avaient pas daigné lui aménager une chambre : la priorité aux habitants de Célesbourg. Et il n'y avait plus de place, pas même pour une princesse. Elle avait décidé de laisser cela lui passer au-dessus. Son énergie devait être consacrée à autre chose, ce plan qu'elle et sa mère avaient convenu.
Et Link...
Herenya planta ses ongles dans ses paumes. Rien qu'à y penser, la frustration, la rancœur, un peu de honte aussi, se disputaient de l'espace dans son intérieur. Elle avait pourtant éprouvé une certaine fascination pour cet homme, lui qui avait été élu par la Déesse elle-même.
Mais ce n'était qu'un homme. Elle s'en était rendue compte en tentant de le séduire.
Ce n'était pas lui qui allait se mettre en travers de leur chemin. Il lui avait même semblé... Fragile, vulnérable. Lui, le héros de la légende ! Lui qui n'assumait pas être torse nu devant une femme. A moins qu'une autre femme se cachait derrière, et ça, Herenya l'avait compris la veille au soir : conflit de loyauté, évidemment. Mais faible à ce point ?
Pourtant il se bat bien. Il se bat très bien, même.
Et la fascination se logeait toujours là, dans le creux de sa poitrine. Elle l'avait vu empoigner l'épée de légende...
Et se transformer.
Car Link fendait les airs comme les ailes d'un oiseau prennent les courants : avec une grâce que nul n'égalait, une légèreté qu'on ne pouvait soupçonner. Quand il se battait, il semblait accéder à une version de lui-même presque légendaire, mythique ; il parait tous les coups comme si rien ne pouvait jamais l'atteindre. C'était un danseur émérite, tordant l'espace, le pliant à sa volonté. Un épéiste hors-pair, tranchant, fendant, virevoltant, esquivant, parant, sans jamais s'essouffler : il faisait corps avec son arme, comme si sa véritable nature se déployait pendant les affrontements, fussent-ils des entraînements. Herenya n'avait jamais réussi à le toucher une seule fois. Il semblait prévoir chacun de ses coups avant qu'elle ne les porte, presque avant qu'elle ne les pense, qu'elle ne les conscientise dans son esprit.
Non. Au combat, il n'était plus du tout le même. Curieux... Important à retenir.
Elle tressaillit en le voyant soudain quitter l'École, petite silhouette marchant au loin. La jeune femme blonde de la veille le suivait ; ils se tenaient la main. Herenya ressentit la colère de ceux qui cherchent à contrôler l'autre, à le faire se plier à sa volonté sans y parvenir.
Qui était-elle, d'ailleurs, cette femme ? Elle ne l'avait jamais vue. Elle avait entendu parler d'elle, partie en mission divine, mais vaguement. Les gens ne pouvaient pas lui donner plus de détails, eux-mêmes ne savaient pas trop. Et comme Herenya n'était plus dans son royaume, elle n'avait aucun droit d'exiger une quelconque information. Elle était sous une autre juridiction ; Elfy l'avait prévenue. Ici, elle était impuissante, surtout avec l'Élu de la Déesse.
Tiens, la blonde porte un sac, le même qu'hier soir. Qu'est-ce qu'elle a bien pu trouver ?
Ce soir, cette femme diffuserait ce qu'elle avait ramené de son "pèlerinage" devant Célesbourg.
Herenya sortit de sa chambre avec l'enveloppe, frustrée. Elle allait s'ennuyer jusque-là. Elle quitta le bâtiment, d'humeur morose. Alors qu'elle réfléchissait, elle manqua percuter quelqu'un.
Qui s'empressa de l'injurier copieusement.
« Je ne vous permets pas ! » rugit-elle en le fusillant du regard.
Par tous les dieux réunis, mais qu'est-ce que c'est que cette coupe ?
Sa colère s'essouffla devant sa perplexité. Le type avait essayé de se donner un style en lissant ses cheveux vers l'avant, une sorte de crête ratée, ressemblant à une corne.
« Hé, l'Extérienne, c'est toi qui m'a foncé ded... Attends un peu. Tu... Vous ... Vous êtes la princesse Herenya ? »
Il avait plissé ses yeux d'ambre.
« En effet, persiffla-t-elle entre ses dents serrées. Et je vous prierais de me montrer un peu de respect, quand bien même je ne serais pas princesse. C'est ainsi qu'on vous éduque à Célesbourg ? »
L'autre se mordit les lèvres d'un air d'excuse. Bien.
« Excusez-moi, je n'étais pas de très bonne humeur.
– Je l'avais remarqué. » elle décida de profiter de l'occasion pour partir à la pêche aux informations. « Disons que vous êtes pardonné si vous répondez à une question. (l'autre acquiesça). Est-ce que vous connaissez bien Link ? »
Le grand gaillard se trémoussa sur ses pieds. Manifestement, il était gêné... Et en colère. Elle n'avait pas loupé cette petite étincelle dans son regard. Intéressant.
« Ouais. Oui, pardon. On se connaît depuis qu'on est gosses. Si je peux me permettre un conseil, ne l'idéalisez pas. C'est peut-être l'élu de la Déesse, mais il m'a volé la femme de ma vie.
– Il vous a volé la femme de votre vie ? répéta Herenya, très intéressée.
– Comme je vous dis. Zelda, elle est à moi. Et le pire, c'est que j'ai dû lécher les pieds du Directeur pour m'excuser de l'avoir frapp... un peu malmené. »
Ainsi, la femme s'appelait Zelda... Et ce grand gaillard avait frappé Link ? De plus en plus intéressant. Une idée germa dans son esprit. Une idée brillante, qui les aiderait, elle et sa mère, à atteindre leur objectif.
« Comment vous appelez-vous ? s'enquit-elle.
– Hergo. Et je suis élève de l'École de Chevalerie.
– Eh bien, Hergo, je pense que je pourrais vous aider. Et vous pourriez m'aider en retour.
– Vraiment ?
– Oui. Voyez-vous, nous avons un intérêt en commun... vous aimez Zelda. Moi, c'est Link qui m'intéresse... Mais je manque d'informations et de réseau, vous voyez ? Venez avec moi. Je vais vous expliquer ce que nous pourrions faire... »
***
Le débit de la rivière avait pratiquement doublé en raison des fortes pluies. L'eau dégouttait des arbres, et la terre était trempée. Les chaussures de Link et Zelda produisaient des bruits de succion à chaque contact avec le sol. Le chemin devenait si boueux par endroits qu'il formait des flaques d'eau.
« J'espère que la caverne ne sera pas noyée, se lamenta Zelda dans une grimace. Le sol est trempé, on ne pourra pas s'asseoir sans se mouiller.
– Pour ma part, je n'hésiterais pas à mouiller ma chemise. »
Zelda lui jeta un regard désabusé. Mais un demi-sourire retroussait ses lèvres.
« Très drôle, Chemise-Mouillée.
– Aïe. Ça, c'est pour te venger de la Banane.
– Tout juste. Le Héros élu de la Déesse, Chemise-Mouillée ! Tu ne trouves pas que ça donne un certain style ? Tu pourrais même lancer une mode.
– Célestin y adhérerait sûrement ! »
Les deux amis échangèrent un sourire complice et marquèrent une pause devant la caverne. Il s'agissait d'une petite ouverture dans la paroi de la roche, une faille qui s'était élargie quand Célesbourg avait regagné la terre ferme. Zelda passa la tête dans la brèche. Les rayons du soleil transperçaient l'obscurité. Au loin, des « plic, plic » réguliers résonnaient, là où les parois de la cavité se rétrécissaient tant qu'un hylien n'aurait pu s'y engager qu'à quatre pattes, le plafond raclant son dos.
« C'est bon. On peut y aller, Chemise-Mouillée.
– Bien reçu. Tu comptes m'appeler comme ça toute la journée ?
– Je vais y réfléchir, mon cœur, répartit-elle d'un ton emprunté.
– Je préfère déjà ça ! »
La jeune femme s'assit sur un promontoire rocheux, se calant contre le mur. Link s'installa en face d'elle, si près que leurs genoux se touchaient presque. Ce n'était pas très confortable, mais au moins personne n'irait les trouver là.
« Bon ! Eh bien, nous y voilà ! Je te préviens, la prophétie est assez... Sibylline.
– A tes souhaits.
– Ha ha, très drôle. Tu sais au moins ce que ça veut dire, sibyllin ?
– Énigmatique, non ? Quelque chose dans ce goût-là.
– Bon, ça ira pour cette fois. Tu t'en sors bien, Chemise-Mouillée.
– Je t'en prie, ma petite banane. »
Zelda fronça le nez, écarquilla les yeux et leva les sourcils en même temps. Link éclata de rire.
« Tu as des faciès très intéressants. C'est le surnom qui te fait cet effet ?
– Je préfère de loin l'autre que tu avais trouvé. C'est beaucoup plus poétique.
– C'est vrai, mais pour ta gouverne, Chemise-Mouillée n'est pas ce qu'on trouve de plus romantique !
– OK. Un partout, alors. Ex-æquo, on reprend de zéro ?
– Ça marche. » satisfait, ou pour se réchauffer, Link se frotta les paumes des mains. « Je peux lire la prophétie ? »
Zelda hocha la tête et desserra l'élastique qui fermait le sac de toile. Elle sortit précautionneusement la tablette, espérant qu'elle n'avait pas pris l'eau. Heureusement, elle était parfaitement sèche et lisible. Elle la tendit à Link, qui la maintint fermement entre ses mains et se concentra sur sa lecture.
« Zelda ?
– Ouaip.
– On a du boulot. »
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Et voilà ! Après une semaine de voyage, je reviens avec quelques idées en tête pour la suite de la fanfic. J'espère que ça vous motive à attendre la suite. Mais qu'a donc en tête Herenya ? Suspense...
La prophétie est enfin dévoilée ! :D Vous pouvez donner vos idées de décryptage en commentaires... attention, ce n'est pas si simple que ça peut en avoir l'air. Certains vers qui sembleront peut-être évidents ne le sont pas tant que ça ;) (ce serait trop facile !)
J'ai eu des petits soucis avec la mise en page de la prophétie (Wattpad n'est pas très pratique pour ça : il saute une ligne au bout de deux lignes consécutives ...) et l'image est beaucoup trop grande sans que je ne sache pourquoi (ça ne vient pas de mon logiciel). J'ai fait au mieux !
A suivre, très très bientôt !
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