Link tira la chaise du bureau et s'y assit. Son expression s'ombrait de gravité à mesure qu'il réfléchissait dans quel ordre annoncer ce qu'il avait à dire. Zelda s'assit en face de lui, grattant le bord du meuble dans un geste nerveux. A cette période de l'année, personne ne se rendait à la bibliothèque de l'École. Ils étaient seuls.

« Par où commencer... » murmura Link, les yeux dans le vague. Il caressa le bureau du doigt. « Que sais-tu de ma famille et de mon passé ? »

Zelda soutint son regard, rassemblant le peu d'éléments qu'elle connaissait.

« Ton père a eu un accident de célestrier quand tu avais huit ans. Gaepora t'a recueilli à l'École de Chevalerie. C'est comme ça qu'on s'est connus. »

Il n'avait jamais parlé de sa mère, et Gaepora se refermait chaque fois qu'elle voulait en savoir plus sur le sujet, arguant que c'était à Link de lui en parler.

Le jeune homme se tordit les mains en opinant du chef.

« D'accord », acquiesça-t-il en se mordillant les lèvres. « Très bien. »

Un long moment de silence passa. Zelda grattait le bureau de ses ongles en suivant les lignes du bois, tandis que Link éteignait et rallumait la lampe à huile qui servait à la lecture.

« En fait ... Ce n'est pas tout à fait vrai », déclara-t-il enfin. 

Zelda fronça les sourcils et plissa les yeux pour exprimer son incompréhension.

« Cet accident s'est bel et bien produit, expliqua Link, mais mon père n'en est pas mort. »

Oh.

Elle redressa le dos et le scruta avec attention, interloquée.

« Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Je dois t'expliquer quelques petites choses avant. » il leva les yeux vers elle. « Promets-moi de n'en rien dire, à personne. »

Elle ouvrit la bouche pour protester, puis se ravisa. Parler du passé de Link était toujours très délicat, et elle pensait qu'il avait été traumatisé par la disparition de son père. Mais s'il était toujours en vie, pourquoi le taire ?

« Je te le promets », répondit-elle avec sincérité. Elle hésita. « Pourquoi veux-tu que je n'en parle pas ? »

Le regard de Link se fit distant. Il ferma les paupières dans un long soupir.

« Parce que je ne suis pas né à Célesbourg. », dit-il enfin.

Le cœur de Zelda se figea. Quoi ? Qu'est-ce qu'il racontait ? Ce n'était pas possible... Ce n'était même pas envisageable. S'il ne venait pas de Célesbourg, alors d'où venait-il ? Et surtout, comment pouvait-il le savoir ? Elle le connaissait depuis son plus jeune âge, tout de même ! S'il venait d'ailleurs, elle le saurait...

Elle le saurait forcément.

N'est-ce pas ?

« Mais enfin... ce n'est pas possible, tu le sais, balbutia-t-elle.

— Pourtant, ça l'est. »

Il y avait une dureté dans son regard, un éclat qui ne lui ressemblait pas. Que cachait cette improbable vérité ? Elle se referma sur elle-même en croisant les bras, par peur d'entendre la réponse.

« Je sais que je suis né en-dessous des nuages, poursuivit Link, parce que je m'en souviens. »

Les yeux de Zelda s'écarquillèrent sous la surprise. Un pincement désagréable noua son ventre.

« Tu n'en as jamais rien dit... » laissa-t-elle échapper, prise de court.

Elle agrippa le bord de la table. Elle commençait sérieusement à avoir peur. Qu'allait-il lui dire ? Qu'il partirait ? 

Et surtout, que lui cachait-il encore ?

Calme-toi. Respire.

Inutile de s'imaginer des choses qui n'existent pas.

« Mon père... reprit Link, hésitant devant sa réaction. Papa m'a emmené ici, à Célesbourg, quand j'ai eu sept ans. Il est resté un an avec moi pour continuer mon éducation, m'aider à m'adapter et me préparer à son départ.  Il m'affirmait que je ne pourrais pas le suivre, que je devais vivre ici. » il marqua une pause et s'humecta les lèvres. « Mais je ne savais pas pourquoi. Et lui il me répétait sans cesse que je ne pouvais pas le comprendre. Que je saurais en temps voulu. Maintenant, je sais pourquoi. »

Son regard se fit incandescent. Zelda, elle, se glaçait un peu plus.

« Une part de la réponse se cache peut-être dans ma destinée. Je devais te rencontrer. Je devais m'entraîner à l'École de Chevalerie. Je devais te suivre, toi, et combattre l'Avatar du Néant.

— Mais... souffla-t-elle. Quelle est cette autre part de réponse ? Et d'où est-ce que tu viens ? De quelle région, de quel village ? Et comment est-ce que tu peux savoir que ton père n'est pas... n'est pas... »

Le regard de Link la transperça comme une flèche.

« Je viens du Levant. La terre dont parle la prophétie, dit-il enfin, c'est moi. »

La tablette crépita aussitôt, et les deux protagonistes levèrent les bras pour se protéger de sa luminescence.  Le cœur de Zelda s'était transformé en acrobate dans sa poitrine.

« Mon père, reprit Link d'une voix plus forte, n'était autre que le roi du Levant. »

Les yeux de la jeune femme s'exorbitèrent.

« Par tous les poils de fesse de Lemly ! jura-t-elle. Tu plaisantes ?

— Pas le moins du monde, affirma-t-il d'un ton grave. La reine, ma mère, était malade, frappée par une malédiction démoniaque. Pour éviter que je subisse le même sort, papa a prié Hylia de toutes ses forces. La Déesse lui a ordonné de m'envoyer à Célesbourg. Afin qu'il y parvienne, elle a fait descendre un célestrier. Le célestrier vermeil. » il serra les poings contre le bureau. « Voilà pourquoi je partage un lien si particulier avec lui. Il est mon seul, mon unique lien avec mon père. Avec ma famille. »

Zelda était trop sous le choc pour répondre quoi que ce soit.

Par le sang d'Hylia, c'est tout bonnement inconcevable !

Link jouait avec ses doigts d'un air embarrassé.

« Pendant cette année d'absence, maman... a trouvé la mort. Le royaume s'est ébranlé... Jusqu'au jour où une puissante aristocrate s'est mise à revendiquer le trône : Elfy. Elle est une cousine éloignée de ma mère. » son regard se fit plus trouble.  « Tu me demandes comment je sais tout cela. C'est parce que, pendant toutes ces années, je communique avec mon père. »

Il observa ses doigts continuer leur curieuse danse, se crochant les uns aux autres, s'entrelaçant et se délaçant successivement.

« Le lien du cœur, conclut-il.

— Depuis tout ce temps ? souffla encore Zelda, impressionnée.

— Oui. »

Elle cilla, ignorant quelle réaction adopter. Choc, surprise et perplexité se disputaient l'espace intérieur de ses émotions.

« C'est incroyable... Ton papa est encore en vie », laissa-t-elle échapper.

Cette fois, Link soutint son regard, comme s'il était étonné qu'elle ne s'évanouisse pas sous le choc des révélations.

« Tu pourrais le retrouver », ajouta-t-elle pourtant, une lumière dans les yeux.

Il hocha timidement la tête.

« Et... hésita-t-elle. Est-ce que tu avais des frères et sœurs ? »

Nouvelle danse de doigts.

« Pas biologiques. Mais à certaines périodes, nous rendions visite à mon oncle, le frère de mon père. Le père d'Herenya. » il ferma les paupières quelques instants. « C'est la raison pour laquelle elle a été choisie par Elfy.  La reine ne faisait que consolider sa position et son pouvoir d'influence grâce à elle. » il rouvrit les yeux.  « C'est une raison qu'Herenya ignore. Elle pense que sa famille est d'origine pauvre et qu'Elfy l'a sauvée. »

Il poussa un soupir.

« Je n'avais pas fait le rapprochement entre mon élève et l'Herenya de mes souvenirs, reconnut-il, jusqu'à ce qu'elle m'avoue la vérité de ses origines. »

Il reporta à Zelda ce que la princesse lui avait appris.

« Déesses, murmura-t-elle, j'ai l'impression de me prendre une brique sur la tête avec toutes ces histoires. Mais tu peux m'expliquer comment il est possible qu'Herenya ignore que son père est le frère du roi ?

— Sans doute pour préserver son innocence et lui permettre d'évoluer comme une personne ordinaire. Elle aurait été mise au courant plus tard, j'imagine. Elfy a dû volontairement mettre sous silence la vérité, afin mieux la garder sous son emprise. Elle a dû lui dire qu'elle avait été choisie par les anciens dieux pour être princesse. Il est facile d'embrigader un esprit jeune. Il en garde les marques, même rendu adulte.

— Admettons... Mais c'est quand même dingue. Pourquoi ton oncle n'a rien fait ? Pourquoi Elfy n'a pas choisi son roi et perpétué sa propre lignée ?

— Je pense qu'il nous manque des éléments. Et je pense aussi qu'avec tout ce que tu as appris, tu as déjà un sacré grain à moudre. »

Zelda inspira profondément et se renversa dans son fauteuil. Elle osait à peine croire en tout ce qui s'était dit dans cette pièce. Link, le fils du roi... l'héritier du royaume du Levant en personne.

« Woah, lâcha-t-elle en se redressant, l'esprit en ébullition. Le roi du Levant court dans la nature, son héritier est le Héros, la reine est une tarée et la princesse est une psychopathe qui ignore tout de ses origines. Woaaah, répéta-t-elle en lissant ses cheveux sur son crâne. C'est complètement dingue. »

Elle se massa les paupières et recouvrit son nez de ses mains, encaissant le choc.

« Il y a quelque chose que je dois t'avouer aussi, dit-elle au bout d'un moment. Je connais Herenya, moi aussi. »

Link l'écouta expliquer ses rendez-vous quotidiens avec la jeune femme lorsqu'elles étaient petites filles.

« C'est à croire qu'elle faisait le lien entre nos univers, avant de tout faire pour nous séparer, remarqua-t-il. Comme une sorte de pont-levis...

— Oui, approuva Zelda. Je pense que tu as trouvé une image des plus appropriées ! La vache, avec toutes ces révélations, je vais bien dormir, moi ... »

Link sourit, presque contrit. Il avança ses bras pour lui saisir les mains. Elle se laissa faire, touchée par une vague de tendresse.

« Je suis désolé que tu n'apprennes tout ça que maintenant. Mais je voulais oublier cette part de ma vie. Je pensais ne plus jamais revoir mon père, ni le Levant, ni Herenya. Je me suis trompé. Et tu avais le droit de savoir. »

Elle eut un sourire tordu. L'anxiété se logeait toujours là, au creux de son ventre.

« Link, il y a une question qui me turlupine depuis tout à l'heure ... Est-ce que tu... Est-ce que tu vas t'en aller et me laisser toute seule ? »

Ses mains tremblèrent. Link raffermit sa prise sur ses doigts pour calmer ses mouvements nerveux.

« Regarde-moi. »

Elle obéit aussitôt.

« Jamais je ne te laisserai toute seule. J'ai réservé la chose la plus importante pour la fin. L'Uni dont parle la prophétie est le royaume. Ce royaume, c'est à nous de le construire. » il enfonça son regard dans le sien. « Ensemble. »