Link plongea dans les rangs ennemis. Il faucha le Lézalfos en se glissant sous ses pattes. La lame mordit sa chair, le coupant presque en deux. Puis il roula sur le côté et projeta un Bokoblin en l'air d'un coup de pied bien visé. Il se redressa souplement. Les ondes du combat faisaient vibrer sa poitrine.

Accorde-toi à l'harmonie juste.

Il invoqua rapidement l'éclat céleste et le projeta contre les ennemis les plus proches, qui tombèrent lourdement comme des sacs de patate. Les coups d'épée pleuvaient sur les autres, tantôt d'estoc, tantôt de taille, d'une précision infaillible et d'une puissance inégalée.

Jusqu'à ce qu'un coup le tire brutalement en arrière. Des griffes lacérèrent ses épaules, mais la cote de maille les empêcha de le blesser. Il tomba rudement sur le dos. Une onde de douleur se propagea à travers son corps entier.

« Tu croyais t'en tirer comme ça, freluquet ? »

Le Lézalfos ? Il était encore debout ?

Il se ferait encore moins à l'idée qu'il puisse parler.

L'ennemi abattit son bras de pierre. Link se protégea de son épée juste à temps. Le choc des matières fit vibrer les muscles de ses bras ; il serra les dents et encaissa. Il repoussa son assaillant, non sans mal, et roula sur le côté. Alors que le Lézalfos s'élançait sur lui, il lui asséna un violent coup de pied en-dessous du genou, ce qui le déséquilibra. Il se releva en ignorant la douleur pulsant le long de son échine et de ses bras. Au lieu de quoi, il manœuvra pour se retrouver derrière l'ennemi et lui enfonça sa lame entre ses omoplates. Le Lézalfos hurla et se désintégra instantanément.

Il restait une vingtaine de Bokoblins face à lui. Le tiers avait été décimé.

Link jeta un coup d'œil vers les autres. Orbo, Latruche, Hergo, Gaepora et Zelda plaçaient les chaises en protection autour des invités. Kiko, Grida, Opale, Carmin et Them repoussaient les assaillants qui reprenaient progressivement leurs esprits à coup de torche, de louche, de coups de poings et de pieds.

Les fenêtres vomirent une nouvelle vague de Bokoblins, qui s'empressa de venir harceler les combattants. Link sentit son ventre se nouer. Deux Lézalfos s'étaient joints au groupe, et les cliquettements d'un Stalfos ébranlèrent la salle quand il se réceptionna lourdement sur le sol.

Par Hylia, mais combien sont-ils ?

La lumière spectrale s'intensifia. Des projecteurs jaillirent des lumières aveuglantes sous forme d'animaux divers, de visions fantomatiques, distrayant les chevaliers. Un rire glaçant se répercuta entre les miroirs acoustiques.

La réalité de sa situation le rattrapa. Il se défendit contre les ennemis qui venaient lui-même le harceler. Il prit conscience qu'il se faisait lentement encercler.

« A qui obéissez-vous ? hurla-t-il à la cantonade. Que faites-vous ici ?

— Ça te regarde ? brailla un Bokoblin bleu en faisant tournoyer sa machette d'un coup de poignet.

— Depuis quand parlez-vous ?

— Depuis que l'Araignée nous l'a accordé ! »

L'Araignée. Elle tisse sa toile...

« Tais-toi, imbécile ! On était pas censés le dire ! »

La belle assurance qu'ils avaient avant de combattre Link s'effritait à mesure qu'ils prenaient conscience de sa puissance.

« Qui est l'Araignée ? »

Le guerrier resta fermement campé sur ses deux jambes, préparant son attaque circulaire. Il avait juste besoin d'un peu de temps...

« Qu'est-ce que vous voulez ? demanda-t-il encore.

— Ce qu'on veut ? » le Bokoblin retroussa ses lèvres dans un sourire sinistre. « Toi, bien sûr ! »

Moi ?

Cela le surprit tant que, l'espace d'un fugace instant, il baissa sa vigilance.

Une masse s'abattit lourdement sur sa nuque, un autre coup frappa sa tempe. Link s'effondra.

***

Zelda apportait la dernière chaise quand elle entendit le choc sourd. Elle écarquilla les yeux en voyant Link étendu sur le sol, sans connaissance. Deux Bokoblins avaient déjà saisi ses bras. Elle se figea d'horreur, puis bandit ses muscles pour s'apprêter à courir.

« Laissez-le tranquille, espèce de monstres ! » hurla-t-elle.

Elle prit sa torche et s'élança vers eux. Bon sang, qu'est-ce qui lui avait pris ? Qu'est-ce qui leur avait pris ? La horde de démons de Ghirahim ne parlait pas, elle était complètement stupide, et elle était désorganisée. Si tel avait été le cas aujourd'hui, ils auraient pu les abattre sans problème. Ces Bokoblins-là, en revanche, étaient intelligents. Ils parvenaient à anticiper les coups et agissaient en groupe. Et leurs armes avaient beaucoup plus de puissance de frappe.

A l'autre bout de la salle, Link ne réagissait toujours pas. La rage de Zelda transforma la lumière spectrale de sa torche en un bleu éclatant, sifflant et crachant autour d'elle, la flamme doublant de volume.

Je ne les laisserai pas faire ! Je te défendrai, tu m'entends, je te défendrai...

Les Bokoblins tournèrent leur attention vers elle, surpris par cette démonstration de puissance. Ils laissèrent retomber les bras du jeune épéiste inconscient.

« C'est la fille de la Déesse ! » cria l'un d'entre eux.

Les ennemis arrivés en renfort, qui étaient sur le point de l'intercepter, hésitèrent.

Maintenant !

Par la force de son esprit, sans réfléchir, Zelda projeta des serpentins enflammés vers eux. Plusieurs Bokoblins se consumèrent et s'évanouirent dans des cendres. Elle continua à courir vers Link. Ses agresseurs avaient reculé. La jeune femme perçut le bras de son compagnon tressauter : il reprenait enfin connaissance. Sa tempe saignait légèrement.

Soudain, une forme fondit vivement sur elle. Elle sentit ses pieds décoller absurdement du sol. Un Lézalfos la tenait à bout de bras, le regard méchant.

« Lâchez-moi ! beugla-t-elle.

— Laissez-moi réfléchir... Non. »

Elle n'allait tout de même pas assister, impuissante, à ce que ces monstres voulaient faire de Link ! Leur cercle se resserrait déjà autour de lui, observant du coin de l'œil les crépitements furieux de la torche. Le Lézalfos la maintenait fermement, entravant ses bras de sorte qu'elle pouvait difficilement se débattre.

Alors Zelda laissa l'angoisse, la terreur et la colère se déchaîner en elle. Une énergie sourde qui se diffusa dans tout son corps, tout son champ énergétique. Des projections bleutées s'échappèrent de sa torche et parcoururent la salle en sifflant comme autant d'étoiles filantes. Plusieurs Bokoblins furent touchés par les flammes et se désagrégèrent. Le Lézalfos qui la tenait fut immédiatement carbonisé. Zelda toucha à nouveau terre et continua sa progression vers Link, torche brandie en avant. Pourquoi diable avaient-ils construit un réfectoire si large !

Heureusement, il continuait de bouger. Il avait plié un coude et redressait douloureusement la tête. Le cercle ennemi formait à présent un étau sur le point de fondre sur lui.

Sans compter que d'autres formes trapues jaillissaient des fenêtres dans un flot continu. Ils n'allaient pas tenir longtemps. Et sans le Héros, c'était déjà perdu d'avance.

« LINK ! » hurla Zelda du plus fort qu'elle put. « Tiens bon ! J'arrive ! »

Il l'entendit. Elle le sut instinctivement. Le lien du cœur s'illumina et se renforça.

Il y avait désormais dix Lézalfos et cinq Stalfos. Les chevaliers se battaient du mieux qu'ils pouvaient, mais ils reculaient de plus en plus vers la maigre protection des chaises, et les invités ne pouvaient rien faire d'autre qu'assister, impuissants, au spectacle.

Link, je t'en prie, relève-toi... Mère, je vous en supplie, aidez-nous...

                                                         ***

Projetée dans la matière, Herenya avait transposé son esprit dans un des murs. Une opération qui demandait beaucoup de concentration, mais elle s'était durement entraînée, et le pouvoir de son sang était puissant.

Tout se déroulait comme prévu... à quelques contrariétés près. Link était plus coriace qu'elle ne l'imaginait. Elle n'avait pas pris en compte le facteur émotionnel. Même les quelques chevaliers défenseurs luttaient avec acharnement.

Et puis, il y avait eu l'intervention de Zelda. La fille de la Déesse... Cela aussi, elle ne l'avait pas pris en compte. En fait, elle ignorait que ce petit bout de femme pût être un rejeton d'Hylia. Ainsi, le prophète prétendument fou de sa mère avait dit vrai... La Déesse avait une fille. Elles auraient dû l'écouter, finalement. Mais l'orgueil d'Elfy ne voulait pas entendre que, quelque part, il existait une femme au sang plus puissant que le sien.

Maintenant, ce prophète était sûrement mort dans son cachot. Quel gâchis... Tant pis. Le prochain serait meilleur.

Le plan était simple, pourtant. Du point de vue d'Hergo, il s'agissait simplement de lui amener Link pour un conciliabule pendant que lui pourrait approcher Zelda. Cet imbécile pensait pouvoir conquérir Zelda... Du point de vue d'Herenya, cependant, c'était tout autre chose. Les ordres d'Elfy ne pouvaient être révoqués. Les monstres étaient sous ses ordres. Il avait suffi qu'Herenya fasse une transposition de son corps à la Salle du Trône pour informer sa mère du déroulé des événements. La reine avait alors élaboré ce piège, ridiculement simple mais efficace. Le but était double : d'abord effrayer les habitants de Célesbourg pour qu'ils quêtent la protection du Levant - et donc, se mettent sous ses ordres. Elfy adorait les mises en scène.

Le deuxième but, c'était à Herenya de s'assurer de son bon accomplissement.

Et Herenya y parviendrait.

                                                               ***

Zelda avait enfin rejoint Link. Les poumons en feu, elle s'agenouilla, enserra sa taille de son bras libre et l'aida à se relever. Sa propre respiration devint brûlante sous l'effort.

« Ensemble », lui dit-elle d'un ton déterminé.

Link aurait pu lui répondre n'importe quoi. Qu'elle avait eu tout faux, qu'elle aurait dû l'écouter, que quelqu'un d'autre qu'Hylia avait touché à la prophétie, qu'elle devait faire confiance à son intuition, qu'il était en colère contre elle, que tout cela aurait pu être évité...

Mais il s'appuya plus fort contre elle, presque comme s'il l'enlaçait, et répondit :

« Ensemble. »

Quelque chose se produisit alors, quelque chose au-delà du lien du cœur, une énergie profonde et vibrante ; le feu glacé de la rage, le feu brûlant du guerrier ; le ciel et la terre ; une vague de puissance pure émanant de leurs corps en harmonie l'un contre l'autre. L'espace d'un instant, Link et Zelda devinrent énergie pure, sans corps ni matérialité. Une seule entité, qui dirigea sa force concentrée vers les ennemis qui leur faisait face. Un tout uni, sans frontières, sans limites, sans barrières. Un chœur énergétique au-delà du temps et de l'espace, battant à la même mesure, se fondant dans l'univers comme la fusion de deux étoiles.

De cette fusion extraordinaire jaillit une formidable explosion de lumière, qui s'abattit sur toute la salle comme si les puissances de l'univers elles-mêmes se déchaînaient.

Mais la seconde d'après, une force incroyable les sépara de nouveau, les empêchant de neutraliser l'ennemi. Sous l'impact, Link fut violemment projeté contre le mur. Zelda fut expulsée de l'autre côté, glissant sur le sol jusqu'au milieu d'un groupe de Bokoblins. Elle serrait si fort sa torche que les jointures de ses doigts avaient blanchi. Paniquée, elle agita l'arme dans tous les sens, dispersant les ennemis qui hurlèrent sous la morsure du feu.

Je dois me relever ! Vite !

                                    ***

Enfin ! pensait Herenya depuis le mur. C'était elle qui avait séparé Link et Zelda avant qu'ils ne déciment tous les rangs des monstres, au prix d'un immense effort. Elle avait repris de justesse le contrôle de la situation.

Le plan prenait plus de temps, mais il allait aboutir.

                                      ***

Zelda reprenait péniblement son souffle. Elle ne sentait plus de vitalité dans ses muscles. Elle n'arrivait pas à se lever. Heureusement, les borborygmes des assaillants s'éloignaient d'elle, comme s'ils lui laissaient un répit. Elle vit les chaussures d'Opale se précipiter vers elle, puis une main se tendre pour l'aider à se relever. Même ainsi, elle commença à retomber mollement. Alors les mains saisirent sa taille et elle s'appuya contre l'épaule de la jeune femme, à bout de souffle. Elle se sentait vidée.

« Ils sont en train de repartir », l'informa Opale, la respiration hachée. « C'est incompréhensible. C'est comme s'ils étaient venus chercher quelque chose... et qu'ils repartaient avec. »

Zelda sentit son estomac se nouer, son cœur se glacer.

Tout là-bas, sur le mur du fond en-dessous des hautes fenêtres, où Link était censé se trouver, ne subsistaient que les torches qui avaient retrouvé leur éclat rouge habituel. Les derniers Bokoblins remontaient les cordes, et bientôt même les cordes furent tirées dehors.

Sur le sol, des traces, à peine visibles mais récentes, de sang.

Ils avaient emmené Link.

                                                             ***

Par tous les anciens dieux réunis, s'ils n'avaient pas résisté, tout cela aurait été ridiculement plus simple et rapide.

Herenya réintégra son corps, assis en tailleurs dans sa chambre. Puis elle ferma les yeux et se dissipa à nouveau dans la matière. Elle se retrouva subitement dans la Salle du Trône, au cœur du Levant. Debout au milieu de la pièce, la reine se tourna brusquement vers elle. Ses cheveux noirs bouclaient merveilleusement autour de son visage tout en rondeurs, évoquant une douceur mortelle. Elle avait de longs ongles vernis, des mains fines et agiles capables de manier l'épée avec une grâce fulgurante. Ses lèvres pourpres se retroussèrent dans un sourire satisfait, un sourire qui avait cette puissance trompeuse de sincérité innocente.

« Excellent. Je veux voir le Héros dans les plus brefs délais. Quant à toi, poursuis ton apprentissage comme d'habitude. Ainsi personne ne songera à te soupçonner. Je te tiendrai au courant. Je trouverai un moyen pour que tu viennes nous rejoindre, le Héros et moi. »

Elle la fixa du regard et Herenya fut aussitôt expulsée de la pièce.

Sur ses paupières fermées palpitait encore l'incroyable intensité des yeux verts d'eau.

Des yeux perçants d'araignée.

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Par Hylia, que de rebondissements !

Ces deux chapitres ont été écrits quasiment en même temps, mais trop longs pour en former un seul : voilà pourquoi il y a deux publications cette semaine ! :-)

Mon rythme risque d'être assez aléatoire, car je vais m'engager sur un nouveau projet professionnel. Mais je garde en tête la dynamique de l'histoire.

Un merci particulier à Zergath : tu me permets de voir ce qui est bien clair dans la fanfiction, et ce qui l'est moins :-)

Merci aussi à Mr Titanic, tes commentaires me donnent toujours le sourire et ils sont plein de pertinence :-)

Et bien évidemment merci à tous mes lecteurs, à vous tous, pour voter et lire tout simplement. C'est déjà beaucoup. Merci :)

On dirait qu'un nouvel obstacle sépare Link et Zelda. Mais ce n'est que partie remise... N'est-ce pas ?