Aimer
La journée promettait d'être claire et ensoleillée. A peine sorti de la maison d'Opale et de Carmin, le couple fut ébloui par la lumière solaire. Ses rayons doraient les toits d'ardoise, épousaient la forme des maisons, tel un halo de bienveillance. Les feuilles des arbres captaient les dorures du jour, comme si elles se paraient d'habits brillants. Les oiseaux entonnaient un chant plein de gaieté.
Durant toute leur traversée de la ville, ils évitèrent tout contact physique qui pourrait les compromettre. Si quelqu'un les voyait ensemble, la rumeur se diffuserait rapidement à l'École de Chevalerie, puis aux oreilles du directeur, Gaepora. Hergo leur collerait aux basques, comme avait si bien déclaré Zelda en fronçant le nez. Et puis, c'était tellement nouveau.
C'était nouveau et en même temps... il y avait une part de connu dans tout cela.
« Le premier arrivé à la cascade devra payer un repas à la Citrouille Perchée ! cria Zelda d'un ton joyeux.
— Hein ? Quoi ? »
Link comprit, juste à temps ; elle s'élançait déjà à travers les rues. Il la talonna en souriant. Il ne voyait que ses longs cheveux blond doré, sa jupe légèrement soulevée par le vent de sa course, ses bottines qui claquaient agréablement sur les pavés. Il pouvait presque oublier ce que Ghirahim, le monarque démoniaque, lui avait fait. Il voyait encore le cristal rougeoyer, palpiter autour d'elle...
Non. Ne pas penser à ça.
Les rues étaient encore calmes ; ce n'était encore que le milieu de matinée. Quelques passants flânaient autour du marché couvert, comme s'ils hésitaient à y entrer.
Link n'eut guère le temps d'en apercevoir davantage. Zelda filait comme une flèche ; elle disparut bientôt de sa vue. Il devina qu'elle avait enjambé les murets pour gagner du temps, et rallierait le pont Nord. Il ne tarda pas à réduire la distance qui les séparait, mais c'était encore insuffisant. Il eut alors une idée.
Zelda n'avait pas dit "le premier arrivé à la cascade en courant "...
Sous le pont qui reliait les quartiers Nord au reste de la ville, la rivière s'étendait comme un ruban bleu. Link y plongea tête la première. En suivant le cours d'eau, il déboucherait forcément sur la cascade. Il émergea à la surface au bout de quelques minutes, dans l'axe de la trajectoire de Zelda, qui finit par le repérer et le héla :
« Hé, Link ! Tu déformes les règles !
— Je ne vois pas de quoi tu parles ! Tu n'as pas précisé que c'était en courant !
— C'est ça, fais ton malin ! »
Elle souriait sans pouvoir se retenir. Le voir ainsi, près d'elle, la réconfortait. Mais elle avait une course à gagner...
Elle disparut de son champ de vision, s'éloignant de la rivière. Le chemin vers la cascade bifurquait dans les terres, à travers une forêt luxuriante. Le cours d'eau serpentait parmi les maisons des quartiers Nord-Est, puis rejoignait la cascade dans une ligne droite, se déversant dans le lac, sans détours ni barrage. Le sentier boisé, lui, connaissait de nombreux virages. Ils ralentiraient Zelda.
Ce genre d'habitudes née de leur profonde amitié - savoir qui ira le plus vite, avoir des gages - rassurait Link. Leur relation n'était pas fragile. Non. Elle était la plus solide qu'il soit. Pourtant... Link avait l'impression tenace d'être un funambule au-dessus du vide. Il avait quitté la rive de l'amitié et se dirigeait vers un nouveau bord... il dansait sur ce fil, il doutait, il avait si peur de tomber. Si peur... Mais il l'aimait. Il l'aimait tellement. Son cœur était son seul guide sur cette route nouvelle, incertaine, jamais vécue et empruntée auparavant.
Son cœur disait : Tu vas y arriver. Suis-moi.
Je te suis.
Allez ! Il avait une course à remporter.
Ses vêtements trempés l'alourdissaient moins qu'il ne l'avait craint au départ. S'il avait eu ses habits de chevalier, la cotte de mailles lui aurait donné du fil à retordre. Heureusement, il ne portait qu'une chemise de lin blanche, et un pantalon de toile. Ce qui l'attirait vers le fond, c'étaient ses bottes. Et il n'allait quand même pas les enlever. Il tenait à ces chaussures ! Il avait sacrément économisé pour les avoir.
Le grondement de la cascade rugit bientôt devant lui. Pas de Zelda en vue. Il rejoignit la berge sur laquelle débouchait le sentier forestier et retira ses chaussures pour qu'elles sèchent, après les avoir vidées de leur eau. Il fit de même pour sa chemise, maintenue avec quelques pierres. Il ne faudrait pas qu'elle s'envole ! Puis il plongea à nouveau dans le lac en faisant quelques brasses. Quelques minutes plus tard, alors qu'il faisait la planche à quelques pas de la berge, il entendit le pas de course de Zelda. Il se redressa pour pouvoir la regarder et lui sourire, attendant qu'elle reprenne son souffle.
Mais soudain, elle le désigna du doigt :
« Hé, le tricheur ! Ça ne va pas se passer comme ça ! Demi-tour ! Et celui qui rejoint le plus vite le bosquet aux Fées sera le vrai vainqueur !
— Quoi ? Mais ça va pas ! Zelda ! ZELDA ! REVIENS ICI TOUT DE SUITE ! »
Trop tard. Elle filait déjà de l'autre côté.
Par le sang d'Hylia, elle va me rendre dingue.
Il avait à peine aperçu son visage et son air adorablement réprobateur. Une envolée de cheveux blonds était déjà engloutie par les ombres de la forêt.
Il s'empressa de rejoindre la terre ferme, empoigna ses bottes d'une main, sa chemise de l'autre, et la pourchassa. Le bosquet aux Fées n'était pas accessible par la rivière. Il pensait appliquer son plan B, le célestrier, mais les majestueux oiseaux ne se risquaient jamais sous le couvert des arbres. Et puis, elle trouverait quelque chose d'autre jusqu'à ce qu'il se mette à son niveau, c'est à dire, courir, point final. Elle était têtue comme une mule.
Son cœur cognait contre sa cage thoracique, d'amour, d'effort ou par peur de se faire ridiculiser, il ne savait pas trancher entre les trois. Il voulait lui prouver sa valeur.
Mais... Peut-être mettait-il de l'enjeu là où il n'y en avait pas. C'était juste une course. Après tout, il l'avait sauvée des griffes de Ghirahim ; il avait veillé sur elle, de longs jours durant, après sa sortie du cristal. Elle avait été si affaiblie, si amaigrie, si pâle. Elle émergeait parfois en tenant des propos incohérents à propos de sa mère.
Link n'avait jamais su ce que lui avait fait Ghirahim, mais en pensant à ces événements, il trouva la force de rattraper Zelda. La colère. La peur de l'avoir perdue. La peur de ne pas avoir été à la hauteur, de ne pas l'être.
Il était tellement pris dans son élan qu'il se prit les pieds dans une racine juste avant le bosquet. Il eut tout juste le temps de se réceptionner dans une roulade, serrant ses bottes et sa chemise contre sa poitrine pendant sa manœuvre, avant de s'étaler par terre, les bras étendus de part et d'autre de son corps. Il entendit Zelda exploser littéralement de rire derrière lui, puis le contourner.
« Gagné !» exulta-t-elle un peu plus loin en sautillant sur place.
Link se sentait un peu sonné. D'habitude, ce genre de chutes étaient amorties par son équipement de chevalier. Son dos nu avait roulé contre le sol de manière assez brutale. Voyant qu'il ne réagissait pas, Zelda le héla :
« Link ! Tu t'es blessé ?»
Il lui fit signe que ce n'était rien, mais elle ne semblait pas convaincue. Elle s'empressa de le rejoindre tandis qu'il posait ses vêtements en veillant à ce que sa chemise ne s'envole pas. Zelda s'agenouilla près de lui. Elle piqua un fard en réalisant qu'il était torse nu.
« Qu'est-ce que tu regardes comme ça ? demanda-t-il innocemment.
— Hein ? R-rien du tout.
— Tu bégaies ?
— M-mais qu'est-ce que tu racontes... ne détourne pas la conversation, je suis sûre que tu t'es fait mal», répliqua-t-elle en reportant son attention sur son cou.
Link eut un sourire plein de tendresse. Il voyait rarement Zelda maladroite, et cela le touchait.
« Hé, souffla-t-il en lui caressant les joues. C'est rien. Au contraire... Je trouve ça plutôt agréable, moi.»
Elle rougit encore plus, et pour finir se blottit dans ses bras. Il la serra contre lui.
« J'ai peut-être un bleu dans le dos», admit-il au bout d'un moment.
Zelda redressa la tête et le regarda dans les yeux. Elle pressa légèrement son nez du doigt :
« Je m'en doutais. Tout ça, c'est parce que tu veux un massage...
— C'est la faute de la racine, et puis, tu as changé les règles du jeu, parce que tu voulais gagner.
— Si tu n'avais pas triché, je n'aurais rien changé du tout, et tu ne te serais pas pris la racine.
— Je n'ai pas triché, plaida-t-il en prenant un air de chien battu. Tu as dit "le premier arrivé à la cascade devra payer un repas à la Citrouille Perchée". Et je suis arrivé le premier. »
Il s'amusa de la voir se mordre la lèvre, puis grogner parce qu'elle se laissait émouvoir.
« Bon, d'accord. On va soigner ce pauvre dos, et ensuite on ira manger un bout, et je paierai l'addition. »
Dans un élan d'affection, il l'attira à lui et l'embrassa délicatement. Son parfum l'enveloppa comme un cocon bienfaisant. Zelda colla son front contre le sien et admira la beauté de ses yeux en jouant distraitement avec une mèche de ses cheveux.
« Au fond, peu importe qui a gagné. J'ai envie de t'offrir ça, Link, pour tout ce que tu as fait pour moi... Je t'aime. Je ne veux plus que tu te blesses à cause de moi. »
Il lui saisit affectueusement les mains et en caressa le dos avec ses pouces. Zelda dégagea doucement l'une d'entre elles pour effleurer son torse. Link frémit à ce contact et ferma les yeux quelques instants. Elle finit par masser son épaule gauche, à la base de son cou. Il rouvrit les paupières et sourit.
« Je te propose de commencer par me donner ma chemise. Sinon, je vais me faire passer pour un nudiste. Et après ça, on verra Hergo déambuler à poil parce qu'il veut toujours faire plus fort que moi. »
Zelda perdit toute contenance et eut un fou rire tellement fort qu'elle en eut mal aux joues.
« Tu sais que je t'aime beaucoup trop, Link.
— On n'aime jamais trop, ma chère Zelda. »
Elle eut un sourire ravissant. Puis lui tendit sa chemise en lui faisant un clin d'œil complice.
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