Eva n'avait rien voulu savoir sur la mort de son frère, mais elle avait fini par reconstruire l'histoire par des bribes de paroles, ici et là.

Souvent ce rêve la hantait : celui du dernier jour de son frère. Elle était à sa place et se tenait à table. Elle levait les yeux vers son père et lui posait une question pour la première fois depuis des mois. Mais elle n'obtenait aucune réponse. Elle se retrouvait ensuite dehors, à marcher au hasard des rues. Soudain, elle se retrouva sur un pont. Elle s'arrêta, regarda les vagues s'agiter, loin, là en bas. Elle se vit enlever sa veste, griffonner un seul mot sur un ticket de bus et le poser sous la veste, sur le trottoir. Elle se vit ensuite enjamber la rembarde du pont, s'asseoir un instant. Elle regarda les vagues, plus furieuses, plus insistantes, plus accueillantes que la vie. Sans un dernier regard à la société qui l'entourait, elle sauta. Il lui semblait sentir le vent toujours plus brusque, les vagues toujours plus proches. Et tout à coup, elle se réveillait, les jambes empêtrées dans le drap du lit, le front ruisselant de sueur, le souffle court, la tête pleine d'images indésirables.

Longtemps, ces cauchemars suivirent Eva.