Les historiens rechignent toujours à mettre leur nez dans les affaires « trop récentes » c'est-à-dire datant de moins de vingt ans. Mais ils savent étudier certains évènements, pressentis immédiatement comme majeurs dans l'Histoire. C'est ce qui était arrivé le 11 septembre 2001 et c'est ce qui était arrivé beaucoup plus sournoisement en France, dès 2018...

Passé dans un premier temps pour inaperçu dans l'Histoire, l'évènement de l'été 2018 n'allait pas tarder à être lourd de conséquences pour l'avenir de la France toute entière. Tous les historiens, dès qu'ils se rendirent compte du phénomène furent d'accord pour compter le 15 juillet 2018 comme date de début. Et depuis cette date-là, les choses ne cessèrent de s'accélérer.

Le 15 juillet 2018 vers 17 heures, le monde entier (en particulier les français et les croates) se ruait devant leurs écrans. C'était le jour de la finale de la Coupe du monde de football. L'occasion pour les croates de gagner la coupe pour la première fois et pour les français d'ajouter une étoile au maillot.

Les paris étaient lancés de chaque côté : 7-1 pour les plus fous. Les supporters, c'est-à-dire 99% de la population française et croate, étaient survoltés. C'était le jour de la victoire ! Les footballeurs entrèrent sur le terrain après une ouverture éblouissante de paillettes et le match commença. Les deux équipes se battaient pour le ballon et le sol tremblait à chaque but. L'enthousiasme général était tel qu'il générait de légères secousses sismiques enregistrées avec soin par des sismologues.

Le match se conclut en 4-2 et une étoile supplémentaire sur le maillot des Bleus.

La pluie accompagnant la cérémonie de remise de la coupe ne réfréna pas cet élan populaire pour le football et, quand les joueurs français furent rentrés de Russie, l'engouement général ne disparut pas. A la rentrée 2018, on remarqua une forte hausse des licences dans les clubs de foot de toutes tailles. Tout le monde voulait tenter sa chance. On en avait bien vu en finale d'un tournois mondial à seulement 19 ans, alors pourquoi pas ?

Dans ce contexte fiévreux et féru de ce sport de balle, un homme se leva et entama une carrière politique en créant son parti qu'il nomma : « Tous au terrain ». Il fut rapidement rejoint et soutenu activement par des clubs de foot de la France toute entière. Les hommes politiques qui avaient commencé par se moquer de cet homme commencèrent à s'inquiéter en voyant son influence grandissante. Son programme : réformer la société pour donner une place plus grande au football dans le but de montrer la grandeur de la France au travers ce sport.

Et un beau jour, après les élections présidentielles de 2022, le chef du parti « Tous au terrain » accéda au rang de Président de la République. Ah, en ce début de XXIème siècle, que de surprises et de présidents inattendus dans le monde entier !

Le chef du parti « Tous au terrain » tint ses promesses électorales et après avoir mis en place un entrainement mensuel obligatoire pour tous les écoliers, une équipe par commune, tous les licenciés dans les clubs obtinrent des réductions pour d'autres loisirs, ce qui poussa un plus grand nombre de citoyens à s'inscrire. Le football prenait une place grandissante dans la société. On regardait de plus en plus les capacités d'une personne en football avant de l'employer, on faisait passer des examens de technique et de pratique aux élèves de terminale pour leur baccalauréat...

En 2027 fut instaurée un match unique en son genre, le clou de la politique de « Tous au terrain » : les joueurs s'affrontaient pour de l'argent. En plus de la récompense offerte à l'équipe victorieuse, chaque action était soigneusement étudiée et donnait droit à un bonus ou un malus personnel. C'était le match le plus attendu de l'année. Il se tenait vers le début de l'été. Le choix des joueurs se déroulait de la manière suivante : chacun envoyait sa candidature au gouvernement qui possédait un ministère tout spécialement dédié au football, et des experts formaient des équipes. Chaque citoyen avait droit à une seule participation à ce « match en or ».

Pour ceux qui ne pouvaient pas pratiquer ce sport populaire qui commençait à devenir indispensable dans la société, la vie devenait difficile. Tous les malades et les personnes âgées se retrouvaient de plus en plus en marge. Pour éviter que ces citoyens soient totalement rejetés, mais comme le foot était quand même indispensable, les « incapables » pouvaient demander que quelqu'un joue pour eux. Tous ne trouvaient pas quelqu'un pour les remplacer, mais pour ceux qui en avaient les moyens, cette loi permettait de réduire un petit peu les inégalités.

Les bien portants n'avaient qu'une seule crainte : se retrouver relégué aux côtés de ces « incapables », rebuts de la société.

Eva était née en 2029 dans cette société nouvelle.