Chapitre 40
« C'est trop beau ! »
Éridan se retourne et remarque Ana, penchée au-dessus de son épaule.
« C'est le modèle qui fait tout le travail, sourit-il.
– Vous êtes écœurants d'amour, vous deux ! » s'exclame-t-elle.
Il rit, Romane, toujours appuyée contre lui, aussi. Le dessin est toujours dans le coin de son œil. Un jour, les lèvres rosées de sa belle se dévoileront aussi sur la feuille de papier. Un jour, ses pommettes relevées auront cette couleur mate qu'il aime tant voir briller au soleil. Elles prennent de l'intensité dans ses yeux, à tel point qu'il n'a plus besoin de s'imaginer cette palette. Elle lui apparaît clairement et rayonnante.
Toutefois, un chuchotement le tire de ses espoirs.
« On doit être là-bas à quelle heure ? »
Éridan et Romane se regardent.
« Zut, on devait appeler ce matin !
– Je vais le faire », complète Romane en s'éloignant, son téléphone à la main.
Quand elle se détache de lui, il frissonne.
En attendant les nouvelles de leur messagère, Ana se sert un verre d'eau et attrape une aspirine sur la table.
« C'était une mauvaise idée de boire, hier soir. On va être éclatés pour la rando.
– C'était une mauvaise idée de boire tout court, soupire Éridan en se massant les tempes.
– Gueule de bois quand tu nous tiens... »
Ils observent le silence qui repose leur crâne torturé par mille pics et secousses invisibles.
Puis, Romane les rejoint, le sourire jusque dans les yeux.
« Ils nous attendent pour 15 heures. On grimpe, on randonne et ils nous récupèrent là-haut.
– Et il est quelle heure ?
– Dix heure. Faut qu'on réveille les autres et qu'on se prépare à y aller si on veut profiter de la balade », énonce Éridan en réfléchissant à voix haute.
Elles hochent la tête et se regardent avec malice. D'un mouvement de tête partagé, elles se précipitent dans la tente. Éridan, surpris par cette soudaine cavale, les suit avec un temps de retard.
Déjà, elles ont envahi la chambre des garçons avec une musique à réveiller les morts. Tandis que la batterie et la guitare électrique emplissent le petit abri de toile, les sacs de couchage remuent comme des asticots.
« Tapage nocturne, grommelle une voix.
– C'est pas la nuit, tes menaces marchent plus ! » fanfaronne Ana.
Un coussin vole à travers la tente pour s'écraser contre le visage d'Éridan, incrédule devant la vitesse du projectile.
Un deuxième oreiller voltige et se cogne contre le bas plafond de toile.
« Vous savez pas viser, les gars ! » s'écrie Éridan en rejetant les coussins sur les visages de ses deux amis en plein éveil.
Ils grognent, sous le regard amusé des trois matinaux. Charlie passe une main sur ses yeux encore collés par la fatigue. Il fait une grimace avant de boucher ses oreilles à l'aide de ses paumes de main.
« Moins fort la musique, ça résonne...
– Monsieur à la gueule de bois ? ricane Loïs entre deux bâillements.
– Te moque pas...
– Allez ! Debout vous deux, on part dans une demi-heure, les reprend Ana.
– La belle blague...
– C'est pas une blague, bougez votre derrière ou j'en fais de la bouillie, clame-t-elle.
– Je veux pas savoir comment tu comptes t'y prendre », lance Loïs en se levant aussi vite que ses jambes engourdies par le sommeil le lui permettent.
Elle rit et se frotte les mains, machiavélique. Charlie bondit hors de sa couche à son tour.
Éridan est impressionné par l'efficacité du réveil des filles. Et commence à chercher des habits dans son sac, accompagné par les voix scandalisées des deux garçons, tirés trop vite des bras de Morphée. Dans son sac à dos, il fourgue quelques affaires. Son regard se pose sur sa pochette de dessin qu'il caresse du bout des doigts.
Philippine a raison. Chacun a sa méthode pour se réparer. Elle ferme les portes du passé, lui ouvre celles du futur. Petit à petit, il monte l'escalier escarpé de son existence. Les marches sont hautes, il a besoin de force pour se hisser de palier en palier. Mais il sait qu'à chaque étape, des sensations oubliées l'attendent. Comme un enfant, il colorie minutieusement son monde, en espérant qu'un jour, plus rien ne sera dépourvu d'éclat. Même la neige aurait une blancheur étincelante et les nuages grisâtres leur couleur à eux. Il rêve qu'un jour le gris terne, qui danse et persiste dans son regard, fonde et disparaisse définitivement.
Alors qu'il divague dans l'ombre de la tente, des bras l'encerclent.
« À quoi tu penses, mon cœur ?
– J'ai de la chance de t'avoir à mes côtés, sourit-il pour masquer son trouble.
– Beau parleur, va ! »
Elle dépose un baiser sur son sourire, puis se love contre lui. L'oreille posée sur sa poitrine, elle fait des cercles sur le sol de ses ongles pastel. L'escalier revient à Éridan. Tortueux, long, sans fin. Toutefois, il sait que malgré ce sentiment de solitude qui l'assaille à la vision de cet obstacle, il n'est pas seul. Ils sont tous sur le même chemin. Chacun monte les marches à sa façon, mais tout le monde cherche à atteindre le sommet. Malgré tout, ceux qu'il aime sont tout autour de lui. Ils le poussent vers le haut comme lui les aide dans leur ascension. Le temps passe et le sommet se rapproche. Personne ne sait vraiment à quoi mène vraiment ce chemin sans fin. Les aspirations sont différentes, les rêves sont uniques. Éridan monte sans but, mais chaque marche lui apparaît comme une victoire. Alors, il s'entête à suivre le chemin que tous désirent. Un jour, il trouvera le sens de cette épreuve qu'est la vie. Un jour, il montera les marches, serein. Il atteindra le haut en paix avec lui-même.
Le moment de partir vient et à cinq dans la voiture, ils quittent le camping en quête de la prochaine aventure. Les routes en lacets deviennent fréquentes. Les arbres défilent derrière les fenêtres. L'odeur de la forêt qui pénètre par les fenêtres ouvertes de l'habitacle chatouille les narines d'Éridan. Puis au terme d'un périple aux falaises environnantes et vertigineuses, un petit parking en gravier se profile au bout du chemin.
C'est finalement avec les sacs à dos garnis en nourriture et en eau que les cinq adolescents s'élancent sur les sentiers de montagne. La flore verdoyante rafraîchit le sous-bois et efface les rayons forts du soleil brûlant de l'été. Les fleurs leur ouvrent une haie d'honneur à travers les bois. Les papillons et libellules les guident sur le chemin. La montée se fait de plus en plus raide et le feuillage ne parvient plus à protéger les promeneurs de la chaleur. Le soleil atteint son zénith et observe les hommes de haut. Fourmis lancées sur les étroits serpentins qui se dessinent jusqu'à la tête de la montagne.
Ils ne rencontrent que très peu de randonneurs. Parfois, ils glissent une salutation à un chien et à son maître. Puis, au détour d'une intersection, un coureur leur fait signe. Le reste du temps, ils sont les seuls troubles dans les frémissements de la nature. Les seuls perturbateurs de la musique du vent et des feuilles. Cette tranquillité leur fait du bien. Ils se sentent détendus malgré la fatigue qui les guette.
Sur un belvédère, un magnifique panorama se dessine devant eux. Les montagnes au loin entourent les villages et les champs, minuscules, tels des jouets. Ils se sentent puissants au-dessus de cette masse sûrement remuée par la frénésie de la vie. Un sandwich à la main, ils observent ce spectacle dont ils ne font plus partie pour un temps. Plus rien ne semble pouvoir les atteindre. Ils dépassent tous les vices de l'homme. Seule la nature règne en maître sur les versants de la montagne.
La randonnée se poursuit à travers une flore de plus en plus rare. Les roches sculptées par l'érosion s'étalent comme un damier. Les pentes sont moins raides. À la place, les marches naturelles parcourent les flancs frappés par le soleil.
Ils arrivent à la fin de leur balade. Les arbres se font rares. Ils peuvent voir le paysage imprenable seulement en retournant vers le vide. Puis, ils arrivent sur une sorte de plateau. La présence des Hommes se fait moins étonnante. Quelques randonneurs admirent le spectacle du monde. Tout autour d'eux, une vue époustouflante se dessine. Un lac d'un bleu saisissant brille et reflète la lumière de l'astre du jour. Le vent est plus fort et agite leurs cheveux et leurs vêtements. Éridan se sent libre. Comme si chaque falaise était une voie vers une dimension différente. Un carrefour dans son existence.
« C'est beau », pense-t-il.
L'herbe pique leurs jambes dénudées tandis qu'ils observent le vide à quelques pas d'eux. Assis, caressés par la paix de ce lieu unique. Ils profitent de ce repos mérité. Le bas de la montagne paraît si loin. Éridan a du mal à réaliser que leurs pas de fourmis leur ont permis de s'élever aussi haut.
Il glisse un regard vers Loïs.
Ce n'est plus qu'une question de temps.
Au loin, des rapaces tournoient dans le ciel.
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