Chapitre 33
Loïs rumine. Ses deux amis ne cessent de lancer des paroles et des regards lourds en sous-entendus. Lui ne comprend absolument rien à ce qui se trame sous ses yeux. Il n'aime pas être mis de côté ainsi.
Finalement, la voiture chargée à leur convenance, ils se tournent vers lui, tout sourire, tandis que ses parents viennent à leur rencontre.
« Vous partez, les garçons ?
– Apparemment, oui, répond Loïs, amer.
– Amusez-vous bien », s'exclame sa mère sans relever la pointe d'ironie dans sa voix.
Soudainement, Lucile sort en trombe de la maison.
« Attendez !
– On attend, rit Éridan.
– Tenez, c'est des gâteaux pour la route », déclare-t-elle en leur tendant un sachet rempli de cookies.
Puis, après avoir repris son souffle, elle se tourne vers Loïs.
« Tu boudes, déjà ?
– Je boude pas, viens par-là plutôt, s'exclame-t-il en l'attirant vers lui.
– T'as besoin d'un câlin, le frérot ? demande-t-elle, espiègle.
– Bah oui, ils m'emmènent je ne sais où, ça se trouve, c'est la dernière fois que je remets les pieds ici.
– Promis, on te le ramène ! » atteste Charlie.
Leurs rires s'élèvent alors qu'ils s'engouffrent dans l'habitacle de la voiture. Au début, Loïs ne dit rien et se contente d'observer la route espérant reconnaître l'itinéraire.
« On va chez Ana ?
– On passe chez Ana, précise l'un de ses amis.
– Alors tout le monde est au courant ?
– Possible.
– Vous savez que j'aime pas les surprises...
– On demande pas ton avis, déclare Éridan, en se retournant pour lui tirer la langue.
– Gamin... »
Pourtant, il ne peut réprimer le sourire qui se dessine sur ses lèvres, il va passer du temps avec ses compagnons de route et c'est tout ce qui lui importe désormais.
La voiture pénètre dans la jolie allée de la maison. Devant l'entrée, leurs deux amies leur font des grands signes de bras comme deux naufragées perdues en mer. Salutations, sourires, banalités s'échangent. Puis après un bref chargement, le véhicule et les cinq adolescents reprennent la route dans une joyeuse humeur.
Un peu serré sur la banquette arrière, Loïs participe avec amusement à la dispute généralisée sur le choix « ultrasupraimportant » de la musique, comme dirait Ana. Chacun veut proposer sa playlist pour le long chemin qui les attend. C'est finalement avec diplomatie qu'ils décident de choisir la musique chacun leur tour. Les rires et les exclamations s'élancent dans une valse avec les notes. Les cinq complices chantent sur les refrains et s'agitent dans la petite voiture. Derrière les vitres, le paysage défile. Le soleil est déjà bien haut dans le ciel. Les véhicules font des va-et-vient, se suivent, se croisent. Les vacances commencent à peine, mais déjà, une ambiance détendue semble planer sur les chemins et les hommes.
Loïs observe les familles sur leur route, chargées jusqu'au plafond de l'habitacle ou de seulement trois ou quatre vélos. Les lunettes de soleil sont de sortie. Les enfants ennuyés par le trajet, dorment ou jouent sur leurs consoles. Puis, au milieu de ces voyageurs, une petite fille lance des signes de main à ses voisins de chaussée. Loïs répond, enchanté, à l'enfant qui sourit et dévoile ses petites dents blanches. Bref échange, la seconde d'après, Charlie dépasse la voiture.
Le trajet se poursuit sur de grandes voies dégagées et fluides. Au bout de deux heures de route, Loïs se penche vers l'avant, essayant d'apercevoir le GPS d'Éridan.
« Eh ! Qui t'a autorisé à regarder où l'on va, se moque ce dernier en éteignant son téléphone.
– Ça fait plus de deux heures qu'on roule, j'aimerais bien savoir au bout d'un moment !
– Tu lâches pas l'affaire, hein ! On va arriver avant midi si tout se passe bien », déclare Charlie en entrant dans une aire d'autoroute.
Plus ses amis lui cachent la réelle destination, plus Loïs est intrigué. Durant ce petit temps de pause, il essaie de soutirer subtilement des informations à Ana encore à peine réveillée de sa micro-sieste. En vain.
C'est finalement Romane qui prend le volant pour la dernière ligne droite du trajet. Autour d'eux, le paysage s'est rafraîchi. Les grandes prairies et forêts sont un peu plus présentes. En sortant des grands axes, ils traversent plusieurs villages avant de retourner au milieu des champs. Au fur et à mesure que les bornes passent. Les routes se rétrécissent et s'arrondissent. Les champs se transforment en monts, le relief devient de plus en plus tortueux.
Vont-ils en montagne ?
Mais avant que Loïs ne puisse vraiment comprendre cette destination étrange, la voiture s'arrête devant un camping.
« Terminus ! Tout le monde descend ! » s'écrie la conductrice, en s'étirant.
Tous engourdis par leurs positions statiques, ils étendent leurs muscles et inspirent le doux air montagnard, si différent du leur. Plus léger et frais que les pollutions de la ville. Puis après un passage rapide à l'accueil, ils se retrouvent sur leur emplacement de tente.
« Bon, quelqu'un sait monter une tente ? » demande soudain Ana.
Ils se dévisagent tous les uns les autres. Loïs éclate de rire et ses amis en font de même.
« J'imagine qu'on va devoir apprendre sur le tas. »
Contre toute attente, l'installation devient le plus grand défi du voyage. Après, quelques ratés et soupirs de désespoir, la tente se tient en face d'eux comme un château. Fatigués par l'effort et la chaleur écrasante du début d'été, ils s'affalent à même le sol dans l'étroite parcelle d'ombre d'un arbre.
Ils sont presque les seuls dans cette partie du camping. Au bout de la rangée, une caravane est installée alors que les autres emplacements attendent la haute saison pour accueillir les vacanciers de tous les horizons. Cet endroit, alors si paisible, deviendra un sanctuaire de légèreté le jour et d'animation la nuit. Mais à l'heure d'aujourd'hui, les cinq adolescents semblent juste perdus dans cet espace de semi-verdure.
Finalement, l'installation terminée, ils se décident à visiter les environs.
Comme leur parcelle de terrain, le reste du domaine est peu occupé. Ici et là, les tentes ou les mobil-homes se dressent. Dans leur promenade, des sourires sont échangés avec les quelques vacanciers en balade. Au bout du camping, ils se retrouvent face à un portillon donnant sur les bois. D'un commun accord, ils décident de partir en excursion. À la suite comme des explorateurs, ils se sentent comme des aventuriers en quête de trésors.
Soudainement, Romane s'arrête et se retourne.
« Je sais où l'on va ! »
Ses amis la regardent, étonnés, alors qu'elle met un doigt sur ses lèvres. À travers le feuillage, Loïs ne voit rien. Juste des troncs et le mouvement furtif des insectes et du vent. Néanmoins, un bruit diffus se propage dans la végétation. Charlie se tourne alors directement vers elle.
« C'est ce que je crois ?
– Je crois bien que c'est ce que tu crois, répond-elle, énigmatique.
– De quoi vous causez tous les deux ?
– De ce qu'il croit qu'elle croit savoir, c'est pas bien compliqué », ironise Éridan.
Mais alors qu'il termine sa phrase, Romane et Charlie sont déjà repartis à toute vitesse, se faufilant entre les racines et les pierres. Les trois autres les suivent avec intérêt. Mais, à mesure que Loïs avance, le bruit qu'il avait confondu avec le vent s'intensifie. Il reconnaît peu à peu le timbre caractéristique de l'eau.
« J'avais raison ! »
Devant eux, une petite rivière s'écoule. L'eau claire comme le ciel se faufile entre les rochers et les galets. Sur la berge, Loïs peut presque voir le fond du lit. Pourtant, la profondeur lui parait assez importante pour qu'ils se baignent. Il n'a pas vraiment le temps d'énoncer la question que des éclaboussures lui parviennent. Alors que Charlie sort la tête des flots, un cri suivi d'une explosion de gouttelettes retentit. Romane surgit de l'eau furibonde, ses épaules percent à peine la surface, mais cela est suffisant pour faire apparaître sa chemise à fleur lui collant à la peau.
« Éridan, je suis trempée à cause toi ! s'exclame-t-elle.
– Il paraît que l'eau, ça mouille, en effet. »
Loïs glousse en voyant la jeune fille remonter difficilement sur la berge, ses vêtements lourds et dégoulinants. Puis, alors qu'elle s'apprête à se ruer sur son copain pour obtenir vengeance, Ana se précipite et pousse Éridan dans les eaux froides de la rivière. Alors qu'il émerge quelques secondes plus tard, Ana s'accroupit devant lui.
« Bah dis-donc, c'est le vent qui t'a fait perdre l'équilibre ? Pas très solides, tes deux jambes », annonce-t-elle sournoisement.
L'intéressé ne dit rien, mais la seconde d'après, d'une main ferme, il l'attrape et l'entraîne au fond de l'eau. Toutefois, Loïs n'a pas le temps d'entendre Ana hurler, une force le pousse dans le dos et il perd l'équilibre.
Quand son corps rencontre la rivière, il a l'impression de geler. Les bruits autour de lui s'atténuent, seules des éclaboussures et des voix effacées l'entourent. Sa main touche le sol de galets, tandis que ses yeux s'ouvrent dans l'eau glacée. La surface n'est pas très loin, la lumière perce l'onde dans un kaléidoscope étincelant. Apaisant.
Mais l'air commence à manquer et d'une pulsion brève de la main, il se propulse vers le haut. Les rires de ses amis l'accueillent dans une symphonie agréable et estivale.
En quelques minutes, l'imperturbable mouvement aquatique est devenu chaotique, troublé par des bribes de jeunesse.
L'été est là, tout est si calme autour d'eux. Seule la rivière remue et brille dans cette forêt spectatrice.
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