Chapitre 29
Courir.
Courir à en perdre haleine.
Courir encore et toujours.
Pour Éridan, la vie est une course sans fin et Ana compte bien le lui rappeler en l'entrainant lui et Loïs dans tous les sens.
Pourtant, malgré l'essoufflement, c'est la première fois que son souffle se coupe ainsi. Sur scène, comme une révélation, elle est apparue dans le halo du projecteur. Dans la salle de musique poussiéreuse, dans un sweat large et plus pâle que jamais, il la trouvait déjà magnifique. Toutefois, sur cette petite estrade de bois, dans sa robe empire rouge sang flottant sur sa silhouette comme de la brume, elle rayonne. Envoûtante, Romane accapare tous les regards, du moins, elle est la seule occupante de son esprit.
À côté d'elle, Charlie s'avance sur le devant de la scène, il passe un regard sur la foule dissipée avec assurance.
« Mesdemoiselles, mesdames et messieurs », commence-t-il, solennellement.
Des regards curieux glissent vers la scène.
« On m'a demandé de faire un discours pour ouvrir la soirée... Je vais pas vous mentir, les blablas inutiles j'trouve ça vite chiant. Du coup, je vais vous demander une chose... Est-ce que vous êtes prêts à passer la meilleure soirée de votre vie ? » s'exclame-t-il.
Les lycéens affirment haut et fort. Charlie fait mine de tendre l'oreille.
« Je vous entends pas ! Vous êtes prêts ? » crie-t-il.
La foule hurle tandis que les baguettes du batteur s'entrechoquent pour donner le départ.
Les accords de la guitare et du piano se joignent au rythme dément de la percussion. Les premières notes s'élèvent, les spectateurs s'émerveillent et commencent à se balancer. Chaque basse résonne et fait trembler les corps et les esprits. Peu à peu, la transe des artistes se propage dans le public. Tous s'agitent dans une danse tumultueuse. Les corps ondulent et s'expriment sur les arpèges de la guitare. Les mélodies et riffs s'enchaînent et ne cessent pas. Quelque part, tous désirent que ce moment de folie pure ne s'arrête pas. Tous espèrent que la musique frappant leur tête et vibrant dans leur sang continue de les posséder. Tous crèvent d'envie de ne faire qu'un avec cet univers musical infini, créé de toute pièce. C'est un monde des possibles où chacun est libre d'écrire sa propre version de l'histoire. Plus les morceaux passent et plus les hommes se fondent dans cette mystérieuse dimension, croyant bien ne plus jamais sortir.
Éridan comme les autres est hypnotisé. Son regard ne peut quitter la déesse de feu qui chante et danse sur la scène. Néanmoins, quand son attention n'est pas absorbée par sa muse, il observe à loisir les gens autour de lui. Du coin de l'œil, il voit Ana et Loïs se déhancher au milieu d'autres fêtards. La magie semble opérer comme un nuage de paillettes se déposant sur chacun et créant des sourires par milliers. Les gens paraissent heureux. Peut-être des faux-semblants, peut-être une comédie dûment jouée. Mais dans cette ambiance de fête, rien ne peut contredire l'euphorie qui entoure ces anciens lycéens. Tous acceptent à bras ouvert ce sentiment de liberté soufflé par les mélodies des enchanteurs. Ils l'accueillent et le chérissent jusqu'à le laisser repartir dans des ovations toujours plus sincères.
Puis, comme cette brèche dans le temps s'est ouverte, elle se referme dans une déchirure de voix et d'applaudissements. Sur scène, les musiciens sont transpirants et fatigués, mais ils n'ont pas fini de briller. Leurs yeux étincellent comme des diamants. Ensemble, bras dessus bras dessous, ils saluent le public encore agité par les notes rocks.
Un par un, ils quittent la petite scène quand soudain, Charlie remonte avec une guitare acoustique dans la main. Il la tend à Romane qui semble hésiter devant cette invitation. Finalement, dans un moment de flottement, elle attrape l'instrument délicatement avant de se tourner de nouveau vers le public.
« Merci de nous avoir si chaleureusement accueillis ce soir, nous vous en sommes éternellement reconnaissant, débute-t-elle face au public. J'aimerais garder la scène encore le temps d'une chanson... »
Les spectateurs approuvent et elle sourit, gênée.
« Je voudrais adresser cette dernière musique à quelqu'un que j'aime énormément. Quelqu'un qui me comprend comme je le comprends. Quelqu'un que j'adore entendre rire plus le chant. Quelqu'un qui avec le temps prend de plus en plus de place dans ma vie. On est brisé tous les deux, comme chacun de nous porte ses blessures. Pourtant, c'est avec cette personne que je vois mon unique chemin vers la résilience... »
Elle fixe un temps ses chaussures avec un petit rire. Elle relève finalement la tête vers le public, le rouge aux joues.
« Merci de m'écouter encore une fois. »
Après une légère inspiration, elle commence à poser ses mains sur les cordes de la guitare. Les notes cristallines s'élèvent.
Éridan se fige. Les arpèges qui défilent, il les connaît par cœur. Puis inévitablement, elle commence à entonner les paroles qui résonnent sur la foule pendue à ses lèvres. Dans le cœur d'Éridan, elles s'insinuent comme des caresses. Sa voix, douce comme une brise de printemps, comme une plume sur la peau. Il se revoit à l'écouter dans la nature luxuriante et humide d'un parc. Les pieds dans l'herbe, les yeux dans le ciel, la tête dans les nuages. De toute la soirée, c'est ce voyage qui l'enivre le plus. De nombreuses fois, leurs regards se croisent et ils ne peuvent s'en détacher sans qu'une personne ne rompe le contact en s'interposant entre eux deux. Dans ces moments, il a l'impression de ne plus rien entendre, comme coupé de son oxygène.
Il tente inexorablement de se le cacher depuis des jours et des semaines, mais plus le temps passe et plus il ne peut se passer de sa présence. Il ne veut se l'avouer, mais comme un élément essentiel de sa vie, elle ne peut quitter sa vie comme son champ de vision sans que le sentiment du manque le poignarde. Décuplé par l'ambiance intense du moment, ce sont des milliers de piques qui se plantent en lui quand il s'imagine loin d'elle.
Il se sent si bête de s'être voilé la face.
Il a envie de crier. De hurler.
Je t'aime.
Secrètement, il désire que tout s'arrête enfin pour qu'il puisse l'approcher, l'enlacer. Mais elle reste loin. Un astre de lumière d'une envoûtante inaccessibilité. De sa voix unique, elle appelle à elle les mille émotions existantes pour les redistribuer comme des confettis de lumière. Il aimerait tendre les bras pour tous les attraper.
Il ne sait vraiment pas ce qui se passe dans cette alchimie étrange qui plane sur la salle. Il ne comprend pas vraiment ce lien électrique qui les lie. Elle est si proche et si loin.
Wave after wave, wave after wave
Il se sent plonger dans un océan de sentiments incontrôlables.
I'm slowly drifting
Dans la nuit de ses yeux, il devient esclave de son regard, il devient dépendant d'elle.
And it feels like I'm drowning
Il ne peut plus bouger. Plus fermer les yeux. Soudain, il ressent cette peur irrationnelle de la perdre. Comme si elle pouvait s'envoler dans un nuage de bulles de savon.
Pulling against the stream
Finalement, dans le tumulte de son sang battant dans ses oreilles, un sourire atteint ses lèvres.
Pulling against the stream
Il aime cette tempête qui se déchaîne en lui. Il la chérit en espérant qu'elle ne le broie pas dans ce sentiment si beau et pourtant destructeur de l'amour.
Puis quand le silence se réinstalle, la foule le comble d'applaudissements et d'acclamations. Éridan ne voit plus rien de ce qui se passe autour de lui. Il joue des coudes en espérant fendre cette masse opaque d'humains.
Du bas de l'estrade, il la voit commencer à descendre. Il accélère l'allure pour parvenir derrière la scène.
Même de loin, elle semble trembler comme une feuille maintenant la pression en l'adrénaline disparues. Alors qu'elle a à peine posé le pied sur le sol, pour enfin quitter la bulle féerique du spectacle, Éridan l'attrape par la taille et l'attire à lui. Elle pousse une exclamation de surprise alors que malgré sa petite taille, l'élan de sa descente provoque le déséquilibre d'Éridan. Il manque de tomber, mais se rattrape de justesse.
Éridan sent Romane s'agripper à sa chemise comme si elle pouvait l'empêcher de s'écraser au sol. Lui, tient sa main sur sa tête pour la protéger, il l'enlève précipitamment tandis qu'elle lève ses yeux vers les siens. Ils se dévisagent et rient.
« Qu'est-ce qui te prend Éri' ?
– Je voulais m'excuser.
– T'excuser ?
– Pas vraiment en fait, plutôt te remercier.
– Me remercier ? »
Elle répète malicieusement, un sourcil haussé. Éridan est gêné, il ne sait pas mettre les mots sur ce qu'il veut lui dire. Alors que ses yeux le sondent, il attrape délicatement sa joue avec de l'embrasser. Elle semble surprise, mais lui rend son baiser, il sent sourire contre ses lèvres quand ils finissent par mettre fin à cette discussion dénuée de parole.
« Tu m'avais manqué, lui chuchote-t-il à l'oreille.
– J'ai jamais été très loin... »
Il fixe ses prunelles de jais qui pétillent d'un mélange de bonheur et de douceur.
« Je t'aime », finit-il par souffler.
Dans une réponse silencieuse, elle dépose un léger baiser sur ses lèvres. D'une lenteur infinie, ses yeux fermés laissent s'échapper une unique larme.
Éridan ne dit rien et se contente de l'effacer d'une caresse. Après tout, elle a raison. Ensemble, ils se reconstruiront.
Rien ne presse, ils ont encore toute une vie.
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