Chapitre 27
« C'est fini, posez vos stylos ! »
Les élèves grognent, soupirent, s'agitent.
Pour Éridan, c'est la dernière épreuve. Il vient à l'instant de terminer son examen. Il sent soudainement plus léger, libéré d'une pression qu'il accumule depuis quelque temps déjà. Dès maintenant, son avenir est remis aux mains du destin. Son bac, il ne sait s'il l'aura, mais les dés sont jetés. Il n'est plus maître de rien.
Dans cette sérénité nouvelle, une autre sensation l'étreint. La nostalgie grappille du terrain. Alors que la petite aiguille a mis fin à l'épreuve, il vient également de quitter son statut de lycéen. Certes, il n'a pas encore fini son année, mais déjà, il a l'impression d'avoir tourné une page.
Mitigé, il sort de la salle d'épreuve. Charlie l'attend avec un sourire plus étincelant que jamais. À peine arrivé dans son champ de vision, ce dernier lui lance une bourrade enjouée.
« Ça y est, mec ! On en a fini avec ce foutu Bac ! »
Les autres lycéens glissent des regards étonnés vers lui. Tous semblent fatigués, déçus, en colère, satisfaits, soulagés. Toutefois, l'enthousiasme de Charlie n'égale aucune de leurs émotions. Éridan en vient même à se demander d'où il peut bien sortir toute cette bonne humeur après cette longue épreuve de quatre heures.
« Bon ! On rejoint les autres ? J'ai tellement faim que je pourrais manger quelqu'un !
– Je pense qu'ils doivent déjà nous attendre, Romane et Loïs ont fini y'a une heure et Ana ne doit pas être loin. »
Ils commencent à descendre les escaliers pour rejoindre le hall. L'ambiance est étrange en cette dernière journée scolaire. Le lycée vit dans une énergie qu'ils ne connaissent pas. Tendue, mais à l'odeur des vacances. Les différents élèves parlent doucement pour ne pas briser les derniers instants de calme des épreuves. Ici et là, résonne, parfois, un rire ou un éclat de voix.
« T'as réussi ? demande soudain Éridan à son ami.
– Sûrement moins bien que toi, mais ça peut aller !
– Bof, je sais pas, le sujet était quand même chaud...
– Franchement, tu t'inquiètes pour rien. T'as été bon toute l'année, y'a pas de raison que tu te foires à l'exam !
– T'as peut-être raison, on verra bien...
– J'ai toujours raison, crois-moi ! »
Ils rient. Au loin, des pas précipités leur parviennent. Toutefois, ils n'ont pas le temps de réagir. Éridan a à peine le temps de voir Charlie expulsé un peu plus loin par Loïs, que des mains glacées se posent sur ses yeux.
« Purée ! T'as les mains froides, Ro' !
– Comme si t'étais pas habitué !
– C'est que ça me surprend toujours ! On crève tous de chaud alors que toi t'es un vrai glaçon. »
Dans un rire, elle descend ses mains sur sa nuque. Éridan grogne tout en rentrant la tête dans ses épaules. Elle finit par retirer ses mains avant de se mettre à sa hauteur.
« Alors cette épreuve d'histoire ?
– Je...
– Il pense l'avoir raté, comme d'habitude. Mais bon, je crois sincèrement qu'il a géré comme jamais », le coupe Charlie avec malice.
Éridan hausse les sourcils et roule les yeux, faussement exaspéré, avant de demander à son tour :
« Et vous ? Comment ça s'est passé ?
– À part un mec qui a bouffé ses chips pendant les trois heures avec un bruit d'enfer, ça allait, lui répond Romane.
– Si vous aviez vu sa tête ! J'ai cru qu'elle allait se retourner pour lui faire bouffer son paquet en mode gavage de canard, réplique Loïs.
– Te moque pas ! J'étais plus concentrée sur le maintien de mon self contrôle que sur le sujet », s'écrie-t-elle.
Ils rient tous de bon cœur quand Ana arrive.
« Votre sujet était si drôle que ça ?
– Nan pas vraiment, lui répond Charlie entre deux gloussements.
– On pense juste aux futurs cauchemars de chips de Romane », précise Loïs.
Ana reste incrédule.
« Les écoute pas, c'est plutôt à des meurtres que je vais rêver », rétorque l'intéressée en mimant l'agacement.
Le cœur léger, c'est sur le nuage de l'insouciance qu'ils quittent le lycée. Ensemble et dans une euphorie nouvelle.
Au gré de leur marche vers le centre-ville, leurs états d'esprit se transforment. Le stress, parvenu au soulagement, se mue en excitation.
Le bal de fin d'année qui se rapproche d'heure en heure, est le dernier chapitre de leur vie lycéenne. Déjà, ils ont oublié les ratés ou les réussites du matin pour s'intéresser à cette soirée qui s'annonce incroyable. Il ne leur reste que quelques heures avant ce moment tant attendu, mais leur esprit est déjà à la fête. Il ne manque que la musique pour qu'ils commencent à danser dans les rues.
« Romane ! s'écrit soudain Charlie.
– Oui ?
– On a avancé la répèt' générale, je viens te chercher une demi-heure plus tôt.
– Quoi ! réagit soudain Ana. Ça veut dire que tu viens quand ?
– Vers 17 h. Pourquoi ? »
Ana regarde l'heure sur son téléphone et se tape le front de sa main, dramatiquement.
« Ça va pas du tout ! Si mes calculs sont bons, on sera chez moi vers 13h30, ce qui nous laisse seulement 3h30 pour nous préparer !
– Eh ben ! Quand c'est pour calculer ce genre de truc, t'es rapide, s'exclame Loïs sarcastique. Si j'avais su, j'aurais fait ça plus tôt.
– Il va falloir qu'on se dépêche ! se désespère-t-elle sans relever la remarque de son ami.
– En trois heures, c'est largement faisable, nan ?
– Largement ? Tu te rends compte, que je dois la rendre parfaite pour son passage sur scène !
– Moi qui pensait que c'était qu'un cliché, rit Éridan.
– Si tu savais, mec... Lucile est exactement pareille. Mesurée en tout temps, mais dès qu'on parle de fête, faut réserver l'accès de la salle de bain si tu veux pouvoir te brosser les dents, déclare Loïs, désespéré.
– D'ailleurs, on dort bien chez toi ce soir ? l'interroge Éridan.
– Toujours ! Venez poser vos affaires avec Charlie pendant que les filles font leur trafic. »
Ils frétillent tous d'impatience. Ils s'y voient déjà. A danser, possédés par les basses et les mélodies. Passer une soirée de dingue, jusqu'au petit matin. C'est aussi le stress qui les remue pour certains. Éridan voit Romane plus silencieuse que d'habitude. Elle semble être déjà concentrée. Comme si la mention de cette soirée a ravivé en elle, une flamme qu'elle souhaite conserver. Quant à Charlie, Éridan l'a remarqué. Depuis quelques jours, il n'arrête pas de battre le rythme de certains des morceaux de ses ongles. Il joue des arpèges et des accords sur un manche de guitare invisible et fredonne dès que son esprit est libre. Ils ont également passé énormément de temps en répétition. Le soir ou parfois entre les épreuves du bac. Quand les autres angoissaient, ils s'enfermaient dans le prisme musical pour s'égarer le temps d'un morceau.
Il les a vu désespérer aussi. Après des interprétations ratées. Sous le stress de ne pas être prêts. Il les voyait se refermer dans leur trac. Il savait qu'il ne pouvait rien faire, juste les voir compter les temps, gribouiller les partitions de notes et d'indications. Mais, aujourd'hui, il le sait, le groupe est au point. Leurs membres sont tendus, leurs esprits occupés. Toutefois, la peur a laissé place à l'envie débordante de s'offrir à la musique, de faire bouger les corps et les cœurs en rythme. Et comme, eux, il a envie de partager leur joie. Il n'attend que ça.
Éridan jubile intérieurement. La fête, il a hâte d'y être. Néanmoins, il sait que ce n'est que le début. Il a tout prévu. Demain dès l'aube, il annoncera sa surprise à son ami, ou plutôt, il embarquera Loïs dans les montagnes, avec ou sans son consentement. Tout est orchestré à la perfection. Lui et ses amis ont tout fait pour garder leurs manigances secrètes et leur jeu d'acteur semble avoir marché. Loïs ne se doute sûrement pas que le lendemain sera loin de la journée calme et posée qu'ils ont l'habitude de passer.
Du coin de l'œil, il voit Charlie lui faire un clin d'œil et Romane un grand sourire. En réalité, ils ont tous hâte d'immortaliser l'instant, de se créer des souvenirs inoubliables pour fêter leur fin de lycée. Même si cet événement paraît anodin aux yeux des adultes, eux ont l'impression de sauter dans le vide. De découvrir une aventure qu'ils ne présupposaient pas. Une légende urbaine qui pourtant marque un nouveau départ pour nombre de gens.
Sur le trottoir de ce début d'été, ils font du bruit, rient et se balancent au son de la vie. Ils entament pour la dernière fois l'ode à l'adolescence. Ils enterrèrent leur enfance. Un dernier jour. Une dernière heure. Le symbole d'une liberté nouvelle et d'un renouveau. Cet été sera le dernier de leur ère.
Mais pour l'instant, il est trop tôt pour y songer. Demain, ils penseront, aujourd'hui, ils vivent leur vie comme des rois.
Les rois et les reines du bal de ce soir.
Les incontestés souverains de leur vie.
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