Chapitre 26
La mélodie, les basses, la batterie, le clavier, les voix. De la musique. C'est ce qui les emporte vers une dimension différente quelques instants durant. Un autre monde de notes et de rythmes. Plein d'histoires merveilleuses comme désolantes. Des nuages d'émotions en vibrations ou en mots simples. La musique promet ce voyage fantastique à ceux qui veulent bien l'écouter. L'opportunité de s'échapper et de se plonger dans les pensées et les paroles d'un autre. S'oublier ou mieux s'écouter.
Loïs danse avec toutes ces sensations que lui procure cette tempête musicale. Son cœur bat au rythme des enceintes et tout son corps est emporté par ce tempo hypnotique. Il s'y perd en espérant ne jamais retrouver son chemin. La minuscule salle de musique est devenue un vaisseau menant vers de lointains horizons. Loïs regarde les quatre capitaines de cette navette. Max donne la vitesse à cette machine infernale alors qu'Antoine la soutient au son de sa basse. Charlie, entre solo et accords, fait valser les notes de sa guitare. Il guide l'équipage aux côtés de Romane qui, de sa voix pure et envoûtante, lie les sons derrière son clavier. L'alchimie du présent. Le parfait équilibre.
Personne ne semble indifférent à la musique dans ce cagibi ou rentre à peine la batterie. Les musiciens en transe emportent leurs trois spectateurs privilégiés dans une frénésie unique. Loïs voit la tête d'Éridan remuer et battre le tempo. Toutefois, ses yeux ne quittent pas sa muse. Amusé, il observe son ami contemplatif en se demandant quand ce dernier osera s'avancer vers elle. Il n'a pas le loisir d'attendre, une main rencontre la sienne et il est emporté dans une danse sans cohérence. Sous ses yeux surpris, une touffe chocolat virevolte dans des mouvements désordonnés, mais si accordés à la mélodie qui frappe ses tympans. Il se met à bouger à son tour. Suivant la jeune fille face à lui. Il le sait, il n'est pas très doué et les rires de sa partenaire le lui confirment. Peu importe, il continue à s'agiter comme si sa vie dépendait.
Les chants s'enchaînent, tous se déchaînent.
Dans un refrain endiablé, il ne sait pas vraiment pourquoi et par quel courage, mais un élan le rapproche d'elle. Dans un souffle rapide, il lui glisse à l'oreille :
« Tu veux bien m'accompagner au bal des finissants ? »
À peine les mots échappés, il se rend compte à quel point sa phrase peut paraître cliché et vieux jeu. Il détourne les yeux pour masquer sa gêne. Mais furtivement, elle s'approche et lui dépose un baiser sur la joue.
« Volontiers ! »
Il sent ses joues arriver au paroxysme de la rougeur quand il finit par recroiser son regard. Ses yeux pétillent de malice et de plaisir.
« Tu réagis si facilement », déclare-t-elle en lui tirant la langue.
Mais il ne trouve rien à répondre. La sensation de ses lèvres sur sa joue subsiste comme une empreinte.
Il a l'impression que son cœur poursuit le rythme soutenu de la batterie dans son grand final. Il se sent comme un de ces personnages de film stéréotypés qui servent à faire rêver les adolescents. Mais actuellement, il est le seul à planer en plein songe.
La salle est de nouveau silencieuse. Les artistes sont essoufflés, mais excités. Les spectateurs les félicitent. Tous attendent avec impatience le jour J. Ce point final à leur vie lycéenne.
Si seulement il suffisait de claquer des doigts pour atterrir en plein milieu de cette soirée qui s'annonce mémorable. Loïs aimerait sauter les jours qui viennent. Seules les révisions, le stress et la fatigue se profilent à l'horizon. Dans la pénombre de la chambre, quand seule sa lampe de bureau éclaire la pièce, il se demande pourquoi il s'évertue à travailler. Pour le futur, aurait répondu, n'importe qui. Lequel ? Il ne peut s'empêcher de s'interroger. Qui sait ce que les années, les mois ou même les jours lui réservent ? Mais cet état de lassitude ne se prolonge pas. La raison l'emporte toujours. Il travaille et agit en adolescent ordinaire, comme si le lycée n'était que sa seule préoccupation. Il se sent plus vivant, comme si faire bouger ses mains et sa tête pouvait changer quelque chose. Comme si poursuivre des petits objectifs pouvait ralentir le temps.
En choisissant de plus grands objectifs, le temps ralentit-il davantage, jusqu'à s'arrêter ?
Une formule mathématique existe-t-elle ? Si seulement.
Même s'il aime tout contrôler et calculer, il y a des problèmes qu'il ne peut résoudre. Des inconnues introuvables. Des équations inextricables. Les chiffres sont si rassurants, stables, inchangeables alors que les variables de la vie sont infinies et incertaines. L'Homme, aime-t-il tant vivre dans l'inconnu ou a-t-il seulement abandonné les recherches calculatoires de l'existence ?
La salle de musique est désertée petit à petit. La sonnerie retentit, les cours appellent les lycéens. Il ne réagit pas immédiatement et reste planté au milieu des instruments.
« Loïs ? »
Prise de conscience, il doit bouger d'ici.
« J'arrive, Ana. »
Sourire. Il la rejoint.
« On y va ?
– On y va. »
Ils traversent des couloirs bondés, Ana s'agite encore au son d'une musique inaudible. Il aimerait l'accompagner, mais un détour de chemin les sépare, elle vers de l'histoire, lui vers des maths. Il en va ainsi.
Chacun embrasse le monde à sa manière. Les hommes et leur histoire sans fin, la science et ses démonstrations. La complexité de l'âme humaine, les chiffres qui ne mentent pas. Tant de portes de savoir, qui s'ouvrent à eux, mais se referment instantanément. La connaissance est trop vaste. Il existe trop de sciences, trop de lignes dans le code qui programme le monde. Lui n'est qu'une infime poussière dans ce monde sans limite et en perpétuelle création. Une minuscule suite d'uns et de zéros, invisible et sans conséquence. C'est rassurant autant que ça en est affligeant. Chacun veut devenir quelqu'un, mais personne n'est plus qu'une poignée de secondes dans l'infinité du temps.
Mais cette réalité, on ne l'apprend ni dans les livres, ni à l'école. À la place, on nous pousse à atteindre les étoiles, à quoi bon si c'est pour disparaître comme une filante ?
Devant la salle de classe close, les élèves s'agitent et discutent. L'animation et le stress de la fin d'année planent sur les couloirs moites. Les derniers jours sont là. Quelque part, il n'en revient toujours pas. Toujours les mêmes questions qui tournent et s'enroulent dans sa tête comme si le temps s'était simplement reposé.
Mais juste une impression de courte durée. Il se rappelle la course endiablée qu'il a commencé. Les minutes qui s'égrènent se jouent de lui, elles semblent s'écouler tantôt vite, tantôt lentement perturbant ses sens. Au final, rien n'a changé. Le début a sonné, mais il est toujours bloqué sur la ligne de départ.
Il soupire, maussade dans l'excitation ambiante. Il commence à fatiguer à se questionner et à ressasser. Combien de fois s'est-il déjà fait la réflexion. Il se répète, il s'agace. Mais il ne bouge toujours pas. Il aimerait pouvoir danser sur le fil de sa vie, libre comme Ana. Crier les tourments de sa raison dans des chansons, comme Romane. Vivre chaque seconde comme un trésor, comme Charlie. Se battre pour survivre, comme Éridan.
On a beau lui dire, qu'il vit avec courage. Qu'il puisse vivre avec sa maladie, est inspirant. Par rapport aux poussières de paillettes qui l'entourent, il ne fait rien. Les vagues le portent et l'emportent. Il subit par lâcheté. Tous ont tort, ce qu'ils prennent pour du courage n'est rien de plus qu'une lassitude et un détachement feint.
Autour de lui, on parle d'avenir. De vœux, d'études supérieures, de stress, de soulagement. Il regarde la scène comme s'il n'appartenait pas à ce tableau de jeunesse. Pourtant, comme eux, il a des choix à faire, un futur à construire, cependant, il repousse l'échéance toujours plus loin. Les derniers jours s'annoncent et il n'a pris aucune décision. Il ne sait pas pourquoi il attend. Peut-être que la mort le délivre de ce choix douloureux.
« Loïs ! Pas trop stressé ? »
L'intéressé se tourne vers son camarade.
« Tranquille et toi ?
– Ça pourrait aller mieux... Maintenant que j'ai mon affectation, j'ai encore plus la pression !
– Franchement, Damien, si tu réussis pas, je crois que les trois-quarts de cette classe redoublent, s'exclame Loïs avec une accolade amicale sur l'épaule de son camarade.
– Je suis tellement tendu, que cette phrase me met encore plus la pression, rit-il. D'ailleurs, je me souviens plus si je t'ai demandé, ça a donné quoi ton Parcoursup ?
– Je m'engage dans la prépa. Bienvenue souffrance ! »
Spontanéité.
Ils rient.
Mais malgré la facilité avec laquelle il a donné sa réponse, Loïs a fait son premier choix. Il ira jusqu'au bout de ses espérances. Il prendra son envol, quitte à se brûler les ailes, tel Icare.
Pour la première fois, il quitte la ligne départ. Le premier pas est fait. La machine infernale est lancée. Mais le temps, lui, continue de tourner inlassablement.
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