Chapitre 25
« Oui, c'est ça, du 25 au 28 juin. »
Éridan se mord la joue. S'y est-il pris trop tard ?
« Il nous reste un emplacement de tente médium.
– C'est parfait !
– Très bien, au nom de Michaely, c'est bien ça ? Tout est bon pour moi.
– Merci beaucoup ! Bonne journée. »
En raccrochant, il soupire de soulagement et laisse s'exprimer sa joie dans le couloir vide du lycée.
Le mois de mai s'est écoulé à une vitesse folle et, juin s'annonce tout aussi mouvementé. Éridan a l'impression de n'avoir eu aucun moment de répit. Entre le bac qui approche à grands pas et le stress ambiant de la fin d'année, il s'est improvisé agent de voyage.
Il se souvient encore de la résolution qu'il a prise en quittant l'austérité du cimetière. Il redonnerait de l'espoir à Loïs. Il se rachèterait auprès de lui en lui montrant que rien n'est impossible et qu'aucun combat n'est perdu. Philippine lui avait donné une piste précieuse. Il ferait découvrir à son meilleur ami les joies du vol, celles à qui il a décidé de tourner le dos. Oui, il lui offrira ce moment de liberté qu'il espère suffisant à lui insuffler une onde d'espoir.
Toutefois, pour cela, une organisation gigantesque s'est mise en place. Logement, moyen de transport, discrétion. Tout devait être orchestré parfaitement. Il a mis au courant des amis pour une surprise d'anniversaire additionnée à un voyage dans les montagnes. Tous ont été enthousiastes et il espère que Loïs aura la même réaction.
Deux semaines avant les fameux examens que tous redoutent. Trois semaines avant leur départ. Rien n'est prêt pour aucun des deux et Éridan se sent plus que dispersé. Pourtant, il sourit dans ce couloir vide. Cet appel s'est achevé sur une petite victoire et rien ne pourrait altérer le profond soulagement qui le traverse à l'instant.
Il finit par rejoindre le hall du lycée où ses amis sont installés en attendant la fin de la pause méridienne. Les discussions se mélangent dans le brouhaha ambiant.
« T'étais où ? » s'exclame Charlie.
Ana lui envoie discrètement un coup de coude dans les côtes.
« C'était Philippine, elle vient de rentrer chez elle. Je lui manque déjà apparemment », rit Éridan.
Ce n'est pas vraiment un mensonge. Ce matin, sa cousine lui a passé un coup de fil pour se plaindre de la capitale. Toutefois, il prend bien soin d'éviter les yeux de son meilleur ami. À la place, il croise ceux de Romane qui l'interrogent silencieusement. Alors, il hoche imperceptiblement la tête. Elle semble tout aussi soulagée que lui à l'instant. Tous les deux ont passé des heures à planifier cette petite escapade dans les montagnes. Le problème de logement réglé, un poids se détachait de leurs épaules.
« Bon, maintenant qu'il est là, on peut organiser nos sessions de révisions ! »
Mais Éridan n'écoute déjà plus. Un sentiment étrange l'étreint. Il s'en rend compte comme à travers un filtre, mais les jours qu'il passe actuellement dans ce lycée sont les derniers. Les cours, auxquels il assistera les deux jours qui suivront, seront les derniers. Après, il ne sait pas vraiment de quoi sa vie sera faite. L'université, le monde actif, est-ce si différent de ce qu'il vit en ce moment ?
Dans le fond, qu'est-ce que devenir adulte ? Demain ou dans quelques semaines, il sera sûrement le même qu'aujourd'hui. Perdu dans le tumulte du monde. Incertain de ce que l'avenir lui réserve. Et pourtant, la société semble mettre un point d'honneur à ce changement de milieu.
Adolescent.
Adulte.
Qu'aura-t-il de plus ? Qu'aura-t-il de moins ?
Peut-être rien, peut-être tout.
Au final, encore et toujours, il se laisse porter. Il ne sait pas ce qu'il va devenir, il ne sait pas ce qu'il veut devenir. Tant se bercent de rêve du futur. Alors que jamais il ne s'est imaginé autre qu'enfant, puis adolescent. En est-il incapable ou a-t-il seulement peur de ne jamais pouvoir atteindre ses espérances ?
Le futur, il n'en a pas peur, il ne voit juste rien en lui.
Puis soudain, il se questionne. À quel avenir son frère a-t-il secrètement rêvé ?
Il se rappelle l'époque où il voulait devenir un héros, peut-être pour la gloire, mais surtout pour la justice. Puis, quand l'imagination de l'enfance a commencé à déserter les rêves. Elliott s'est vu avocat. Défendre lui était une vocation. Éridan se souvient des plaidoiries qu'il regardait, pendant que lui tentait désespérément de le convaincre de remettre un dessin animé.
En y repensant, il sourit. Quel collégien passe ses après-midi à suivre des jugements et à étudier les plaidoiries avec une telle admiration ?
Finalement, au cours du temps, Éridan s'y est résigné et a commencé à s'y intéresser à son tour. Baigné dans les passions de son frère, il a découvert ce monde captivant. Le droit est devenu une évidence pour son avenir.
Une pensée fugace le traverse. Ce choix, lui appartient-il vraiment ? Jamais cette idée n'est venue à lui. Mais maintenant, alors qu'il se pose tant de questions, il a cette triste impression de vivre sur des désirs passés. Pourtant, quelque part, ça le conforte. Elliott continuera à l'accompagner, il en est certain.
Parfois, il a l'impression de devoir vivre pour deux.
Puis, il se sent terriblement seul. Il donnerait tant pour pouvoir vivre à deux.
Pourra-t-il seulement être heureux seul ? Sans ce poids qui lui comprime le cœur et qui le fait se retourner sans cesse.
Peut-être que finalement, ce poids fait partie de lui. Peut-être qu'il ne peut qu'être entier qu'avec. Alors, le bonheur n'est qu'une utopie malsaine qui se pavane dans les livres, les films et les yeux des gens chanceux.
Mais il a été heureux. Il préfère juste ne pas s'en souvenir, se croire emporté dans une fatalité hors de son contrôle. Qui le retient dans cette spirale sombre qui l'entraîne inéluctablement vers des abysses inconnus ? Les fantômes de son passé ou lui ? Peut-être qu'il préfère vivre dans l'ombre du malheur au fond. Qu'est-ce qui est le plus simple ? S'élever et se battre pour la vie ou souffrir en mettant la faute sur le destin ?
Il pensait avoir pris des résolutions, mais tout ça n'est que du vent ? Il continue de se tourmenter encore et encore.
Se racheter, apprendre à vivre, guérir de son malheur.
C'est plus difficile qu'il y paraît. Il sait que le chemin est long jusqu'à la résilience. Il ne sait même pas s'il l'atteindra. Mais ses démons lui chuchotent déjà tant de choses qu'il tente de taire. Ils sont installés depuis si longtemps que leurs caresses malsaines lui sont presque normales. Pourtant, dans ses pensées, rien ne tourne rond.
Ce qui n'était qu'un simple sentiment de nostalgie s'est mué en une pensée qui lui pèse le cœur, le corps et l'esprit.
Et s'il est déjà trop tard ? Cette pensée l'effleure et sa gorge se noue. Il n'a pas le droit de l'envisager. Il doit garder le contrôle.
Respire.
S'extraire de ces questionnements dévastateurs devient une priorité. Alors, il essaie de raccrocher à la conversation qui se joue silencieusement devant ses yeux perdus.
« Personne n'a cours après ? demande Charlie.
– Il me semble pas, lui répond Éridan, définitivement sorti de ses réflexions.
– Vous voulez assister à notre répèt' ? On est presqu'au point et ça nous fera pas de mal de jouer devant un public.
– Oh oui ! Trop, s'exclame Ana.
– T'es sûr qu'on est prêts ? demande alors Romane, légèrement angoissée.
– Mais oui ! Et puis ça reste une répétition de toute manière.
– Tu crois que les gars seront d'accord ?
– T'inquiète pas pour ça. Je leur ai déjà dit que j'amènerais peut-être du monde. »
Elle ne répond pas et se mord la lèvre avec inquiétude.
« Eh... Ce n'est que nous, Ro'. En plus, tu vas assurer, j'en suis sûr. » tente de la rassurer Éridan.
Sa main caresse tendrement son épaule dénudée. Elle se tourne vers lui avec ce sourire qui le fait vibrer. Mais il ne laisse rien paraître et le lui rend.
Leur échange ne dure qu'une seconde, il ne semble pas être passé inaperçu. Loïs lui fait un clin d'œil appuyé. Agacé, il lui répond d'un regard noir, mais son ami étouffe plutôt un rire au lieu de se troubler.
Finalement, il sourit à son tour.
Qu'importe le futur. Qu'importe les erreurs qu'il fait et qu'il fera. Qu'importe les regrets qui l'animent. Qu'importe.
Il se sent si bien assis à même le sol, entouré de cette illusion adolescente. Tout pourrait être plus beau. Les problèmes et les pleurs ne pourraient ne pas exister. Toutes ces choses, qui minent le moral de chacun chaque jour, ne pourraient qu'être de vieilles légendes. Mais la vie ne serait pas la vie.
Ces petites étincelles légères de bonheur sont si belles dans le fracas d'une existence. Éphémères et rares. Elles ne sont que plus précieuses, parsemées comme des trésors.
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