Chapitre 13
La seconde d'après, la lumière réapparaît sur sa rétine. Sonné, il se redresse lentement, la tête lui tourne légèrement, ses oreilles sifflent toujours. Puis quand le décor cesse de se mouvoir devant ses yeux, il tente de se relever. C'est un échec. Ses jambes ne lui répondent plus. Elles sont secouées de micro-tremblements et refusent de se remettre en mouvement. Deux masses agonisantes détachées de son corps. Loïs panique, il commence à frapper sur sa cuisse comme pour la réveiller, mais rien ne se passe. Il redoute qu'un de ses amis monte et le découvre dans cet état. Crainte plutôt irrationnelle quand l'usage de ses jambes est compromis.
Sa respiration s'accélère. Ses mains tremblent autant que ses membres inférieurs. Ses pensées, sa vue se brouillent. Que va-t-il bien pouvoir faire ? Alors que son cœur explose d'angoisse dans sa poitrine, il ferme les yeux pour se calmer.
Inspiration. Expiration.
Quand il se sent plus apaisé, peut-être après quelques secondes, peut-être après quelques minutes, il réessaie de bouger. D'abord une cheville, puis un genou... Et comme si de rien n'était, il parvient à se mettre debout.
Soulagement.
Cependant, il sait que ce qu'il vient de se passer n'a rien de normal. C'est même une des pires choses qui pouvaient advenir. Ce moment de faiblesse n'est qu'une confirmation directe que son corps s'autodétruit peu à peu. Un aperçu sur ce quoi son futur sera fait. Cette sensation d'être dans un corps qu'on ne peut plus contrôler, contraint à l'immobilité, dans un corps empli de douleurs, dans un corps qui n'est pas le sien, et pourtant...
Tandis qu'il reprend ses esprits, la voix métallique du Laser Game annonce la fin de la partie.
Loïs rejoint l'entrée du labyrinthe, le tee-shirt trempé de sueur. À cause de l'effort ou de la frayeur, il ne sait pas vraiment. Il rencontre Charlie, des boucles plaquées sur ses tempes par la chaleur. Derrière eux, Romane leur crie de l'attendre en souriant, ses dents blanches brillant dans l'obscurité. Charlie se moque d'elle, ils rient.
Personne n'a rien remarqué, se rassure Loïs. Piètre consolation.
Dans le sas, la tension est retombée. La bataille a pris fin. Les rires, les moqueries fusent et Loïs tente de se mêler à cette ambiance chaleureuse. Cependant, derrière chaque sourire, une grimace de douleur causée par son corps meurtri par la chute se cache. Chaque mouvement le lance, mais il fait comme si de rien n'était. Ils ne doivent pas savoir. Rien de bon ne peut être apporté par cette réalité.
À l'extérieur, on les accueille avec les fiches de score. Cependant, il a l'impression que tout se déroule derrière un voile imperceptible le séparant des autres.
« Bon, vous préférez commencer par le premier ou le dernier, les jeunes ? demande l'oncle de Charlie.
— Donne le premier, on sait déjà qui c'est ! s'exclame ce dernier, confiant.
— Comme tu voudras... Bon, avec un score de 1050, la première place revient à... commence-t-il avant de marquer une pause pour faire planer le suspense. Romane ! Félicitation !
— Comment ça ? s'écrie Charlie tandis que la jeune fille attrape son papier en lui tirant la langue.
— Avec ta discrétion, c'est facile de te viser, se moque-t-elle.
— Ensuite, on a Éridan avec 950 points ! Bravo !
— J'ai toujours dit que les snipers étaient des tricheurs.
— Arrête d'être mauvais perdant, Charlie ! le gronde Ana, rieuse, en lui tapant sur l'épaule.
— En troisième position, on a Monsieur Le mauvais joueur et son score de 550 !
— Oh non, Tonton, tu vas pas t'y mettre...
— Pourquoi pas ? Ça te correspond bien, dit-il dans un clin d'œil appuyé. Ensuite, avec 500 points nous avons Ana, puis en bon dernier, Loïs avec un score de 450.
— Bah, Loïs, t'as foutu quoi, t'es même derrière Ana ! » s'exclame Charlie.
Cette interpellation le ramène de l'autre côté du voile. Mais avant qu'il ne puisse réagir, Ana proteste d'indignation.
« Comment ça ? Je suis le modèle de nullité ou comment ça se passe ?
— Fais pas attention, il se rassure parce que c'est toi qui l'as tué le plus de fois », lui chuchote faussement Loïs.
Pendant qu'elle rit, il essaie de se justifier avec tout le détachement dont il est capable, il ne doit pas paraître louche. Rien ne s'est passé pendant la partie, c'est ce qu'ils doivent croire.
« Moi, les parties solos, si vous évitez les zones de piège, je peux plus rien y faire. Je suis nul en sniper et en tête brûlée, c'est pas mieux, déclare-t-il en haussant les épaules.
— T'es le seul à avoir touché Romane, commente Éridan en jetant un coup d'œil sur la fiche de score de la jeune brune. Tu mériterais une médaille, elle nous canardait tous de loin.
— C'est aussi la seule qui m'a tué. Je pensais que c'était toi Éridan !
— Je suis partout, les gars, vous ne pouvez rien contre moi », fanfaronne la gagnante.
Aux portes de l'établissement, les trottoirs accueillent les cinq adolescents encore excités. La discussion se poursuit autour de la partie fraîchement achevée. Un peu en retrait, Loïs écoute distraitement ses amis. Charlie continue à crier à la triche, Éridan à se moquer de lui. Romane ne dit pas grand-chose mais ne cesse de rire. Quant à Ana, elle commence à ralentir pour marcher à son niveau. Il sent qu'elle l'observe du coin de l'œil.
« Tu boudes parce que tu es dernier ? lui demande-t-elle entre l'amusement et la curiosité.
— Je ne suis pas Charlie, ironise Loïs.
— Alors pourquoi tu dis rien ? Ça te ressemble pas...
— J'ai pas hyper bien dormi.
— Ça non plus, ça te ressemble pas. C'est plus du genre de Éridan de se tracasser à en faire des nuits blanches !
— Faut croire qu'il déteint sur moi », dit-il dans un faible sourire
Elle le fixe intensément, ses yeux ne révèlent rien. Ils semblent seulement le dévisager comme pour démêler le vrai du faux. Elle finit par détourner le regard.
« Tu me le dirais si quelque chose n'allait pas ? » demande-t-elle avec l'air de connaître sa réponse.
Il le sait, elle le sait. Quoi qu'il pense, Loïs répondra : « Bien sûr que oui » avec un beau sourire et un petit rire.
Il ne déçoit personne ce jour-là. Il connaît sa réplique et l'interprète avec la justesse du rire. Ce rôle est le sien, rien ne doit être laissé au hasard. Il doit au moins contrôler celui qu'il est s'il veut assurer au monde que sa vie ne vrille pas et ne lui échappe pas des doigts.
Devant eux, leurs trois amis se retournent.
« Vous traînez, on a faim nous ! râle le guitariste au perfecto.
— C'est bon, c'est bon, on arrive. »
Toutefois, un élancement dans le dos rappelle à Loïs qu'il ne peut rester plus longtemps.
« Je dois rentrer, j'ai promis à Lucile de l'aider pour ses devoirs d'anglais, ment-il.
— Ta sœur ne nous en voudra pas si on te vole le temps d'un repas ! s'exclame Ana en lui tirant le bras.
— Elle m'a dit que c'était un travail urgent et qu'elle avait déjà du retard », surenchérit-il.
Ses amis tentent de le convaincre de rester, mais il décline à chaque fois. Il remarque qu'Éridan reste silencieux. Son regard suspicieux le transperce, délibérément, il évite de le croiser. Si leurs yeux venaient à se rencontrer, il sait que son ami y verrait tout de suite la détresse. Alors, après un dernier au revoir, il fait volte-face et part dans la direction opposée au groupe. Mais malgré la distance croissante qui le sépare d'eux à chaque pas, le regard de son meilleur ami continue de lui brûler la nuque.
Ce dernier sait que quelque chose ne tourne pas rond, c'est certain. À chaque pavé défilant sous ses yeux, Loïs redoute qu'Éridan l'arrête pour lui poser une question à laquelle il ne pourra pas mentir. Arrivé à un carrefour, il tourne et en profite pour jeter un coup d'œil derrière lui. Le groupe avance joyeusement, personne ne va le rattraper, il peut respirer.
Hors de vue et soulagé, il s'adosse au mur. Dans sa main, son téléphone lâche des tonalités régulières en attendant une réponse à son appel. À l'autre bout du fil, la personne ne décroche pas. Loïs s'agace, à mesure que les secondes défilent, ses doigts moites agrippent avec toujours plus de force l'objet de son impatience. Au bout du troisième essai, une voix se dégage de l'appareil. Loïs ne lui laisse pas le temps de parler. Pressant, au bord de la panique, il ne peut que transmettre sa détresse. Il sait qu'il peut baisser la garde face à la personne au bout du fil. Ses mots vibrent de toutes les émotions qu'il essaie de brider. En cet instant, l'angoisse domine.
« Maman, il faut que tu viennes me chercher, je crois que c'est grave... »
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