Yoongi ne savait plus du tout quoi faire. C'était déjà la sixième personne qu'il tentait de mettre en garde, et c'était également déjà le sixième échec. Il était pourtant sûr de ses résultats. Il avait fait les calculs de nombreuses fois. Il ne pouvait pas se tromper. Il soupira en sortant du bureau, maudissant son supérieur qui ne lui accordait aucun crédit. 

A vrai dire, il avait un peu envie de pleurer. Il se sentait désemparé. Ce n'était pas arrivé depuis des années. Lui qui avait fait de très grandes études de physique, spécialisées sur le nucléaire, il vivait sa vie paisiblement depuis quelques années. Il n'avait pas vraiment d'amis, pas de vie amoureuse, ne voyait que très peu sa famille. Il allait travailler presque tous les jours, mécaniquement, mais il aimait ce qu'il faisait. Depuis longtemps, il s'interdisait la moindre émotion. Mais la peur le submergeait maintenant.

Il s'était cru invincible. Surtout depuis que ses premières recherches avaient abouti à quelque chose de concret et de révolutionnaire. Il avait su trouver quelque chose que d'autres cherchaient sans succès depuis des décennies. Il était un génie, après tout. C'était normal. Il avait gardé la face pendant tout ce temps. Cette fois, il la perdait.

Quand Yoongi rentra enfin dans son appartement spacieux et confortable, il s'effondra, pleurant sans se retenir. Il alla prendre une douche pour se calmer, mais ça ne marcha pas. Au lieu de ça, il pensa encore et encore à ce qu'il avait découvert. Il avait honte de ne pas l'avoir vu plus tôt. Il avait honte d'avoir fourni au monde une arme comme celle-ci. Une arme dont personne n'avait même conscience. Il voulait présenter ses excuses, il voulait mettre tout le monde en garde. Mais de sa place, il ne pouvait rien faire. Il savait que personne n'allait le croire. Sa découverte l'avait rendu célèbre, mais il avait eu le soutien de professeurs reconnus. Il n'était pas encore assez crédible pour faire une annonce comme celle dont il avait besoin maintenant.

Découragé, il réfléchit encore à la situation. Il avait tenté de faire quelque chose, mais ça n'avait pas marché. Il ne pouvait pas sauver l'humanité cette fois. Alors il prit des décisions. Dès la première heure le lendemain, il irait porter sa démission à son supérieur. S'il allait bientôt mourir, il voulait profiter un peu avant que ça n'arrive. Il ne voulait plus travailler pour cette finalité inévitable. Il alla ensuite se coucher, prenant un somnifère pour pouvoir dormir un peu. Il avait le sommeil assez fragile de base, c'était encore pire depuis sa dernière découverte.

Dans la nuit, il fit un rêve étrange. En réalité, c'était plutôt un souvenir. Il se revoyait plus jeune, en présence des six amis qu'il eut jamais dans sa vie. Il ne les avait pas vus depuis des années. Leurs chemins s'étaient séparés, et il doutait que l'un d'entre eux ait encore des contacts avec un des autres. Au début, il avait été triste, mais son attention avait vite été détournée par ses études puis ses recherches. Il repensait à eux de temps en temps, toujours avec beaucoup de tendresse. En se levant, Yoongi eut l'irrépressible envie de les revoir. Rien qu'une dernière fois avant que le monde ne s'écroule. C'était comme ça qu'il voulait partir. Il voulait réunir ses anciens amis une dernière fois.

Yoongi se prépara avec paresse, ce qui était rare. Il n'était pas en retard, loin de là. Mais pour une fois, il ne serait pas en avance d'une heure ou deux par rapport à ce qui était convenu avec son supérieur. Sa lettre de démission sous la main, il se dirigea vers sa voiture spacieuse -il aimait avoir de l'espace dans une voiture, sinon il avait l'impression d'étouffer-. Il ne lui fallut qu'une demie heure pour rejoindre son lieu de travail. Il avait réfléchi, encore une fois, pendant ce temps. Il savait qui il allait chercher en premier. Ce n'était pas compliqué, il n'était pas le seul à être resté à Séoul. Yoongi entra dans le bâtiment, toute expression effacée de son visage. Il se dirigea vers la sécurité pour pouvoir poursuivre son chemin. On le laissa passer après examen et il alla vers le bureau d'accueil. Il ne parlait presque jamais à la secrétaire qui travaillait là, il n'en voyait pas l'intérêt. Elle lui sourit grandement en le voyant approcher.

- Monsieur Min, comment allez-vous ? Que puis-je faire pour vous ?

- J'aimerais rencontrer le directeur Song, vous pouvez m'arranger ça ?

- Je vais regarder s'il a un peu de temps sur son planning de la journée. Je viendrai vous donner une réponse dans la matinée.

- Très bien.

- Passez une bonne journée, monsieur Min.

Yoongi ne prit même pas la peine de lui répondre. Il ne la connaissait pas, après tout, et bientôt il ne la verrait plus. Il se dirigea vers le laboratoire qui lui était réservé. L'attendaient son ordinateur, ses recherches, quelques effets personnels. Toute sa vie professionnelle tenait ici. Lorsqu'il avait terminé ses études, il avait été embauché là, et il n'avait pas changé d'entreprise. C'était grâce à ce centre de recherches qu'il avait commencé à se faire un nom. Il croyait être libre dans ses travaux, mais il avait enfin compris que c'était faux. Toutes les découvertes n'étaient pas acceptables aux yeux de son patron. Il soupira en observant ce qui représentait sa vie. Puis il se dirigea lentement vers son ordinateur, sortant son disque dur de son sac. Son contrat l'autorisait à placer ses recherches sur un disque dur au cas où il voudrait travailler de chez lui. Il le faisait de temps en temps. Cette fois, il voulait simplement récupérer tout ce qu'il avait fait, même si certaines choses n'avaient pas abouti. Puis il vérifia l'état de ses travaux, ne s'attardant pas réellement sur les résultats qu'ils donnaient. De toute façon, un autre allait reprendre son travail derrière lui, c'était comme ça. Enfin, il rangea ses quelques effets personnels dans son sac. Son diplôme, encadré et affiché ici par simple orgueil. Une photo de ses parents. Et une petite trousse pleine de stylos qu'il possédait depuis le lycée. Yoongi s'assit alors et attendit. Deux heures plus tard, la secrétaire fit son apparition.

- Monsieur Min ? Osa-t-elle après avoir frappé à la porte. Le directeur Song m'a indiqué qu'il pouvait vous recevoir pendant le déjeuner. Il n'a aucune autre plage horaire de disponible pour la semaine. Il accepte de vous voir si vous déjeunez avec lui.

- D'accord. Dites-lui que je serai à son bureau à midi.

La jeune femme le remercia et s'en alla, n'ayant même pas eu la chance de pouvoir ouvrir la porte, Yoongi ne lui en donnant pas l'ordre. Il y a deux semaines, il avait déjà demandé un rendez-vous avec le directeur, et ça ne s'était pas bien terminé. Ce dernier l'avait remis à sa place, lui faisant bien comprendre qu'il n'était qu'un jeune coq qui voulait frimer. Il avait même accusé Yoongi de vouloir attirer l'attention sur lui après avoir pris goût à la célébrité suite à sa première découverte. Deux heures plus tard, Yoongi était installé dans le bureau de cet homme, observant le repas qu'il lui avait commandé. Il avait pris soin de glisser sa lettre dans une poche de sa blouse, la pliant pour la dissimuler.

- Monsieur Min ! S'exclama faussement le directeur. Je suis ravi de vous voir. Que me vaut l'honneur de votre visite ?

- Merci d'avoir accepté de me rencontrer, monsieur Song. Je suis désolé de vous déranger pendant votre pause.

L'homme balaya les excuses d'un revers de main et ils échangèrent des banalités durant quelques minutes, Yoongi évitant soigneusement de revenir sur les raisons de sa visite. Mais bien vite, le directeur insista de nouveau pour avoir des réponses à ses questions.

- Et bien ... Commença Yoongi. A propos de notre dernière entrevue ... Je souhaitais vous présenter mes excuses. Je n'aurais pas dû insister comme je l'ai fait.

Yoongi n'en pensait pas un mot. Mais pour que sa démission soit acceptée sans cris, il avait décidé de mentir un peu. Le directeur hocha la tête pour l'inciter à continuer.

- J'ai conscience que ce genre d'information doit être vérifiée avant et je ne l'ai pas fait. De plus, s'il s'avère que mes recherches sont justes, j'ai compris que l'on ne pouvait pas révéler une information pareille sans passer par une très grande réflexion avant. Je vous présente donc mes excuses pour vous avoir fait honte.

Yoongi se courba légèrement pour appuyer ses dires. Un léger sourire étira les lèvres de monsieur Song.

- Tu me dis ça parce que tu as pris le temps de réfléchir, ou parce que nous sommes déjà six à t'avoir remis à ta place ?

Yoongi releva la tête, surpris. Comment avait-il fait pour savoir ? Il aurait dû se douter que les autres chercheurs iraient dénoncer sa démarche. Il réfléchit rapidement à ce qu'il pouvait répondre tout en continuant à flatter cet homme qui l'écoeurait.

- Les deux, monsieur. Me faire remettre à la place qui est mienne m'a fait prendre conscience de mon comportement inacceptable. J'ai agi sans réfléchir et dépassé ce qui m'était autorisé.

L'homme émit un rire et posa un regard victorieux sur Yoongi.

- Tu attends donc que je pardonne tes écarts ?

- Non, monsieur.

- Alors qu'attends-tu de moi ?

Yoongi entra enfin en action, récupérant la petite lettre qui attendait son heure dans sa poche. Il l'a tendit de ses deux mains tout en s'inclinant.

- J'aimerais que vous acceptiez ma lettre de démission. De par mon comportement, j'ai entaché l'honneur de votre institut, et j'en suis vraiment désolé. Après avoir bien réfléchi à la situation, il m'est apparu que je ne méritais plus de travailler pour vous. Je souhaite donc démissionner pour réparer mon erreur et ne plus vous faire honte comme je l'ai fait.

L'homme claqua sa langue contre son palais puis arracha la feuille des mains de Yoongi. Il semblait être mécontent. Yoongi lui parlait comme s'il était en droit de refuser sa démission, mais il savait que ce n'était pas le cas. Lors de la constitution de son contrat, le jeune homme avait bénéficié d'une clause particulière l'autorisant à quitter l'institut comme bon lui semblait sous seule présentation d'une lettre de démission. Et sans aucun préavis. A l'époque, il voulait tellement le voir travailler pour lui qu'il avait accepté en se disant que ce jeune chercheur n'oserait jamais se servir d'une telle clause. Ce n'était pas comme ça que les gens ici faisaient. Mais il l'avait pourtant fait.

- Tu sais très bien que je ne peux pas t'empêcher de partir, petit merdeux. Finit par répondre le directeur en se levant, menaçant. Tu comptes faire quoi ? Aller voir tous les chercheurs du monde pour leur raconter tes conneries ? Personne ne te croira ! Tu n'es rien.

Cette fois, Yoongi osa le fixer droit dans les yeux. Il avait prévu de faire profil bas, mais il ne tenait plus. Yoongi était docile depuis des années, mais à vrai dire, ce n'était pas vraiment ce qu'il était réellement. Il n'avait jamais aimé être commandé. Il n'aimait pas qu'on lui manque de respect, et il détestait devoir respecter des types comme lui. Mais maintenant, il était libre. Il pouvait dire et faire ce qu'il voulait. Il ravala sa salive et se leva lui aussi.

- J'ai fait la découverte du siècle, monsieur, chose que vous n'avez pas eu l'honneur de faire. Cette découverte porte le nom de votre institution, mais c'est à moi que vous la devez. Et cette découverte mène les hommes à une mort certaine. Personne ne me croira, je le sais parfaitement ! Mais je préfère crever entouré des miens, de ceux qui m'ont toujours soutenu, plutôt qu'aux côtés d'une enflure comme vous !

L'homme se mit à hurler des insultes et attrapa Yoongi par sa blouse. Avant que le jeune chercheur ne puisse réagir, son aîné lui asséna un coup de poing, puis un deuxième. Quand il sentit un léger filet de sang couler de son arcade sourcilière, il réagit enfin et le repoussa vivement. L'homme tomba par terre en jurant toujours et Yoongi s'enfuit. Il récupéra ses affaires aussi vite que possible et sortit de cet institut de malheur. Au moins, il était enfin libre.

Et Yoongi savait exactement qui il allait trouver en premier.