✨Chapitre 32 - D'un meurtre et de rumeurs
Le ventre déjà noué je me réveillai à l'aube, incertaine. J'avais comme un mauvais pressentiment. Alors que je m'habillais, mes collants paraissaient lointains, ma chemise factice, ma jupe trop courte. Rien ne semblait à sa place, les sourires de mes camarades de dortoir étaient faux et les bonjours flous.
Je ne tardai pas à découvrir pourquoi.
— Il y a eu un meurtre, me souffla Ethel.
Quelqu'un avait tué quelqu'un d'autre.
La nouvelle fit remonter des frissons le long de mon échine.
— La victime est une Innée, me murmura-t-elle penchée vers moi pendant que je faisais mon lit. Le coupable... Oh par tous les Sages, May, je n'en reviens pas. Ils l'ont tout de suite trouvé, mais... c'est...
Elle ne finit pas sa phrase. Intriguée, je me relevai devant elle et croisai son regard. Dans ses yeux l'inquiétude et la peine troublaient ses yeux noisette d'habitude si confiants. Je fronçai les sourcils et devinai :
— Un Transfert ?
Ethel acquiesça sans un mot et des larmes perlèrent sur ses joues.
Choquée, je laissai retomber mon oreiller sur mon matelas et pris mon amie dans mes bras. J'étais inquiète, il fallait croire que le pire pouvait arriver partout. Tout le temps. Même pendant les fêtes sacrées de l'Hommage. Cependant personne n'y pouvait rien alors je tentai de nous consoler :
— C'est horrible Ethel, mais ce Transfert a commis un meurtre. Il a pris la vie de quelqu'un. On ne peut rien y faire.
— May, « ce Transfert » comme tu dis, n'a pas pu commettre ce meurtre, c'est impossible.
— Pourquoi ? C'est qui ?
— Parce que, hoqueta-t-elle, parce que c'est... un enfant...
— Comment ?! Mais quel enfant ?
— Charly, souffla-t-elle.
— Le nouveau ? Le frère de Guillaume ? Charly ? demandai-je incrédule en me remémorant le visage poupon du garçon.
Ethel hocha la tête.
— Oh mon dieu, soufflai-je.
Je me laissai tomber sur le lit.
Ethel essuya ses larmes d'un revers de main et secoua la tête puis me laissa seule pour partir je-ne-sais-où, après s'être excusée qu'elle devait aller « faire quelque chose ». Surement demander l'aide de ses Sages, ses fidèles arbres conseillers.
Je repris mes esprits et me concentrai sur les derniers moments où j'avais vu Charly. À chaque fois ce n'étaient que des souvenirs de rires, de remarques naïves et de bonne humeur. Pas une fois n'avait-il prononcé de paroles qui auraient pu expliquer les faits, pas une fois n'avait-il parut haineux ou hostile. Même lorsque je l'avais effrayé dans la forêt dorée, il m'avait pardonnée. Et puis je me figeai. Pouvais-je être responsable de cet accès de violence ? À cause de ce que je lui avais fait subir ? Ou son frère peut-être ?
Mais de là à commettre un meurtre ?! Il n'y avait pas d'explication. Déconcertée, je me décidai à rejoindre mes amis qui devaient se restaurer au réfectoire.
Je me levai, traversai le dortoir et passai la porte. Le couloir était désert et silencieux. Je marchai lentement, peut-être pour repousser au plus tard la confrontation avec la réalité, peut-être parce que je voulais laisser un maximum de temps à mon cerveau pour éclaircir les renseignements improbables qui l'embrouillaient.
À l'angle d'un croisement avec un autre tunnel je surpris des voix, des murmures, et m'arrêtai pour tendre l'oreille.
— Ils ne nous apportent que des ennuis, je ne comprends pourquoi on persiste à les garder...
— Aller jusqu'à tuer l'une des nôtres ! Ils dépassent les bornes, tu as raison ! Le Conseil devrait les écarter avant qu'ils ne deviennent trop agressifs.
— Nous voulons bien être généreux mais là nous ferions mieux de les laisser mourir dans la forêt ou de les jeter dans le Sauvage !
Mon cœur battait trop vite. Deux options s'offraient à moi : tourner à droite et croiser les sorciers qui parlaient, au risque d'animer leur hostilité ou prendre un détour par la gauche qui rallongerait le parcours mais qui semblait plus sûr. J'optai pour la deuxième option.
En faisant le moins de bruit possible, je m'engageai dans le tunnel et rasai les murs en accélérant mes pas. Des voix étouffées ralentirent encore mes pas à l'angle d'un couloir et je m'arrêtai totalement en entendant le grondement rocailleux de celle de Gorigann.
— Tu n'as pas écouté ma menace ! dit-il.
Son interlocuteur souffla. Ma respiration se bloqua.
— Si, j'ai essayé, répondit Zed.
Mais de quoi parlaient-ils ?
— Mais trop tard ! Encore une fois ! Tu t'es vu au repas hier ? Je t'ai prévenu Zed, je t'ai prévenu. Et tu ne m'as pas écouté. Comme d'habitude ! Je ne serais pas là pour réparer les morceaux à chaque fois mon p'tit. Quand vas-tu grandir dans ta fabuleuse petite tête ?
— Gori, je...
— Y'a pas de Gori qui tienne Zed ! s'emporta le Maître. Tu ne t'en prendras qu'à toi-même quand tu seras de nouveau brisé !
— Mais comment peux-tu en être sûr ? Qui te dit que ça va—
— Si je te le dis, le coupa Gorigann de sa voix lente et grave, c'est que j'en suis sûr... à quatre-vingt-dix pourcents. Aurais-tu oublié notre conversation dans la forêt dorée ?
Je voulais retrouver mes amis au plus vite, mais je n'avais pas d'autre choix que de passer devant les deux hommes. Je pris alors une grande inspiration digne d'un très grand sportif et sprintai droit devant moi en m'engageant dans le couloir où ils se trouvaient, en espérant qu'ils n'auraient pas le temps de me reconnaître.
— Qu'est-ce que... hoqueta Zed lorsque je passai à l'allure d'un bolide de course devant lui et le maître.
Je me croyais invisible ? Bah c'était raté. Je ne m'arrêtai pas pour autant et continuai mon chemin au pas de course. Mais alors que j'empruntai le dernier couloir avant d'atteindre le réfectoire, un frisson me parcourut et mes pas s'arrêtèrent brusquement une troisième fois.
— Tu crois qu'ils vont... l'épargner ?
La voix d'Ethel.
— Tu te rends compte de... enfin tu sais... Certainement pas !
Celle de Thomas.
— Et on ne peut pas l'avertir ?
— Tu as entendu ce qu'ils ont dit ! Pas un mot ! On ne va pas tout faire foirer si près du but. Rappelle-toi pourquoi on fait ça.
Ils étaient juste à ma droite, dans l'un des renfoncement des murs qui caractérisaient cette partie des souterrains. Cette fois-ci mon cœur ne battait pas seulement vite : il manquait d'exploser.
Je ne pouvais pas continuer d'avancer. Deux pas de plus et j'entrais dans leur champs de vision. Je devais faire demi-tour. Et c'est ce que je fis. En courant. Manque de bol, après trois pas, je tombai sur Zed. Ou plutôt, je lui rentrai dedans de tout mon poids.
— Pardon ! criai-je en me reculant comme si je venais de me brûler.
— Tu regardes où tu vas ? me demanda-t-il, mi- agacé, mi- amusé.
— Non, lui répondis-je en regardant derrière moi pour voir si le bruit avait attiré l'attention d'Ethel et Thomas.
Il n'en était rien.
— Ça va ? me demanda Zed en me voyant aussi agitée.
— Oh mais super ! J'ai appris la nouvelle la plus improbable qui soit mais ça va, oui, après mûre réflexion, évidemment, ça va, débitai-je sans reprendre mon souffle.
— Pour une fois que t'es pas concernée... me fit remarquer Zed. Pourquoi t'es passée en courant devant moi ? Tu croyais que je ne te verrais pas ?
— Si ça concerne un Transfert, ça me concerne, lui retournai-je cinglante en éludant sa question.
— Mais c'est que t'as gagné un esprit de solidarité dont je ne te croyais pas capable, répliqua-t-il, toujours aussi sarcastique.
— Tu ne sais pas de quoi je suis capable, lui fis-je remarquer.
— Disons qu'après le temps passé à t'entraîner avec Maître Gorigann et le petit épisode « Chasseurs de scores » ... j'en ai une petite idée.
Je n'avais rien à redire à ça.
— Au fait, reprit-il en se comportant comme si je ne lui avais jamais fait de remarque. T'es conviée au procès du coupable avec tes « amis » Transferts dans deux heures à la salle du Jugement. En ce moment se passent les autres condamnations pour délits mineurs.
— T'y seras aussi ?
Il hocha la tête.
— Mon père veut que je me forme le plus tôt possible. Pour qu'un jour je puisse prendre sa place au Conseil.
Un silence gênant nous enveloppa. Je me rendis alors compte que nous vivions vraiment dans deux univers différents.
— En tout cas, reprit-il, c'est pas tous les jours qu'un truc pareil se produit au C.I.S.I ! Comment s'appelle le coupable déjà ? me questionna Zed.
— Tu rigoles j'espère ! m'étranglai-je, outrée qu'il ne connaisse même pas le nom de celui qui allait être jugé.
— C'est Charly, lui délivrai-je après avoir marqué une pause pour marquer mon dégout. Charly, le frère de Guillaume. Celui à qui j'ai fait du mal. Mais comment ai-je pu faire une chose pareille...
Il fronça les sourcils. Je fermai les yeux.
— Charly... répétai-je. Comment est-ce possible ?
— Tu devrais pourtant savoir que les apparences sont parfois trompeuses, tenta de me consoler Zed.
— Et les accusations sont parfois erronées, le contrai-je.
Le garçon fronça les sourcils.
— Ne me dis pas que tu es en train de remettre en cause l'accusation ?
— Non, mais je n'arrive juste pas à comprendre comment ça a pu se produire. Enfin, un meurtre ! Prendre la vie de quelqu'un ! Il n'y a rien de pire ! Charly n'a que douze ans...
— Tu verras bien les explications qu'ils donneront au Jugement. Mais c'est probable que ce soit lié à l'utilisation de ses pouvoirs. Il est jeune, il ne les maîtrise pas encore alors il les a activés sans savoir ce qu'il pouvait faire avec et a causé la mort de Saundra.
— De toute façon, ça ne peut pas être intentionnel, pensai-je à voix haute. Et... que va faire le Conseil ? Quel sort réserve-t-il à Charly ?
— Je ne peux pas te dire, je n'en sais pas plus que toi. Mais tu as toujours en tête notre conversation d'hier alors tu sais à quoi t'attendre...
— C'est tellement horrible... soufflai-je, refoulant tant bien que mal les larmes qui me montaient aux yeux et tentant de contenir le sentiment de malaise qui me gagnait. Excuse-moi, je dois y aller, lui dis-je en le contournant pour me réengager dans le couloir d'où je venais.
— Dans deux heures à la salle du Jugement ! me cria-t-il alors que je courais, déjà loin de lui, loin d'Ethel et Thomas et leur conversation douteuse, loin des lumières du réfectoire.
Je me rendis à la salle de bains où je me ruai sur le premier lavabo à ma vue, ouvris le robinet rouillé d'un geste vif et m'aspergeai la figure d'eau fraiche. Je répétai le manège plusieurs fois jusqu'à ce que la sensation glacée qui parcourait mon visage fasse redescendre le sang qui pulsait dans mes tempes et que je me sente mieux.
Mais je ne pouvais pas me sentir mieux.
Je ne me voyais pas prête à affronter le jugement de Charly. Depuis mon réveil, rien n'avait de sens. Je me croyais dans le pire des cauchemars possibles et imaginables. Je ne pensais pas qu'il pouvait arriver quoi que ce soit de pire... Mais je ne pensais pas non plus que je pouvais me tromper.
Le cauchemar s'accentua trente minutes avant l'audience du Conseil. Je m'étais informée auprès d'un groupe d'adultes Transferts pour trouver la salle du Jugement, avait lissé mon uniforme et discipliné mes cheveux dans une tresse qui me rassurait par sa régularité. Je m'efforçais de mettre le plus d'ordre possible partout où j'en avais les moyens parce que j'avais l'impression que la situation m'échappait complètement et cela me torturait.
Je m'étais donc rendue dans le quartier de la salle du Jugement et attendais, bras croisés contre le mur où se trouvait la porte de la salle fatidique. Les Transferts de mon dortoir attendaient avec moi. Ceux des chambrées adjacentes à la nôtre nous avaient rejoints. Il y avait les camarades de Charly, ses copains, ses amis, Guillaume – pâle comme un linge – tous ceux qui lui faisaient confiance et qui n'avaient pas digéré – ne pouvaient pas digérer – la nouvelle qui leur pesait dessus. J'étais plus stressée que je ne l'avais jamais été. Et Ethel et Thomas n'étaient toujours pas là. Même à mon arrivée au C.I.S.I, même lorsque j'avais révélé mon score à Maître Gorigann, même lors de l'attaque des Voleurs d'âme, même lors des menaces du Chasseur de score je ne m'étais sentie aussi mal.
Dix minutes avant l'ouverture des portes, mes acolytes firent enfin leur apparition. Ils étaient rouges et essoufflés, nul doute qu'ils avaient couru. Ethel ne ralentit pas à ma vue, elle accéléra même, me tomba dans les bras et coupa ma respiration.
— May... souffla-t-elle contre mon oreille. Pas de faux pas, entendu ?
— Je suis tellement, mais tellement tourmentée, lui répondis-je, ne comprenant pas trop où elle voulait en venir avec sa recommandation.
— Moi aussi... J'espère le meilleur pour Charly mais crains le pire... sanglota mon amie. Quoi qu'il arrive, peu importe ce que déclare le Conseil, peu importe l'état dans lequel le petit est, je veux que tu gardes ton calme. Tu le sais ?
— Je suis tout sauf calme, lui fis-je remarquer.
— Mais tu vas faire de ton mieux pour te contrôler, hein ? Jure ! m'ordonna Ethel en desserrant son étreinte de moitié pour mettre son visage à quelques centimètres du mien et scruter mes yeux en quête de réponse.
— Je ferai de mon mieux...
Mon murmure parut la satisfaire puisqu'elle me lâcha et me sourit.
Il ne restait plus que deux minutes avant l'ouverture de la porte. Personne ne parlait, la tension nous asphyxiait tous.
Enfin, un grincement retentit et le battant de bois s'ouvrit. Un sorcier sortit par l'ouverture ainsi créée et nous invita à entrer. Mes amis et moi nous avançâmes dans la large pièce à l'éclairage tamisé. Des torches espacées à intervalles réguliers constituaient la seule source d'éclairage. Les murs de pierre brute ne faisaient qu'accentuer l'ambiance froide et inhospitalière des lieux. Mon nez fut accueilli par des odeurs de fumée et de résine qui n'étaient pas désagréables et qui me rassurèrent un peu car elles m'évoquaient des souvenirs agréables.
À notre gauche se trouvait un croissant de fauteuils de bois massif – d'où l'odeur de résine – où étaient assis les fameux sorciers qui semblaient ne jamais toucher le sol, vêtus de leurs longues capes opaques. Sur un côté du croissant, contre le mur du fond de la pièce trônait la Grande Prêtresse. Je m'étonnai qu'elle ne soit pas au centre de l'assemblée de sorciers, mais après tout, peut-être ne présidait-elle pas la séance. Ajouté à cela, elle n'était pas entourée de sa garde habituelle, seuls deux gardes vêtus de blanc l'encadraient.
On nous fit asseoir sur des bancs en face du croissant de sorciers, à notre droite en entrant dans la salle. Je me laissai tomber dessus en remarquant à peine que Lumia se trouvait à côté de moi.
La porte par laquelle nous étions entrés se referma sans l'aide de personne dans un claquement sinistre. Le silence se fit. L'audience commença.
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Tadaaaaaaam ! Gros suspens ! XD
Des idées sur la suite des événements ? Des avis sur ce qu'il s'est vraiment passé ? 😏 À vos claviers !
*dernière mise à jour : 07/10/18*
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