Chapitre 4 - D'un toit bruyant et d'une perfusion
Quelque part dans la forêt qui borde le lac d'Uranus.
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Zed menait la marche. Ses foulées amples imprimaient leur volonté sur le sol rebelle du Dashgaïh englouti dans la nuit. Il semblait sûr de lui, déterminé. Heïna le suivait de près, Cahan, Lumia et Spoty fermaient la marche.
Comme à son habitude, le vent faisait rage mais sous le couvert des arbres, la troupe de marcheurs en était protégée. Les feuilles, ivres de la puissance folle du Néant, s'agitaient dans une farandole incontrôlable. Le bruissement qu'elles provoquaient remplissait le silence du groupe. Trois jours auparavant, les sorciers avaient quitté la tribu, deux semaines après le départ du premier groupe qui tentait de se rendre à la source miroir.
Zed trouvait cela illusoire de vouloir « ramener le soleil », un fantasme d'ados prêts à tout pour croire en n'importe quoi, dans l'espoir de se rattacher à quelque chose, pour croire qu'une justice régnait dans ce bas monde. Lui pensait que le plus sage était de retourner au C.I.S.I. Dans ses terres, parmi son peuple.
Il avait quitté sa famille trop longtemps, elle avait besoin de lui. Et la réciproque était vraie aussi bien que cela, il ne l'aurait pas si facilement admis. Toutefois, malgré sa prise de position, il respectait le choix de ses amis, anciens compagnons de voyage. Au fond de lui, il aurait aimé pouvoir espérer de l'aide providentielle. Mais avec toute sa bonne volonté, croire à une fontaine qui parle, c'était inconcevable. Et puis si cela l'était, alors guérir sa mère aussi aurait dû être faisable.
— À quoi penses-tu ? lui demanda Heïna qui s'était mise à sa hauteur.
Le garçon soupira et laissa son regard dériver sur le toit de branches bruyantes qui les protégeait du courroux du ciel.
— À tout et à rien. Je me demande ce que l'on trouvera au C.I.S.I. J'ai peur que ça ne me plaise pas forcément...
La sorcière hocha la tête sans répondre. Il faut dire que l'air sec et frais n'invitait pas à la conversation. La jeune sorcière imita Zed et tous deux se perdirent dans la contemplation du nouvel environnement qui les entourait.
Derrière les meneurs, Lumia tenait la main de Spoty comme si elle craignait de le perdre, à moins que ce ne soit elle qui ait besoin d'un point d'ancrage. La jeune fille, à l'instar d'Ethel, avait été plongée dans une torpeur sans nom lorsque le Soleil avait disparu. Le Soleil était source de vie, il incarnait tout, sans lui, il n'y avait plus rien. Elle avait bien tenté de se servir de ses pouvoirs de manipulation pour voler quelques informations aux sorciers les plus sages de la tribu et découvrir un moyen de rétablir l'équilibre. Mais aucun d'eux ne possédait de tels savoirs. D'après la jeune fille, ou ils cachaient drôlement bien leurs secrets, ou ils ne savaient effectivement rien. Cette dernière pensée la mettait mal à l'aise.
Au camp, Charly avait insinué qu'il connaissait un moyen de ramener le soleil mais Lumia ne lui faisait pas confiance. Pas étonnant que le sorcier se raccroche au moindre soupçon d'espoir lorsque son élément, son astre, son énergie toute entière, avait disparue.
— Charly me fait de la peine, lança-t-elle tout haut à l'intention de Spoty.
— C'est vrai qu'il avait l'air mal en point, approuva le garçon. Ses cheveux perdaient des couleurs de jour en jour et ses joues s'étaient creusées, son teint terni. Comme s'il...
— Comme s'il était en train de mourir, termina Heïna qui s'était rapprochée du couple.
Spoty frissonna.
— Ne dites pas n'importe quoi, les reprit Zed, en s'immiçant dans la conversation. Il a simplement du mal à s'acclimater au changement.
— Ce qui ne lui ressemble pas, contra Heïna.
— Sa magie est censée le protéger, enfonça Spoty, les sourcils froncés. Mais elle l'a abandonné. Et maintenant il est exposé à toutes les vicissitudes du climat et de la magie du Néant.
— Enfin, j'imagine qu'il finira par trouver un moyen d'aller mieux, objectiva Heïna. Même si son plan est déjanté.
— Pourquoi est-ce que tu nous accompagnes ? demanda Spoty à la sorcière en sautant du coq à l'âne.
Les lèvres d'Heïna se fendirent en un sourire amusé. Une grande intelligence se reflétait dans ses pupilles marron. Son carré châtain voletait autour de son cou et la faisait paraître si forte et indépendante que Lumia en ressentait de la jalousie, si elle avait la force de ressentir une émotion aussi puissante et dévastatrice dans son état.
— Avec Cahan, nous vous accompagnons en temps qu'ambassadeurs de la tribu de Salavenn, déclara l'intéressée. Pour porter la parole du soutien de la tribu au C.I.S.I et tenter d'établir un lien entre les deux peuples.
— Mais est-ce une très bonne idée que tu sois ambassadrice, embraya Lumia, alors que tu t'es fait bannir du C.I.S.I. avec ta famille ?
Heïna perdit son sourire et haussa les épaules.
— Tu as vu l'état du monde ? répondit Zed à sa place. Tu crois que Soleil Levant aura quelque chose à faire d'une vieille querelle alors que son peuple se décime jour après jour et que le soleil a disparu ?
Ce fut au tour de Lumia d'hausser les épaules, quoiqu'elle fût surprise que son frère prenne la défense d'Heïna et non la sienne. Elle était sa sœur. C'était de son côté qu'il devait se positionner. Uniquement. Et voilà, il l'avait contrariée.
Spoty, sentant le changement d'humeur de sa Lu adorée, lui pressa la main. La sorcière tourna la tête vers lui et comprenant son attention, posa sa tête sur son épaule. Depuis la tragique incantation d'Ethel lors du premier voyage, une drôle de symbiose s'était installée entre les deux sorciers. Ils s'entendaient si bien qu'ils pouvaient se passer de mots pour se comprendre.
L'attirance à l'apparence vaine de Spoty pour Lumia s'était révélée réciproque sans que personne ne puisse l'expliquer, à commencer par les deux concernés. Mais ils n'allaient pas s'en formaliser, l'un avait besoin de l'autre, alors ils en profitaient.
Pendant tout ce temps, Cahan était resté muet, comme à son habitude, un peu en retrait du groupe. Silencieux, peut-être, mais pas moins à l'écoute des faits et gestes de ses compagnons de voyage qu'il allait devoir apprivoiser.
Il n'avait pas eu envie de quitter sa tribu. Et encore moins pour se rendre au C.I.S.I, cette terre dont il avait entendu tant de mal. Quelle idée de vouloir s'enterrer dans des souterrains, d'abord ? Ça n'avait pas de sens. Les sorciers étaient faits pour vivre à l'air libre, pas confinés sous des mètres de terre. Donc non, Cahan n'était pas pressé de mettre un pied dans cette communauté bizarroïde. Mais il ne pouvait pas non plus désobéir aux ordres de son père.
Salavenn avait semblé ravi que son fils puisse enfin se rendre utile autrement qu'en servant de sentinelle pour la tribu. Cahan était d'accord sur ce point, il y avait plus honorant que ce qu'il faisait jusqu'à présent. Mais partir à l'inconnu ne le tentait pas spécialement non plus. Surtout qu'il devait faire le voyage en compagnie de cette troupe de bras cassés. Un aveugle, une pimbêche blonde qui ne savait que se plaindre, un égoïste orgueilleux et une enfant de sa tribu qu'il n'appréciait pas tellement non plus, ses nombreuses disputes avec Melwyn la faisant passer à ses yeux pour une gosse capricieuse.
En somme, Cahan n'aimait personne mais il s'en portait pour l'instant plutôt bien.
Pour tout repère temporel, Zed était muni d'une pierre qui brillait de jour et émettait de la chaleur de nuit. Ainsi, le groupe vivait au rythme du minéral, l'utilisant comme ancrage pendant la journée et de présence rassurante la nuit.
— On devrait s'arrêter manger, annonça Zed alors que la troupe se plaignait depuis une bonne heure de fatigue, bien que les gémissements provenaient surtout, voire exclusivement, de Lumia.
Celle-ci exulta d'ailleurs de soulagement aux paroles de son frère.
— C'est pas trop tôt ! À ce rythme-là on ne sera plus qu'un tas de cadavres à notre arrivée.
— Trop drôle Lu, répliqua Heïna en levant les yeux au ciel.
— Oh mais qui t'as permis de m'appeler comme ça ? siffla Lumia. Pour toi ce sera Lumia Sol, si ce n'est pas trop te demander.
Devant l'atmosphère électrique, Zed haussa un sourcil à l'intention de sa sœur, l'air de lui demander si elle était vraiment sérieuse. Lumia, fière, soutint son regard jusqu'à ce qu'Heïna et Zed capitulent en levant les yeux au ciel.
Cahan ne put s'empêcher de remarquer que les comportements des deux amis étaient forts semblables. Mais le sorcier se souvint qu'ils avaient grandi ensemble et conclut que la ressemblance provenait de là.
Plusieurs rochers jonchaient cette partie de la forêt clairsemée du Sauvage. Zed en choisit un et s'assit à son sommet. Un à un, tous l'imitèrent – à part Spoty et Lumia qui s'installèrent à deux sur un rocher – et bientôt, tous se régalaient des racines légumineuses qu'ils avaient dénichées dans le sous-bois, l'une des rares plantes comestibles encore en vie.
Tous ? Tandis que Spoty croquait allègrement dans un bout de racine, Lumia réprimait un haut le cœur et tentait de calmer son pouls qui s'accélérait à une vitesse peu rationnelle. Spoty s'arrêta de mâcher, la bouche à moitié pleine et un sentiment de désarroi le submergea. C'était le même manège à tous les repas. Lu disait avoir faim mais dès la nourriture sortie des sacs, son énergie se noircissait, pleine de peur et de dégoût et elle refusait d'avaler quoi que ce soit. Le garçon posa une main sur le genou de Lu.
— Calme-toi, ça va aller, tenta-t-il de l'apaiser.
Lu ferma les yeux et inspira profondément, tétanisée par le malaise qui l'habitait.
— Je ne peux pas, souffla-t-elle.
Elle se sentait faible, si faible, et incapable.
— Si seulement j'avais fait des études de médecines, se lamenta Spoty, j'aurais pu, je ne sais pas, te perfuser, au moins.
Sa remarque eut le mérite d'arracher un sourire à Lumia.
— J'ai peur pour ta santé, tu sais, l'assura Spoty. Ça ne suffit pas de dormir. Il faut que tu manges.
— J'aimerais que ce soit aussi simple, murmura Lumia qui vint nicher sa tête contre le cou de Spoty. Mais ça ne l'est pas. Ça ne l'est plus.
Elle laissa ses paupières se fermer, elle était exténuée. Et au grand dam de Spoty, cela, il le savait parfaitement. Parce qu'il voyait ce que personne ne pouvait voir. L'énergie de Lumia était vide.
— Je ne sais pas quoi faire, c'est pas moi qui contrôle. Et je déteste ça, Spoty, ne pas pouvoir contrôler. Je ne demande pas grand-chose, juste mon corps, quoi, mon appétit.
— Je sais, la conforta Spoty en lui caressant les cheveux.
De l'extérieur il semblait calme mais au fond, il réfléchissait à toute allure. À un moyen de changer les idées de Lu. Il se lamenta d'être nul en blague, étant tout à fait conscient que les rares fois où il arrachait des rires à ses camarades, ce n'était même pas intentionnel.
— Qu'est-ce que tu fais ? lui demanda Lumia qui avait appris à reconnaître ces moments de concentration intense.
Lorsque Spoty réfléchissait, c'était tout son corps qui réagissait. Ses muscles se tendaient et la moindre de ses cellules était mobilisée dans l'effort.
— Je vais te faire une grande révélation, déclara-t-il à mi-voix en rassemblant tout son courage.
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*publication le 27/04/19*
Mais quel suspens ! Quelle peut donc être cette grande révélation de Spoty ? Des idées ? Un indice, c'est beaucoup moins important qu'il veut le faire croire... 😂
Sinon, on découvre un personnage de plus pour qui la disparition du Soleil n'est pas passée inaperçue... En fait je me demande s'il y en a un qui va bien. Ah si ! Cahan ! D'ailleurs, on en apprend un peu plus sur lui. Qu'en pensez-vous ?
On se retrouve pour la suite de ce chapitre la semaine prochaine ! D'ici-là, prenez soin de vous et n'oubliez pas que votre cerveau est fourbe. Il aime se concentrer sur le négatif et vous faire croire des choses... mais vous n'êtes pas son prisonnier et le soleil revient toujours ! 🖤
C'était la minute thérapie psychologique post-traumatique sorcière. 😎🧙🏻♀️
Merci de votre attention, il serait fortement apprécié par nos petits voyageurs déprimés que vous fassiez briller la petite étoile. Qui sait, elle pourrait percer les nuages et réchauffer leurs cœurs... (ces excuses que je me trouve xD)
La bise,
Legacy, dont les vacances se terminent 🧙🏻♀️✨
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