Chapitre 26 - D'une renaissance et d'un escalier végétal
Quelque part sur une île de Heard, à l'ouest du continent
*•*•*•*
L'île s'était révélée ne pas être la bonne. Nous l'avions traversée deux jours entiers, et jamais n'avions nous aperçu le moindre volcan. Fatigués mais pas encore démoralisés, nous avions repris le chemin de notre bateau, Tii avait levé l'ancre et nous avions cheminé à l'intérieur de l'archipel. C'était lorsque j'avais pris conscience du nombre d'îles qui le constituaient que j'avais commencé à douter. Je ne savais pas comment nous pourrions trouver celle que nous cherchions avec le peu d'indications dont nous disposions.
Quelques îles laissaient apparaître un cratère, d'autres non. Mais aucune ne semblait suffisamment grande pour accueillir le volcan que nous convoitions. Pour venir ajouter à mes angoisses, nos réserves de vivres se raréfiaient, et quand bien même Charly réussissait à pêcher deux ou trois poissons par jour, j'avais peur que nous venions à manquer de nourriture avant de pouvoir poser pied à terre.
Le matin du troisième jour, tandis que d'ordinaire j'étais toujours la première levée, Melwyn me secoua l'épaule et m'obligea à ouvrir les yeux quand elle prononça : « on est arrivé ! ».
— Comment ça ?
Ma voix n'était qu'un filet éthéré à peine audible, mais la sorcière voyait que j'avais réagi et c'était tout ce qui lui importait.
— On a accosté, cette nuit. Tii est un génie !
— C'est vrai ?
Je ne crois pas avoir un jour mis plus d'espoir dans une phrase que dans celle que je prononçai alors. Melwyn hocha la tête et malgré la pénombre, je discernais sans mal un sourire étincelant.
Charly était excité comme une puce, et ce tellement qu'il suivait les ordres de Tii de travers et manqua de nous faire chavirer une bonne dizaine de fois avant que nous accostions. L'île semblait plus large que celles que nous avions croisées jusque-là. Une plage de galets sombres s'étendait devant nous, et derrière elle s'épanouissait une dense forêt. Surplombant le tout, un mont de la forme d'une pyramide se détachait dans le ciel, ses contours dessinés par les rayons de la lune.
Le volcan, notre destination, le lieu de tous nos espoirs et de toutes mes craintes.
Après avoir rejoint la berge, Tii nous conseilla de longer la plage pour trouver l'accès le plus aisé au volcan et éviter de se perdre dans la forêt. Il suggéra même que nous grimpions dans les arbres pour éviter de progresser au sol. Cela était censé nous faire gagner du temps.
Mon cœur se serra lorsque nous lui fîmes nos adieux. Le pêcheur ne nous accompagnerait pas, sa famille et son peuple avaient besoin de lui, à Saahnan. J'avais la douloureuse impression d'avoir un appui de moins pour me protéger des dangers que contenaient ce monde, et à plus forte mesure, de la quête dans laquelle nous nous étions embarqués. Mais avant de tomber dans un cercle de pensées sombres aussi vicieux qu'auto-entretenu, je passai mes doigts sur les cuillers qui ceinturaient ma taille et en agrippais une.
Le bois s'était poli à force et cette douce présence me rassurait. Je me remémorai mon état d'esprit avant notre départ et m'accrochai à la flamme d'espoir que Charly avait allumé dans mon cœur en me proposant – en me contraignant, presque – à participer à son projet fou. Je m'accrochai aussi de toutes mes forces à cet appel que j'avais senti au fond de moi, cette infime intuition qu'il me fallait agir, qu'il me fallait partir, que seule l'action permettrait d'aligner le monde dans lequel nous vivions des représentations que nous avions dans nos esprits. C'était pour palier à cette dissonance cognitive, au terrible contresens qui nous parcourait tous de frissons que nous avions entrepris cette aventure et traversé tant d'épreuves.
Je ne pouvais pas reculer maintenant.
Je ne pouvais pas laisser mes doutes et mes peurs avoir raison de tous les efforts auxquels j'avais consenti pour arriver sur cette île, à des centaines de kilomètres du camp de Salavenn, en face de ce volcan endormi si immense et imposant, au cœur de la nuit. Je devais aller au bout. Et mes amis et mes cuillers y veilleraient, je le savais.
Je suivis mes compagnons de voyage sur la plage de galets. Parfois, mes pieds glissaient, et Eben me rattrapait. Parfois Melwyn perdait son souffle et nous nous arrêtions le temps qu'elle se repose, lui assurant que nous n'irions nulle part sans elle qu'elle n'était pas le fardeau qu'elle disait être. Parfois, Charly pensait avoir trouvé le chemin vers le volcan, mais Eben ou Melwyn le contredisait et nous poursuivions notre route sur la berge.
Au terme d'une longue journée de marche, alors qu'il semblait que nous devrions camper sur le rivage, Melwyn partagea l'attraction qu'elle avait perçu pour un arbre, et nous persuada de lui donner une chance.
— Je sens que le passage est là. Celui dont Tii a parlé. Rien ne peut être laissé au hasard si ce lieu est bien celui d'une source d'énergie ancestrale. Et puis, la magie c'est l'intention, vous le savez aussi bien que moi.
— Et toi tu as l'impression que c'est par là qu'il faut aller, conclut Charly. Très bien, essayons pour voir. C'est pas comme si on avait quelque chose à perdre de toute façon.
J'étais du même avis que mes amis, alors je hochai la tête et les suivis à travers la couverture végétale qui m'attirait autant qu'elle m'effrayait.
Une fois immergée dans la forêt, mes sens s'extasièrent. Partout autour de moi s'élevaient de grands arbres, le sol était couvert de bosquets et fougères, l'air fait dense de la vie qui se développait ici. J'avais l'impression de me prendre une claque.
La vie. J'étais entourée de vie.
Mes oreilles semblaient saturées par les chants des oiseaux, mes narines bouchées par les senteurs de fleurs et de feuillages, mes yeux s'humidifièrent sans crier gare devant le spectacle inattendu que l'île leur offrait. Je fondis en larmes.
— Ethel ? appela Eben devant moi.
Secouée de tremblements, je ne parvenais plus à mettre un pied devant l'autre.
— Oh Ethel... souffla Melwyn.
Je ne sais même pas comment je parvins à l'entendre par-dessus la symphonie de la nature qui sonnait tellement bizarre à mes oreilles. C'était si beau que c'en était douloureux.
Mon amie me prit dans ses bras et je m'accrochai à elle de toutes mes forces.
— C'est incroyable, pas vrai ? Tu les sens aussi, ces milliards de corps en vie autour de nous.
— C'est trop, Melwyn, c'est trop. Tous ces êtres vivants, toute cette chaleur, toutes ces odeurs, ces sons, ces vibrations... Comment c'est possible ?
La sorcière rit dans mes cheveux.
— Dis, ça faisait longtemps que tu n'avais pas aligné autant de mots d'un coup.
Je m'étranglai aussi dans un rire. Melwyn avait ce don de toujours savoir me redonner le sourire. Elle illuminait mon monde. Chaque fois que je posais mes yeux sur sa silhouette généreuse et rayonnante, chaque fois que le son de sa voix résonnait dans le creux de mes oreilles, mon cœur s'enveloppait d'une douce chaleur rose pâle.
Blottie contre le corps de la sorcière, je respirai de la force et de la protection. Quelques minutes et de nombreux sanglots plus tard, je me sentis prête à supporter les énergies qui striaient l'atmosphère. Charly m'offrit son sourire le plus rassurant, et passa une main dans mon dos pour me soutenir pendant que Melwyn me tenait par la main. Eben menait la marche, racontant une légende en krusivmi. Sa voix me berçait et me guidait, comme une balise pour m'aider à m'orienter.
Tous les quatre, nous formions une chaîne de chair et de paroles. Le langage intimement lié aux perceptions sensibles constituait notre propre bouclier contre le déferlement d'énergies, de pensées et d'émotions qui nous assaillaient.
Après ce qui me sembla durer une demi-heure de marche, Eben et Charly débattirent au pied d'un arbre particulièrement imposant, pour déterminer si oui ou non il pouvait s'agir d'un passage.
— Mais je te dis que je le sens ! insistait Charly, frustré que son ami ne lui fasse pas confiance.
— Moi je te crois, intervint Melwyn. Tu m'as cru tout à l'heure et pour l'instant je le sens bien donc je veux suivre ton idée. On va grimper à cet arbre et suivre ce qui semble être un passage là-haut et on verra bien où est-ce qu'il nous mène.
Eben capitula, persuadé que quitter le sol était une mauvaise idée malgré le conseil de Tii, et nous entreprîmes de grimper l'arbre. C'était plus aisé que tout ce que j'aurais pu m'imaginer parce qu'aussi fou que cela puisse paraître, un escalier de végétaux s'enroulait autour du tronc et nous facilitait sans commune mesure l'escalade, qui n'en était plus vraiment une. Mes pas s'enfonçaient dans un mélange de branchages, de feuilles et de mousse, et plusieurs foi je craignis de passer à travers.
Je savais que mes appréhensions n'étaient pas dignes d'une porteuse de Jupiter, mais je tentais de ne pas me culpabiliser de trop en me répétant en boucle que la situation plus que particulière à laquelle je prenais part était inédite et qu'elle suffisait à expliquer le manque de confiance que j'avais en la nature. Mais aussi en mes amis, en mon corps... en tout.
Une fois en haut de l'escalier végétal, nous découvrîmes que l'arbre sur lequel nous nous trouvions était relié à l'un de ses confrères par un entrelacs complexe de lianes sur plusieurs niveaux. Cela me rappela l'unique fois où, dans mon existence humaine, j'avais fait de l'accrobranche. Les ponts de singe, tyroliennes et autres attractions à sensations au milieu des arbres m'avaient réjouie. J'avais adoré. Un nouveau sanglot me parcourut.
— Tu as le vertige ? me demanda Charly.
Je secouai la tête et essuyai mes larmes qui avaient repris leur course conter mes joues. Si cette île continuait avec ces bonnes surprises, j'allais finir par croire qu'elle nous voulait du bien. Et c'était dangereux, d'avoir ce genre d'espoir en des temps pareils.
— On peut y aller, soufflai-je.
Mais je remarquai qu'Eben était blanc comme un linge.
— Toi, tu n'aimes pas la hauteur, je me trompe ? interrogea cette fois Melwyn.
Mon amie passa un bras réconfortant autour des épaules du sorcier pendant que celui-ci acquiesçait.
— C'est pas seule raison, croassa-t-il toutefois.
Un concert de froncements de sourcils suivit cette déclaration.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? demanda Charly. Qu'est-ce qui ne va pas ?
Sûrement trop sonné pour assembler des propos cohérents en français, Eben répondit en aonghasien, mais cela ne m'empêcha pas de saisir le sens de ses paroles.
— On est pas seul.
Comment ça, pas seuls ? Avant que mon cerveau ne s'affole, je scrutai notre environnement plongé dans la pénombre du couvert des arbres.
Et c'est alors que je la vis.
En équilibre sur une plateforme similaire à celle sur laquelle nous nous trouvions, à dix bons mètres de distance, plus régalienne que jamais, Soleil Levant, la Grande Prêtresse du C.I.S.I en personne, nous observait.
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*publication le 08/04/2020*
Dyha! J'espère que vous allez bien.
Je ne suis pas satisfaite de ce chapitre, MAIS j'ai une bonne nouvelle : le rythme des publications devrait redevenir plus régulier parce que grâce au Camp NaNoWriMo je prends de l'avance dans l'écriture ! *youpi*
Merci de me lire ♥️
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