Chapitre 10 - D'un orage et de jubilation
Quelque part dans les montagnes de la Barrière de Mars.
*•*•*•*
Je courais à perdre haleine. Plus que quelques mètres et je serais à l'abri sous cette grotte qui me tendait les bras. C'était le seul refuge en vue, mon salut.
J'étais seule. Lorsque le ciel s'était transformé en démon, que le vent pourtant déjà hargneux s'était mis à hurler sur la terre à demi-morte et que la pluie s'était déversée en torrents sur la forêt dans laquelle nous cheminions avec peine, nous nous étions dispersés. C'était sûrement la pire idée à avoir. Mais nous n'avions plus le temps de réfléchir. Nous avions voulu sauver notre peau.
Nous passions notre temps à survivre. Je n'en pouvais plus. J'étais fatiguée de cette quête qui semblait illusoire. Voilà huit jours que j'avais sacrifié un arbre pour sauver Melwyn. Huit jours que Charly nous répétait inlassablement que nous touchions au but.
Et pourtant.
De la boue recouvrait mes habits. Trempée jusqu'à la moelle, haletante, à moitié en pleurs, j'étais dans un piteux état. Je n'appelais pas ça toucher au but.
Mon pied dérapa sur le sol rendu glissant par le déluge et je faillis perdre l'équilibre. Je grimaçai et appuyai ma paume contre un tronc pour me soutenir. Au même instant, une déflagration retentit et un arbre à ma droite explosa. Ses branches s'éparpillèrent tout autour et je faillis me prendre en pleine figures des fragments du végétal mutilé.
Le cœur battant à rompre, je fermai les yeux et tentai de me concentrer sur les sons environnants pour déceler toute autre source de danger. Précaution inutile, la pluie martelait le sol autant que mes tympans et mis à part le grondement sourd du tonnerre, je n'entendais rien.
Me faisant violence pour reprendre ma route, j'avançai à pas précautionneux, tâtant de temps à autres mes cuillers ceinturées à la taille pour me donner de la force. Là, entre les mèches folles de mes cheveux qui me barraient la vue, rendus rebelles par l'eau, la cavité que j'avais repérée grandissait à chacun de mes pas.
Bientôt, mes efforts payèrent et je m'écroulai sous le porche de roche qui m'offrait un moment de répit. Alors que, grelottante et reprenant mon souffle, je tentais de libérer mon visage de la boue et de mes cheveux, je songeai à mes compagnons de voyage. Avaient-ils trouvé un refuge comme moi ? S'étaient-ils blessés ?
Lorsque le ciel nous était tombé sur la tête, Charly avait crié « Allez vous mettre à l'abri ! » et tout le monde avait pris la poudre d'escampette dans des directions opposées. Parce qu'un orage en montagne, c'est dangereux. L'altitude et les hauts arbres aidant, les chances de se prendre la foudre étaient importantes ; la visibilité déjà quasi nulle à cause de la faible luminosité rendait les risques de se perdre énormes. Je m'en voulais tellement de ne pas être restée à leurs côtés. S'il leur arrivait malheur, je ne m'en remettrais pas.
Mais si, tu t'en remettrais, m'admonesta ma conscience, regarde, tu as perdu tes deux meilleurs amis et pourtant, te voilà bien vivante.
Je songeai alors à May. Ma pauvre petite May que personne n'avait su sauver d'elle-même. Que faisait-elle à ce moment-là dans sa prison rocheuse ? Est-ce que cela ressemblait à cette petite grotte dans laquelle je me trouvais ?
À cette pensée, je me retournai pour observer le fond de la cavité. Je ne distinguai rien que du noir. Mais mue par une soudaine curiosité, je me relevai et reteins un juron lorsque mes genoux craquèrent. Malgré les semaines passées à crapahuter dans des sommets toujours plus hauts, j'avais l'impression d'avoir un corps de grand-mère.
J'avançai en frissonnant, à tâtons, sur le sol inégal de la cavité, envahie par l'obscurité. J'espérais trouver une source de chaleur dans les prochaines heures car sinon, je finirais transformée en statue de glace à cause d'une hypothermie.
Le tintement de mes cuillers résonnait contre la paroi tandis que je progressais dans le boyau. Peut-être m'emmènera-t-il au centre de la Terre ! Mais je n'avais pas la force de rire de mon allusion à mon auteur préféré, Jules Verne, ce rêveur qui m'avait transportée dans des aventures extraordinaires lorsque j'étais seule dans le minuscule appartement de la famille parce que Maman travaillait jusque tard le soir depuis qu'elle avait mis Papa dehors.
Je claquai des dents. Elles avaient l'air d'avoir décidé de rejoindre les cuillers pour former une lugubre symphonie bancale. Le tunnel se resserrait, je me courbai et m'appuyai contre les parois pour garder un équilibre branlant.
Il faisait noir. Complètement noir. Je ne distinguai plus rien et pourtant, je continuai d'avancer. À pas de fourmis, mon souffle se faisant de plus en plus saccadé, je cheminai à l'aveugle dans les entrailles de la montagne.
Je cours à ma perte, me martelai-je. C'est inconscient, je vais me perdre, me coincer dans cette roche humide, dans...
— Tiens, c'est vrai, ça ! m'exclamais-je.
L'écho de ma voix me surprit, je manquai de tomber.
— Les parois sont humides, résonnai-je tout haut.
Personne n'était là pour m'entendre et me juger folle et de toute manière, on me prenait déjà pour une folle. Je n'étais plus à une bizarrerie près.
— C'est forcément qu'il y a une source d'eau pas loin !
Et je ne croyais pas si bien dire. Une centaine de mètres plus tard, le boyau s'élargit et l'obscurité laissa timidement place à la lumière. Je clignai des paupières à m'en faire mal aux yeux, m'acclimatant au jour inespéré qui m'accueillait. Comme pour confirmer mes dires, un grondement régulier parvint à mes oreilles dont l'intensité augmentait à chacun de mes pas.
Était-ce la pluie ? Étais-je à proximité d'une sortie ? Impossible. À part effectuer quelques courbes, le tunnel n'avait pu me ramener sur le flanc de la montagne et il était d'autant plus improbable que j'eus traversé la montagne toute entière ! Alors cette lumière soudaine et le grondement sourd étaient un grand mystère.
Jusqu'à ce que les parois du boyau s'écartèlent violemment pour me laisser ébahie et décontenancée à l'entrée d'une vaste cavité circulaire. Elle aurait pu contenir une centaine de sorciers. Sur le mur opposé coulait un torrent assourdissant d'un bon mètre de largeur. Une partie du serpent d'eau s'enfonçait ensuite dans le sol pour continuer son tumultueux chemin, tandis que l'autre était retenue à la surface de la cavité pour former ce qui ressemblait à une piscine naturelle.
Mais le plus surprenant était la source de lumière. Elle était là, au centre de la cavité, au-dessus de la marre d'eau, une boule luminescente irradiante.
Et c'est là que je compris. La source. L'eau, la lumière, le lieu de magie ancestrale. Notre destination. Je venais de le trouver.
Malgré l'eau qui semblait avoir infiltré mes os jusqu'à la moelle, une chaleur insensée me parcourut des pieds à la tête. Mon soulagement, mon étonnement et ma gratitude étaient immenses.
J'avais trouvé la source. Elle contenait quantité d'eau pure. Et elle était accompagnée de la lumière la plus vive, la plus brillante, la plus vivante que j'eus rencontré depuis des mois.
Rendue ivre par toutes les douces et éclatantes émotions bienfaisantes qui tournaient dans mon corps et mon esprit comme un grand huit endiablé, je me laissai glisser au sol contre la paroi de la cavité qui me souriait. Ou peut-être que j'étais celle qui souriait.
Je ne savais plus, tout ce confondait mais j'avais la délicieuse sensation de me trouver en harmonie avec les minéraux qui m'entouraient.
Les roches étaient mauves, turquoises, orangées, un mélange savant d'énergies et de textures pour accueillir un concentré de magie ancestrale telle que celle de la Source miroir. J'étais à nouveau dans mon élément, c'était merveilleux. Mue par mes instincts jupitériens, je me retournai contre la paroi et tremblante, y apposai mes mains meurtries, les yeux fermés.
Réceptive aux moindres vibrations de la roche, aux ondes assourdissantes du torrent, aux radiations exaltantes de la boule de lumière, je me laissai transporter et inspirai toute la nature en moi. Mon intuition avait reparu. Après m'avoir abandonnée depuis le départ de May, elle était revenue.
J'étais à nouveau pleine, j'en étais certaine. À nouveau entière, à nouveau moi-même, sorcière et non fantôme, guidée par les éléments plutôt qu'hypersensible, je retrouvai la force que les professeurs du C.I.S.I avaient réveillée du fond de mes entrailles des années en arrière. Trois, pour être exacte. J'allais sur mes dix-sept ans.
À cause de notre mode de vie nocturne et du chamboulement de l'équilibre du monde j'avais perdu le décompte des jours. Pour ne rien aider, la Lune prisonnière du Néant était maintenue dans une position artificielle par notre Gardienne, il était impossible de se repérer lorsqu'à de rares occasions, les nuages se dissipaient suffisamment pour nous laisser l'entrevoir.
Mon retour en symbiose s'achevant, je repris peu à peu des pensées plus terre à terre et les tournai sans effort vers mes compagnons. Il fallait à tout prix que je les retrouve et les guide ici. Le plus vite possible. Cette source, au-delà de l'espoir fou qu'elle représentait pour nous, constituait le seul refuge que nous ayons et dans lequel nous pourrions nous organiser pour survivre, jusqu'à ce que nous obtenions des réponses.
Malgré les voix vicieuses des angoisses qui me susurraient que rien n'assurait qu'une fontaine nous donnerait la clé pour sauver le monde, je m'accrochai à ma résolution, pris l'une de mes cuillers dans ma main gauche et me dirigeai vers l'entrée du boyau par lequel j'étais arrivée.
Grisée par ma découverte et impatiente de la partager avec mes amis, j'accélérai le pas jusqu'à ce que mes foulées amples martèlent et le sol et les parois du tunnel et que, le sourire aux lèvres, je vole vers notre salut.
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*publication le 23/06/19*
J'avais dit une semaine et demi ? On y est presque ! XD
Comment allez-vous en ce début d'été ? Dans le Dashgaïh, en tout cas, c'est le déluge. 🙈
J'ai écrit au plus vite et n'ai pas trop eu le temps de le relire, je m'excuse pour les fautes, j'espère que vous les aurez relevées et ne m'en aurez pas tenu rigueur...
Ce chapitre est assez introspectif, on en apprend plus sur Ethel, qu'en pensez-vous ?
À bientôt pour la suite au C.I.S.I, je vous souhaite plein de bonnes choses d'ici-là !
Legacy, la sorcière qui vous adore :3
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