Les yeux fermés, grand ouverts
Comme dans un rêve, elle ferma les yeux.
Elle imaginait.
Elle imaginait le ciel d'un bleu si pur, si beau, comme si des centaines de pierres précieuses brillaient devant elle, ce bleu unique.
Elle imaginait le soleil, l'astre si lumineux qu'elle avait mal rien qu'en y pensant, il éclairait ce paysage et le rendait réel.
Elle imaginait différentes plantes, sauvages, ineffaçables, irréductibles, qui s'entortillaient dans tous les sens, insensibles aux efforts des hommes pour les encadrer.
Elle imaginait les fleurs, les tournesols d'un jaune solaire, les lavandes odorantes, les tulipes donnant aux champs une couleur carmin.
Elle imaginait les fourmis travailleuses, les nobles papillons, les coccinelles farouches, même les moustiques, véritables vampires et parasites, elle voulait imaginer voir tous ces petits animaux vivants en respectant cette nature unique et magnifique.
Elle imaginait les oiseaux épris de libertés, les chevaux galopants dans les prés, les chats s'étirant paresseusement, les chiens rêvant, réchauffés par le soleil, les lions fiers et majestueux, les éléphants marchant d'un pas lourd mais vigoureux.
Elle imaginait toutes les oeuvres d'art qu'elle avait pu voir dans sa vie, les statues qu'elle avait eu la chance d'admirer à Florence, les toiles du Louvre, le magnifique palais des Princes-Eveques devant lequel elle passait tous les jours.
Elle imaginait comme elle pouvait les grandes et merveilleuses pyramides qu'elle n'avait jamais eu l'occasion de voir.
Elle imaginait toutes les merveilles du passé détruites avant sa naissance. La cathédrale de sa ville qui avait brûlé pendant la révolution, deux cent ans plus tôt, le colosse de Rhodes, détruit il y a plus de deux mille ans, les jardins babyloniens qui avaient vu mourir le grand Alexandre.
Elle imaginait sa maison. Sa maison, si simple, brune, porte grise, le petit essuie pieds en forme de hérisson juste à côté de la porte.
Elle imaginait sa chambre, en désordre comme d'habitude, son lit, ses bandes dessinées, ses films -Oh, ses merveilleux films.
Elle imaginait le visage de tous ceux qui l'aimaient, avec une précision et une netteté surprenante, heureux, si heureux, dans ce paysage ensoleillé.
Elle imaginait tous ceux qu'elle avait un jour détesté, et eux aussi souriaient franchement, enfin.
Elle imaginait ceux qui étaient partis avant elle, qui affichaient un sourire sincère et apaisant.
Elle imaginait sa vie, sa vie entière.
Elle imaginait à nouveau le soleil. Si beau, si inaccessible.
Puis lentement, très lentement, elle l'imaginait se coucher, se mouvant en un dégradé de couleurs chaudes pour finalement laisser place à la pénombre, puis l'obscurité.
Elle ouvrit les yeux. Et ne vit que l'obscurité.
Elle les ferma. Les ouvrit à nouveau.
Encore et toujours de l'obscurité.
Alors la cruelle vérité, qu'elle tentait encore de renier en fermant les yeux et en imaginant, la frappa comme à chaque fois qu'elle ouvrait les yeux, avec une force, digne d'un raz de marée détruisant ses rêves et ses chimères comme un château de sable.
Elle ne verra plus. Plus jamais.
Et c'est seulement quand elle fermait les yeux qu'elle pouvait maintenir l'illusion qu'ils étaient encore ouverts.
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