Tu vois, cette fille, c'est une de mes plus proches amies.

Non, tu ne la connais pas.

Je pense qu'elle aimerait pas que je te dises son prénom. En fait, cette fille, je la connais par internet. Je n'ai jamais vu ses yeux, je n'ai jamais entendu sa voix, ni serré dans mes bras.

En revanche, je lui ai écrit.

Des centaines de milliers de phrases, que j'ai écrit juste pour parler, pour m'amuser, pour l'amuser, la réconforter. Je me sens plus proche d'elle que de certaines de mes amies.

Et elle aussi elle m'a écrit.

Tu vois, cette fille, elle m'a tellement écrit que j'ai l'impression de la connaître. Je ne parle pas de ce genre de conneries comme sa couleur préférée ou comment elle voudrait appeler ses enfants. J'ai vraiment l'impression de la connaître, intérieurement.

Tu vois?

Enfin, cette fille, le problème c'est qu'elle est triste, triste, tellement triste.

Et on s'est rapprochées à un moment où on était toutes les deux tristes, tristes, et c'est peut être ça, cette empathie et cette noirceur commune, la compréhension qu'on avait l'une de l'autre, qui a renforcé nos liens.

Et donc, on a écrit, énormément écrit, et je ne sais pas ce qu'elle en pense mais elle est devenue très importante pour moi. 

Et maintenant je vais mieux.

Infiniment, infiniment mieux. 

Je suis heureuse, heureuse, définitivement, avec toi, ça se passe de mieux en mieux, et mes amis sont les meilleurs, et je me sens enfin enfin enfin bien. 

Elle... Je ne sais pas.

La reprise des cours me permet de revoir mes amis, d'apprendre plein de choses, de bouger, d'éloigner de plus en plus cette petite voix malintentionnée et sadique qui me murmurait des conneries pessimistes.

Mais je rentre chez moi tous les jours à dix-sept heures. Devoirs, manger, douche, lire, dormir.

Et internet ne me voit que pendant de brefs, très brefs instants, en semaine, et à peine une ou deux heures le week-end.

Et donc, cette fille, je ne vais pas lui demander si ça va à chaque fois que je lui parle, et je la connais, à chaque fois elle me répondra que oui, ça va, et moi je serai assez conne pour la croire.

Ou alors je vais être sûre qu'elle ne vas pas, et je lui dirais. Ou pas.

Et elle la plupart du temps elle me répondra que si, ça va, alors qu'elle est peut être seule face à ses pensées négatives.

Et moi je fais quoi.

Cette fille, elle va mal. Et moi je culpabilise parce que je vais bien.

Et les fois où je vais déprimer, comme la fois où tu m'as engueulée pour une connerie, ou quand je vais culpabiliser pour une connerie, bien sûr que non, je ne vais rien lui dire.

Je ne sais même pas ce qui doit être fait, chez elle comme chez moi.

Eh bien, cette fille, tu ne la connais pas réellement.
Et elle non plus elle ne te connaît pas.
Si elle va mal, ce n'est pas ton problème.

Tu pense vraiment ça?

Tu peux lui dire des mots gentils, parler avec elle, mais tu ne sauras jamais rien changer sur le long terme.

Mais c'est mon amie. Tu sais à quel point j'en ai peu.

Arrête, il y a L, J, M, F, et C.

Et cette fille.

Tu ne sais même pas son prénom !

Si !

Peut être qu'elle t'a menti ! Peut être que c'est un pédophile, un obsédé qui se moque bien de toi et de ta naïveté!

Arrête ! Je la crois, j'ai confiance en elle!

Mais tu as déjà pensé à cette possibilité. J'en mettrais ma main à couper.

Tiens, tu vois, tu ne dis rien. J'ai raison.

Bien sûr que j'y ai pensé ! Au début ! Mais je sais qu'elle ne me ment pas.

D'accord, si c'est ce que tu veux croire... Alors pourquoi  tu me parles d'elle ?

J'ai mal. Je veux l'aider, mais je sais très bien que je ne saurais pas.

Je ne sais même pas ce qu'elle pense de tout ça.

De "nous".

Si elle me considère comme quelqu'un d'important ou si je suis juste une personne avec qui elle aime bien rire de temps en temps.

Je ne sais même pas comment mes amies que je vois tous les jours me considèrent.
Alors quelqu'un que je n'ai jamais vu...

Mais tu vois toutes ces questions, et ces interrogations, jamais je ne lui en parlerais frontalement, et jamais je ne l'obligerais à répondre.

C'est con.

Roh, et bien je ne t'en parles plus si tu n'es pas contente.

Pourquoi tu pleures?

Grâce à elle.

Qui?

Bah tu sais. Cette fille. Elle m'a dit qu'elle m'aime.

Et?

Comment ça, "et"? Putain j'ai pas eu d'amis jusqu'à mes quinze ans et tu as le culot de me répondre ça?

Elle m'a dit je t' a i m e .
Je compte pour elle.

Je ne comprends toujours pas pourquoi tu pleures.

Mais je suis émue ! J'ai pas le droit? J'ai enfin la confirmation qu'une des personnes qui m'a le plus aidée, plus que toi, plus que papa, plus que ma mère, m'aime!
J'ai pas le droit d'être aussi heureuse que si j'avais je sais pas, sentit la caresse du soleil après des mois d'enfermement dans ce magma d'émotions négatives qui m'empêchait de profiter de la chaleur de la vie?

Tu trouves pas que tu en fais un peu trop?

Non.
Je n'en fais pas assez.

Parce qu'elle est toujours triste, putain.
Et moi qu'est ce que je peux faire.
A part écrire ces phrases et inventer des tournures débiles.
A part écrire cette merde qu'elle va trouver magnifique.

Je peux faire que ça.

Ne me dis pas que j'en fais trop.

J'en ferais jamais assez.

Elle, moi, ça sera jusqu'à ce que la mort nous sépare.