5.
Juliette,
La cinquième fois que nous nous sommes vues, j'ai lu dans ton regard taciturne toutes les douleurs du monde. Elles logeaient dans tes prunelles et y filaient comme autant de comètes, laissant traîner derrière eux la poussière de la désolation. J'ai compris pourquoi tu te cachais derrière ces tentacules de fumée, j'ai compris que tu te cachais du capharnaüm du monde, comme ce soir à la plage, quand le silence nous suffisait. J'ai surtout compris que, derrière la mélancolie de ces regards vides que tu lançais au monde, se cachaient les fractures de tes illusions.
J'ai compris que les maux volaient autour de toi comme autant de charognes. Leur battement d'aile fendaient les cieux de tes attentes. Et j'ai compris que tu étais cette Andromède des temps modernes, enchaînée à la douleur des autres, qu'en t'offrant à ces ombres gourmandes tu laissais le destin épargner le cortège des âmes innocentes qui avaient dérobé ton coeur.
J'ai découvert que tu ne te protégeais pas pour protéger ce que tu avais de plus précieux.
C'est ce soir-là, au milieu des perles d'amertume creusant des sillons dans nos joues, des mégots de nos espoirs fumés et des rires éteints que j'ai compris que mon amour avait dépassé les limites du réel. Juliette, tu m'as offert la brume de la passion. Tu m'as offert l'écume bouillonnante de ton amertume d'où s'écoulaient les plaisirs insoupçonnés des amours éphémères.
Cette cinquième fois fut si particulière, ô ma Juliette. Tu avais la force de celles qui dominent les Hommes et les Dieux, celles qui ont déjà trouvé le trésor de l'existence, celles qui marchent comme des impératrices, qui regardent de haut les constellations.
Ce soir-là, je t'ai aperçue, l'ombre d'Hadès marchant dans tes pas, le vent te tenant la main ; et ta couronne fendue tombait au sol pour libérer tes cheveux. Quand tu as tourné le dos, que tu t'es éloignée, je suis restée immobile, figée, l'éclat de tes yeux ne cessant d'illuminer ma route comme un phare guidant un navire égaré.
J'ai crié ton nom, mais il n'avait plus ce goût d'étoiles sur mes lèvres. J'ai dit ton nom, mais il roulait, écorché, écourté, dans ma gorge desséchée. J'ai murmuré ton nom, mais le zéphyr d'argent l'a emporté au loin. La voie lactée s'était éteinte et il ne restait plus que le vide. Tu ne m'as pas répondu, j'étais devenue l'invisible espoir qu'on laisse reposer dans le coffre des souvenirs abandonnés.
Tu as jeté un oeil terne derrière toi, dans ma direction sans doute, sans vraiment me voir. Nous étions là sans vraiment l'être. Puis tu t'es volatilisée.
Le temps s'était encore suspendu. C'est quand mes yeux me brûlèrent que j'ai compris. Tu étais partie, laissant derrière toi la déchirante pluie de ma tristesse tomber sur l'asphalte où s'étaient échoués les débris de nos désirs.
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