A de nombreuses reprises, elle avait recommencé le processus depuis le début. D'abord visualiser la rivière et le barrage, puis s'efforcer de ne laisser passer qu'un mince filet d'eau, et bien entendu ne pas se laisser aller à la peur de voir ses sentiments négatifs tinter l'eau de noir dans son intégralité.

Puis, avec tout cela, elle concentrait l'eau ruisselante dans sa main... Qui était alors enduite d'énergie maudite. Au bout de plusieurs essais, elle réussit finalement à maintenir son énergie là où elle la voulait, bien que tout soit encore légèrement bancal.

Voyant qu'elle avait finit par comprendre le truc, Satoru décida de passer à la vitesse supérieure, ennuyé au possible. Ou bien était-ce peut-être pour cacher le fait qu'il était tout simplement soufflé par les prouesses de leur nouvelle camarade, chose qu'il réfuterait sans hésiter tellement l'idée lui semblait...

Déshonorante. Histoire de penser à autre chose, le jeune homme aux cheveux couleur neige se tourna de manière à faire face aux têtes de mouche, toujours emprisonnées dans leurs cages respectives.

Il concentra son énergie maudite dans le creux de sa main, et la lança alors en direction d'un fléau, qui partit en fumée après avoir été coupé en deux.

Et Aya, de son côté, avait des étoiles pleins les yeux, impressionnée au possible. Elle n'avait quasiment rien vu venir ; Satoru avait accomplit cette tâche avec une rare efficacité, comme s'il était fait pour ça.

Ce qui ne devait pas être très loin de la réalité, pensa-t-elle l'instant suivant. Elle ne remarqua pas que Satoru s'était retourné vers elle et Shoko, et qu'il eut tout le loisir d'observer l'expression d'Aya.

Elle était bouche bée, les yeux grands ouverts, ce qui eut le mérite de faire exploser son égo comme jamais. Il laissa un sourire victorieux lui échapper.

-Je peux essayer moi aussi, du coup? demanda alors la nouvelle en se tournant vers Shoko.

-Bien sûr, c'est fait pour! lui répondit la jeune fille aux yeux chocolat en souriant. Ce serait un miracle que tu réussisses du premier coup, alors c'est pour ça qu'on t'as apporté plusieurs têtes de mouche. Prends ton temps surtout, on pourra toujours recommencer dans les prochains jours.

Aya répéta une énième fois le processus désormais familier de l'eau et du barrage, accumulant son énergie maudite dans son poing. 

Puis, comme si elle lançait un frisbee, elle laissa son énergie occulte quitter son corps, la jetant en direction de l'une des trois têtes de mouche restantes.

Exorcisant avec grand succès le fléau du premier coup, qui disparu dans un petit nuage de fumée noire. Faisant tomber un gigantesque et pesant silence sur les trois adolescents. Alors qu'elle était sur le point de célébrer sa petite victoire, Aya resta cependant muette en voyant que ses camarades l'étaient aussi.

Ils fixaient la cage désormais vide, qui contenait auparavant la tête de mouche que venait tout juste d'exorciser Aya... Comme si de rien n'était, du premier coup en plus de cela.

-... Comment tu as fait ça...? bégaya alors Shoko après quelques secondes de latence, pointant du doigt l'objet de ses dires.

L'excitation d'Aya descendit en flèche, se rendant compte qu'elle avait peut-être fait une bêtise.

-Heu... J'ai fait comme vous m'aviez dit, non...? J'ai mal fait un truc...? murmura-t-elle d'une petite voix, peu sûre d'elle.

-Absolument pas, c'est tout simplement parfait...! reprit son amie brune avec une voix pleine d'émotions. Je n'avais jamais vu quelqu'un lancer son énergie maudite de la sorte, en principe elle a besoin d'un contact constant avec son propriétaire... Sauf pour Satoru, mais lui c'est une exception.

Alors elle avait réussi, c'était ce que voulait dire Shoko...? En jetant un coup d'œil curieux au dénommé Satoru, afin de voir ce qu'il en pensait de son côté, elle eut la surprise de le voir continuer à fixer la cage vide sans rien dire.

Qu'est-ce qui lui arrivait...? Avait-il mal quelque part...?

-Tu penses que tu peux recommencer encore une fois? intervint alors Shoko en la distrayant. 

Aya hocha la tête avec un sourire, persuadée qu'elle arriverait à renouveler son "exploit" de plus tôt avec facilité. Le seul inconvénient, c'était le temps qu'elle mettait à visualiser son énergie maudite et à la matérialiser là où elle la voulait. Et, même ainsi, une bonne partie de celle-ci s'échappait encore de son corps.

Mais Shoko lui assurait que, avec un peu d'entraînement, elle pourrait faire tout cela presque instinctivement. En prenant bien son temps, Aya réussit effectivement à exorciser les deux têtes de mouche restantes, avec une facilité plus que déconcertante pour une fille qui venait d'apprendre l'existence de l'énergie maudite pas plus tard qu'il y a quelques jours.

Les deux jeunes filles célébraient sa petite victoire lorsque le téléphone de Satoru sonna, qu'il décrocha mollement, sans réelle conviction.

-Oui?

Encore une fois, les formules de politesse passaient à la trappe avec lui. Et cela n'alla pas en s'arrangeant lorsqu'une expression de pure lassitude se dessina sur son visage.

-Et merde.

Ce fut avec cette superbe manière de mettre un terme à une conversation qu'il raccrocha, se tournant alors vers Shoko avec un ennui à peine dissimulé.

-On doit partir en mission, maugréa-t-il en effectuant une grimace presque effrayante. Et "immédiatement", acheva-t-il en faisant des guillemets avec ses doigts, imitant très certainement la voix qui venait de lui dire ces mêmes mots au téléphone.

Avec tristesse, Aya dû dire aurevoir à ses nouveaux amis pour aujourd'hui, assurant qu'elle pourrait se débrouiller toute seule pour la suite. Comme l'ensemble des exorcistes disponibles étaient partis en mission de leur côté, plus personne ne se trouvait dans l'enceinte de l'établissement pour le moment.

De ce fait, elle avait l'après-midi de libre pour faire ce qu'elle voulait. Shoko partit en lui disant qu'ils reviendraient sûrement en fin de journée, et qu'elle passerait la voir dans sa chambre si elle était encore réveillée.

Etonnamment, même Satoru lui fit un signe de la main (sans la regarder pour autant) alors que ses deux camarades de seconde année s'en allaient pour leur mission. Aya les regarda s'éloigner progressivement, se demandant si elle aussi pourrait les accompagner très prochainement ou non.

Elle se retrouvait plantée au beau milieu du terrain d'entraînement depuis plusieurs minutes à présent, avant qu'elle ne se décide à quitter les lieux à son tour. Elle passa remettre les cages désormais vides dans l'un des nombreux entrepôts qui bordaient les terrains, et se dirigea vers elle ne savait où.

Par où était sa chambre, déjà...? 

...elle était légèrement mal barrée, là tout de suite.

Surtout maintenant que son nez avait commencé à saigner et que la douleur se faisait de nouveau ressentir dans son corps tout entier.

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-Qu'est-ce que tu en penses, alors?

-T'es certaine que c'est la première fois qu'elle utilise son énergie maudite?

A la réponse plus ou moins attendue de Satoru, Shoko éclata de rire. Vu les récentes prouesses d'Aya, lors de son tout premier jour en plus de cela, il était évident qu'ils soient tous les deux pris au dépourvu.

-On dirait pas, hein? Yaga a eu l'œil, je suis certaine qu'elle pourra devenir un élément indispensable à notre lycée...

-Tu parles comme une vieille, fait gaffe.

Shoko se contenta de lever les yeux au ciel, alors qu'elle regardait les nouveaux messages sur son téléphone.

-Tu penses quoi de sa maîtrise de l'énergie maudite? continua-t-elle d'un ton beaucoup plus sérieux. C'est la première fois que je vois quelqu'un d'aussi doué, personnellement.

Un raclement de gorge la fit revenir à la "raison", et elle sentit ses yeux rouler de nouveau.

-Oui oui, à part toi bien entendu, monsieur Gojo. A la différence que toi tu baignes dans l'exorcisme depuis toujours, pas elle.

-Ça veut pas forcément dire quelque chose... marmonna-t-il alors comme le ferait un petit enfant piqué dans son égo, les mains dans les poches.

La brune préféra éviter de répondre à l'excès d'orgueil de Satoru, et se mit à réfléchir à la place.

-Tu penses que sa faculté à maîtriser aussi bien son énergie maudite est liée avec son état physique?

Une hypothèse qu'avait également élaboré Satoru de son côté.

-Comme une restriction innée.

-C'est ça.

L'idée était pertinente. Ainsi, le fait que leur nouvelle camarade soit aussi douée en ce qui concernait l'énergie maudite prenait alors tout son sens... De même que la gigantesque réserve d'énergie qu'elle avait en elle, rivalisant largement avec celle de Gojo.

Si elle apprenait à s'en servir consciencieusement, allait-elle devenir l'une des exorcistes les plus puissantes de leur génération?

Même si cette perspective faisait grincer des dents Satoru, dont l'égo surdimensionné n'arrivait pas à se faire à cette idée, il devait bien avouer que cette Aya était intrigante.

Beaucoup, même.

Il s'assurerait de suivre au plus près les progrès qu'elle allait pouvoir faire. Il était curieux de voir jusqu'où cette jeune fille fraîchement débarquée et au corps fragile pouvait aller.

Les choses s'annonçaient intéressantes.

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Pendant près d'une heure, Aya avait erré dans les immenses allées pavées et les gigantesques jardins de son nouveau lycée, à la recherche de sa chambre.

Le mouchoir qu'elle avait utilisé pour éponger le sang qui sortait de son nez était plein depuis un moment maintenant. Fort heureusement, sur le chemin, elle était tombée sur des toilettes où elle avait pu prendre des morceaux d'essuie-mains pour remplacer son mouchoir désormais inutilisable.

Elle jeta ce dernier dans la poubelle, et se lava les mains afin de les débarrasser du sang qui s'était déposé sur elles. Elle n'avait pas vraiment l'habitude de saigner autant du nez, si ce n'était en réponse à un gros effort.

Le fait d'avoir utilisé son énergie maudite y était-il pour quelque chose, en plus de sa tolérance quasi inexistante au soleil? Bien évidemment, comme elle ne l'avait jamais fait auparavant, elle était obligée de rester sur des hypothèses.

Elle s'était remise en route après ce bref arrêt, et était finalement tombée sur quelqu'un. Un homme habillé d'un costume et d'une cravate sans aucun plis, qui l'intimida alors l'espace d'un instant.

Elle hésita de longues secondes quant à savoir si elle devait lui demander son chemin, avant de se décider, en dissimulant son mouchoir ensanglanté derrière son dos. Fort heureusement, l'homme était adorable. Il lui expliqua calmement où elle était et quel chemin elle devait prendre, et elle le remercia chaudement pour cela.

Elle partit alors dans la direction indiquée, pile au moment où le sang recommençait à couler le long de sa peau. Au bout de quelques minutes de plus, elle arriva finalement dans le bâtiment de l'infirmerie, où se trouvait sa chambre.

Elle déverrouilla sa porte en grimaçant, la douleur familière revenant dans son corps désormais épuisé. Elle ferma derrière elle, et ne perdit pas plus de temps à aller chercher des mèches hémostatiques afin de bloquer l'écoulement ensanglanté de son nez, et s'installa dans son lit en sortant une poche d'antidouleur.

La piqûre de la perfusion la fit retenir un gémissement de douleur, chose hautement surprenante si l'on considérait qu'elle était plus qu'habituée à ce genre de chose.

Comme elle n'avait pas utilisé d'antidouleur depuis des heures maintenant, peut-être que son corps s'était réveillé plus que d'ordinaire, lui faisant ressentir les piqûres beaucoup plus fortement que d'habitude?

Ou bien était-ce à cause du fait qu'elle devait se résigner à revenir à sa vie normale et solitaire après la matinée géniale qu'elle venait de vivre? 

Elle se coucha un instant sur son lit sans prendre la peine de défaire ses couvertures, prenant le temps de retrouver ses esprits et de sentir la douleur de son corps s'estomper peu à peu.

Le saignement de son nez semblait s'être lui aussi arrêté, constata-t-elle en se redressant plusieurs minutes plus tard. En jetant les mouchoirs usagés à la poubelle, son pied à perfusion la suivant docilement, elle se décida finalement à préparer quelque chose à manger.

Il était presque deux heures de l'après-midi et elle mourrait de faim. Et même le goût des antidouleurs n'était pas suffisant pour entamer son appétit.

Son appartement avait été approvisionné de nourriture de base, tel que des pâtes, du riz ou des boîtes de conserve. Elle se décida à faire cuire un peu de riz, et à ouvrir une boîte de légumes déjà préparés, qu'elle n'eut besoin que de réchauffer.

Son petit repas fin prêt, ayant également déniché une boîte de biscuits dans l'un de ses placards, elle se mit alors à table, dans un silence plus que familier qui la terrifia cependant à cet instant. Après la matinée pleine de joies, de discussions et de découvertes qu'elle avait passée, revenir à cet aspect de sa vie lui faisait peur.

Elle avait l'impression d'être de retour à l'hôpital, avec son silence morbide et sa solitude destructrice. Elle suffoquait.

Alors, dans un élan de désespoir, Aya sortit son téléphone et entreprit de mettre un peu de musique.

Cela n'effaçait pas complètement son mal-être, mais contribuait néanmoins à l'apaiser un peu. Et à lui faire penser qu'il serait bien d'investir dans une chaîne hi-fi, éventuellement. Elle y réfléchirait un peu plus tard.

La fadeur du riz allait de pair avec sa solitude retrouvée.