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A mesure qu'ils se rapprochaient des terrains d'entraînements, la panique dont était victime Aya grandissait encore et encore. Elle ne savait absolument pas ce qui l'attendait, ni ce que ses camarades et professeur entendaient par "test en conditions réelles".
Elle était là depuis à peine vingt-quatre heures... On allait bien la laisser souffler un peu avant de l'envoyer combattre ces fameuses malédictions toute seule...? Et on allait bien l'accompagner dans cette opération délicate, n'est-ce pas...?
Sa panique se renforça d'autant plus lorsque, tandis qu'ils marchaient tranquillement et que les autres échangeaient des conversations qu'elle n'écoutait pas, une sonnerie de téléphone vint rompre la quiétude du moment.
Contre toute attente, c'était le téléphone de leur professeur, monsieur Yaga, qui en était à l'origine. Il fit signe à ses trois élèves de continuer un moment sans lui, et il prit l'appel peu de temps après.
Satoru poussa un soupir, les mains passées derrière la tête alors qu'il sifflotait encore une fois cette même mélodie de tantôt, qu'Aya était certaine de connaître. Mais toujours incapable de se souvenir d'où et quand.
Elle se contentait de gratter nerveusement son bras, là où elle avait pour habitude de piquer l'aiguille de sa perfusion. L'adrénaline de cette nouvelle rentrée s'était transformée en appréhension qui lui rongeait l'esprit, et elle sentait la douleur ô combien familière revenir dans son corps tout entier.
Elle regretta à cet instant de ne pas avoir amené de poche d'antidouleur, même au cas-où. Car, présentement, elle se sentait sur le point de tourner de l'œil. Sa peau lui semblait plus pâle que jamais, et la sueur recommença à perler le long de ses tempes.
Finalement arrivés sur les terrains d'entraînements, Aya fit de son mieux pour ne pas s'évanouir ici et maintenant. Shoko paru remarquer que quelque chose n'allait pas avec sa nouvelle camarade, puisqu'un regard concerné vint remplacer sa précédente expression de quiétude.
-Heu... est-ce que ça va, Aya?
Avant qu'elle n'ait eu le temps de poursuivre ou qu'Aya ne puisse répondre, toutes deux furent coupées par la voix de leur professeur, qui revenait les voir au pas de course.
Sous le regard de plus en plus mortifié d'Aya, Yaga leur expliqua alors avoir été réquisitionné pour remplir une mission urgente, et qu'il devait partir immédiatement.
-De ce fait, je vous laisse le soin de montrer et d'expliquer à notre nouvelle élève les bases de l'énergie maudite... Les têtes de mouche sont dans l'entrepôt habituel. Bonne chance.
Médusée, Aya observa son professeur partir en courant presque, sous les grognements courroucés de Satoru qui "devait rester s'ennuyer ici alors que d'autres s'amusaient ailleurs". Sans savoir pourquoi, là non plus, cette réflexion eut pour effet de faire froncer les sourcils à la jeune brune.
En gros, rester avec elle le faisait chier, c'était bien cela? Mais rien ne l'obligeait à rester, en fait...!
Shoko, comme si elle sentait que l'ambiance s'assombrissait, demanda alors à l'ennuyé de service d'aller chercher les fameuses "têtes de mouche", ce qu'il fit en traînant littéralement des pieds.
-...est-ce que j'ai le droit de demander ce qu'on va faire de moi...? marmonna Aya d'une voix remplie d'appréhension.
Shoko laissa un rire lui échapper.
-Rien qui ne soit dangereux, ne t'en fait pas! On ne te demandera pas de faire de missions avant longtemps, surtout toute seule!
Aya se détendit presque instantanément, alors que Satoru revenait justement vers elles avec plusieurs cages dans les mains, au nombre de quatre.
Sous les yeux ébahis d'Aya, des petits monstres (enfin, qu'elle connaissait plutôt sous le nom de fléau à présent) se pressaient aux barreaux des différentes cages, caractérisés par des têtes énormes et des yeux globuleux, avec des corps minuscules.
Le genre de bestiole qu'elle avait l'habitude de côtoyer depuis toute petite, en fait. Exception faite que, cette fois-ci, ces "monstres" étaient pris au piège dans leurs petites cages. Elle ressentirait presque de la pitié pour elles, tiens.
Sans ménagement, le jeune homme vint déposer les quatre cages à quelques mètres l'une de l'autre, avant de revenir aux côtés des deux filles.
-Très bien, on peut commencer les explications maintenant, déclara alors Shoko en tapant dans ses mains.
Pour la seconde fois ce jour-ci, Aya sortit l'un de ses petits cahiers de son sac à bandoulière, afin de prendre en notes tout ce que disait Shoko.
Elle griffonna ainsi que l'énergie maudite que possédaient les exorcistes étaient le résultat de toutes les émotions négatives qui circulaient en eux. Et que, si cette énergie n'était pas contrôlée et qu'elle s'échappait librement (comme il en était le cas avec Aya actuellement), alors des fléaux étaient créés.
Cette énergie maudite, une fois contrôlée, leur permettait ainsi de combattre les fléaux, c'est-à-dire le mal par le mal. Le seul moyen pour réussir à maîtriser cette force occulte était d'arriver à faire de même avec ses propres émotions.
-En gros, si tu te laisses gagner par la colère en plein usage de ton énergie occulte tu l'épuiseras tout simplement... Tu comprends?
Aya hocha la tête de haut en bas, semblant réfléchir à quelque chose. Puis, prenant son cahier dans l'autre sens, elle entreprit de faire un petit schéma de ce qu'elle croyait avoir compris.
Elle dessina une rivière, puis un barrage en bout de cette dernière, avant de laisser un mince filet d'eau passer la gigantesque digue.
-Si j'ai bien tout saisi... La rivière c'est l'énergie maudite (ou énergie occulte), dit-elle en griffonnant les noms à côté de l'objet de ses paroles, le barrage le fait de contenir et maîtriser le flux de ses sentiments, et l'eau qui est autorisée à le passer est l'énergie maudite qu'on choisi de relâcher... C'est ça?
Satoru et Shoko restèrent devant son cahier sans bouger, les yeux grands ouverts, semblant réfléchir à la véracité de ses propos. Avait-elle dit une énorme connerie, pour qu'ils ne sachent pas quoi lui répondre...?
Fort heureusement, Shoko laissa un sifflement impressionné lui échapper.
-C'est exactement ça, je n'avais jamais vu les choses sous cet angle avant cela... Tu dessines super bien, au passage!
Le genre de compliment qui faisait rougir Aya comme une pivoine. Dessiner était quasiment la seule occupation qu'il lui était possible lors de ses interminables séjours à l'hôpital, et elle le faisait depuis toute petite. Elle n'avait pas beaucoup de mérite... C'était plus un passe-temps qu'autre chose.
-Ah... Merci...
Même s'il ne disait rien, elle pouvait voir en croisant le regard de Satoru que ce dernier était lui aussi impressionné. Que ce soit par sa compréhension de l'énergie maudite ou par son dessin fait à la va-vite, elle ne savait pas vraiment.
A peine eut-elle croisé le regard, ou plutôt les lunettes du jeune homme, aussitôt celui-ci détourna le nez pour admirer les têtes de mouche à la place. De profil, elle pouvait alors apercevoir un fragment des yeux de Satoru.
Et elle eut la surprise de constater qu'ils étaient aussi bleus que le ciel, chose qu'elle n'avait encore jamais vue en vrai. Mais la scène s'était déroulée trop vite pour qu'elle puisse détailler davantage de choses.
Et elle ne pouvait pas continuer à fixer Satoru sans risquer de paraître bizarre. Elle jeta un dernier coup d'œil à ses notes, avant de les ranger dans son sac et de se préparer mentalement à ce qui allait suivre.
-Satoru va te faire une démonstration grandeur nature, déclara alors Shoko en s'amusant du regard ahurit que lui lançait l'intéressé à cette phrase. C'est le plus doué de nous tous en ce qui concerne l'énergie maudite.
Visiblement, Shoko savait comment brosser le jeune homme dans le sens du poil, Aya en prenait note. Une faveur (qui ressemblait davantage à un ordre) suivie d'un compliment, et le tour était joué. Aucune possibilité pour lui de refuser lorsque son égo était flatté de la sorte.
A présent face à face, Aya regardait Satoru avec la plus grande des attentions, un air déterminé sur ses traits pâles. La douleur se faisait toujours ressentir, mais elle n'y pensait plus que sommairement à ce stade.
Elle observa la main du jeune homme être progressivement enveloppée d'une sorte de nuage bleu foncé aux bords noirs, qu'elle devina être de l'énergie maudite. Ce fut à cet instant qu'elle réalisa la force qui dormait chez Satoru ; la puissance de son énergie maudite lui donnant presque l'envie de s'enfuir en courant.
Était-elle capable de faire une chose pareille, elle aussi? En gardant en tête la métaphore de la rivière et du barrage de plus tôt, Aya tenta de visualiser les contours de sa propre énergie maudite, qui coulait librement en elle comme une eau dépourvue d'entraves.
Tout ce qu'elle avait à faire, c'était de maîtriser toute cette eau, et de la faire couler de manière volontaire là où elle souhaitait sa présence. Son souffle se fit plus lent, ses yeux se fermèrent, alors que son énergie autrefois libre comme l'air retournait dans son corps, à présent comme scellé de l'intérieur.
Suivant les instructions de Shoko, des sentiments qu'elle avait toujours préféré enfouir au plus profond d'elle refirent surface, que ce soit la mélancolie, la douleur ou même le désespoir. Tous ces sentiments négatifs qui ajoutaient une touche noirâtre à la paisible rivière, et qui venaient troubler l'eau auparavant immaculée.
Elle suffoquait presque, submergée par cette véritable avalanche de négativité, avant qu'une main ne vienne doucement se poser sur son épaule.
Elle ne savait pas si c'était un fait réel ou si elle l'imaginait simplement, mais ce simple geste eut le mérite de l'apaiser.
Depuis toute petite, le fait de cacher ses émotions les plus noires avait été son quotidien. Pour faire bonne figure auprès de ses parents et de sa sœur, pour les rassurer et leur prouver que tout allait bien chez elle malgré tout.
Qu'elle endurait tous ces malheurs à la seule force de sa volonté.
Ce furent ces quelques pensées qui eurent pour effet de l'envahir d'un sentiment de quiétude bienvenu. L'eau était toujours à moitié noire, mais elle n'était plus aussi perturbée qu'auparavant.
Elle avait réussi à se calmer. Et, lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle eut l'immense surprise de découvrir que, entourant sa main qu'elle avait inconsciemment tendue devant elle, une sorte de flamme indolore, bleue et noire se trouvait là.
Là où elle avait voulu la faire apparaître, précisément. Sa main était à l'instant présent entourée d'énergie maudite, créée à partir de ses émotions négatives qu'elle avait l'espace d'un soupir acceptées, même avec réticence.
Le phénomène ne dura que quelques instants seulement, avant que la flamme ne s'évanouisse dans l'air sans qu'elle puisse l'en empêcher, trop étonnée par la prouesse qu'elle venait de réaliser pour conserver son attention encore davantage.
Déçue au possible par ce qu'elle considérait comme un échec si près du but, Aya fut d'autant plus étonnée lorsqu'elle se rendit compte que quelqu'un applaudissait juste à côté d'elle, la faisant revenir totalement à la réalité.
-Tout simplement parfait! s'exclama Shoko en tapant dans ses mains à tout rompre. Pour une première fois c'est époustouflant, tu as réussi à contenir presque l'intégralité de ton énergie occulte dans ton corps! Il y a encore des petites imperfections, mais tu es certaine que c'est ta première fois? J'ai jamais vu quelqu'un comme toi! Enfin, si... Satoru peut-être, mais lui c'est un cas à part...
Encore des compliments, qui mirent Aya mal à l'aise en quelques instants seulement. Cependant, l'euphorie d'avoir réussi à comprendre plus ou moins le truc était plus forte que tout, plus que les grognements mécontents de Satoru lui-même.
Était-il vexé que quelqu'un d'autre arrive à faire ce que lui faisait? De ce qu'elle avait pu comprendre du personnage, il était même évident qu'il s'agissait de la bonne hypothèse.
-Bon, on va te faire t'exercer encore un peu à maîtriser ton énergie, même pour quelques instants de plus, avant qu'on ne t'explique comment faire pour t'en servir pour attaquer. Enfin, surtout Satoru. Je t'avoue que je suis un cas à part, acheva Shoko en lui adressant un sourire.
Sourire que, étonnamment, elle lui rendit sans même s'en apercevoir. Pas un sourire sans réelle conviction, comme elle avait l'habitude d'en faire à longueur de journée, mais un vrai.
Un authentique. Car, pour la première fois depuis toujours, elle sentait qu'elle était enfin maîtresse de sa propre vie, même si cela ne se révélait au final n'être qu'une illusion déguisée.
Elle avait envie d'y croire, plus que jamais.
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