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Elle ne savait vraiment pas quoi penser de cette situation.
De surcroît, ses parents s'étaient sentis extrêmement soulagés lorsque l'inconnu, qui se présenta bientôt sous le nom de Yaga Masamichi, leur avait expliqué la situation. Il était professeur à l'école d'exorcisme de Tokyo ; là où elle allait se rendre d'ici peu.
Le lycée avait promis à ses parents de prendre en charge tous ses frais médicaux, en plus du reste. Ce qui avait grandement encouragé son père et sa mère, malgré leur peur, à envoyer leur fille vers l'inconnu.
Aya aurait dû se sentir révoltée, que ses parents la "vendent" ainsi sans même un mot de sa part. Mais elle savait également toute la peine par laquelle ces deux adultes étaient passés par sa faute, depuis qu'elle avait vu le jour.
Maintenant qu'on promettait de leur retirer un tel poids, ils ne pouvaient que sauter sur l'occasion. Elle ne leur en voulait nullement. A leur place, elle aurait très certainement fait pareil. De toute manière, cette situation n'était pas si différente de celle qu'elle avait connue en intégrant son tout nouveau collège ; dans les deux cas de figure, le bout du chemin lui était à chaque fois inconnu. Présentement, c'était juste le fait qu'elle parte plus loin que les fois précédentes qui changeait.
Elle allait devoir intégrer un nouveau lycée à la prochaine rentrée dans tous les cas. Elle prenait juste un peu d'avance par rapport aux autres, c'était tout.
C'était sa petite sœur qui s'était le plus fermement opposée à un tel départ. Ai l'avait littéralement suppliée, elle mais aussi leurs parents, de revoir leur décisions.
Mais pas de marche arrière, pas maintenant qu'Aya avait enfin la lueur d'espoir qui lui manquait depuis toujours. Et puis, ce n'était pas non plus une séparation définitive ; certes, elle allait être pensionnaire dans ce nouveau lycée, mais elle pourrait évidemment retourner voir sa famille pendant les vacances.
Pour la première fois, la senteur du vent sur sa peau et dans ses narines lui semblaient être une bénédiction. Pour la première fois, elle oubliait les médicaments et la perfusion qui ne la quittaient que rarement.
Elle avait l'impression de pouvoir soulever des montagnes s'il le fallait, et ce malgré son corps fragile qui ne pourrait jamais porter plus de quelques kilos. Elle sentait que le monde était à sa portée, et elle avait plus que hâte de pouvoir commencer sa nouvelle vie.
Elle était retournée une dernière fois dans son école ordinaire, où elle était scolarisée mais où elle ne venait que quelques jours par mois au maximum. Comme elle s'y attendait, personne ou presque n'avait semblé réagir à son départ. Elle n'était même pas certaine que ses désormais anciens camarades de classe se souviennent réellement de qui elle était.
Elle était juste la "fille bizarre et malade", que personne ne connaissait réellement. Mais c'était mieux ainsi ; au moins, personne ne lui manquerait une fois qu'elle serait partie.
Le trajet en voiture jusqu'à sa nouvelle école lui parut interminable. Elle avait encore les yeux humides de sa séparation avec sa famille quelques minutes plus tôt, surtout avec sa petite sœur qui avait éclaté en sanglots et qui lui avait demandé une dernière fois de rester.
Mais Aya avait prit sa décision, la première décision de toute sa vie. Elle voulait commencer à vivre, et ce nouveau départ était l'occasion rêvée pour ce faire. Etonnamment, l'homme à la peau mate qui était venu la trouver le premier jour n'était pas là, mais elle ne se découragea pas le moins du monde. Il devait très certainement être occupé ailleurs.
Avant de partir, sa mère lui avait offert une rose blanche enveloppée de plastique rigide, en lui disant qu'il s'agissait d'une rose ne se fanant jamais. Une plante éternelle, qui l'accompagnerait pendant son séjour loin de sa famille et qui lui rappellerait ceux qu'elle aimait à tout instant. Cette fleur, elle la tenait actuellement bien serrée dans ses bras, alors qu'elle était assise à l'arrière d'une voiture entièrement noire, avec une femme sur le siège conducteur, qui lui faisait la conversation de temps à autres.
Aya n'était pas à l'aise, comme lors de n'importe quelle autre interaction sociale. Hormis ses parents, sa sœur, les infirmières et les médecins, jamais elle n'avait tenu de véritable conversation avec quelqu'un. Mais cette femme était gentille et compréhensive, et la jeune fille se surprit à se détendre progressivement, à mesure que la voiture se rapprochait de sa destination finale.
Sous ses yeux ébahis, Aya pu apercevoir les rues animées de Tokyo, qu'elle n'avait jamais vues auparavant, mis à part à travers l'œil artificiel d'une caméra. Toute cette foule lui fit bien vite tourner la tête, cependant, et elle se rassura en se disant que là où elle se trouvait, dans la voiture, elle ne risquait rien.
Elle commençait à angoisser, à mesure que le lycée se rapprochait. D'après la conductrice, elles devraient être arrivées en un peu moins de trente minutes.
Allait-elle être à la hauteur, allait-elle pouvoir faire ses preuves dans ce nouveau lycée? Allait-elle pouvoir apprendre à surmonter ses peurs les plus noires...?
Machinalement, la jeune fille passa sa main dans ses cheveux bruns foncés, s'assurant ainsi que la pince qui retenait en queue de cheval ses longues mèches légèrement ondulées était toujours en place. Ses yeux de la même couleur que le cuivre scrutaient sa robe blanche, attentive au moindre plis qui aurait pu s'y glisser. Mais non, elle était aussi présentable que lorsqu'elle avait quitté sa maison. Elle espérait juste que la marque de la perfusion dans le creux de son coude, qu'elle avait retirée le temps du trajet, ne soit pas trop visible malgré sa peau si pâle.
Le décor par-delà la fenêtre de la voiture changea subitement, laissant place à des rues étroites et calmes, sans qu'aucun piéton ne soit en vue. Le véhicule continua sa route jusqu'à un portail magnifiquement ouvragé, avant de pénétrer dans l'enceinte de ce qu'elle devina être son nouveau lycée.
Elle n'en croyait pas ses yeux, tellement l'endroit était magnifique. Immense, couvert d'arbres et de bâtiments dans un style japonais typique. Elle dû faire une tête bizarre, car la conductrice éclata de rire en la regardant dans le rétroviseur, lui annonçant qu'elle était arrivée à destination.
Le cœur battant et les mains tremblantes, Aya était descendue de la voiture, alors que la gentille femme lui tenait la porte. Elle eut un vertige en se mettant debout, mais l'adulte vint la soutenir afin qu'elle ne puisse pas tomber.
Ses valises furent sorties du coffre, et elle eut tout le loisir de laisser libre court à tous ses sens en éveil. Le vent lui faisait parvenir une brise légère, remplie d'une odeur réconfortante qu'elle reconnut comme un mélange de celle d'un cerisier en fleurs, de l'herbe fraîchement coupée ainsi que celle de l'écorce d'un arbre non loin d'elle.
Là, la gentille conductrice lui souhaita bonne chance et à bientôt, déposant ses valises à ses pieds en lui disant que quelqu'un viendrait la trouver d'ici peu. La femme s'en alla en courant presque, visiblement pressée, en lui adressant de grands signes de bras en guise d'au revoir, avant de monter dans sa voiture et de disparaître sur les chapeaux de roues.
Quelques minutes à peine après s'être retrouvée toute seule, si bien qu'elle n'eut même pas le temps de détailler les environs, une voix se fit entendre sur sa gauche, une voix féminine et pleine de gentillesse.
-Bonjour! Je parie que c'est toi la nouvelle élève, je me trompe?
La nouvelle venue était une fille d'environ son âge, avec les cheveux bruns coupés court et des yeux couleur chocolat, qui se présenta sous le nom de Shoko Ieri. Une élève de seconde année, qui s'était proposée pour l'accueillir et lui montrer sa chambre.
-Moi c'est Aya, bégaya cette dernière en se sentant nerveuse. Aya Nishida.
Si elle parlait bizarrement, la jolie brune qui l'avait accueillie ne lui en tint pas rigueur. Elle se pencha même pour saisir les valises d'Aya, malgré le fait que cette dernière lui eût assuré qu'elle pouvait les porter elle-même... Ce qu'elle n'aurait en réalité pas pu faire à cause de ses bras faibles et de sa force inexistante.
Les deux jeunes filles se mirent en route, Shoko la guidant habillement dans le véritable labyrinthe que constituait cette nouvelle école. Ce fut à cet instant qu'Aya appris, avec grand étonnement, qu'elle était seulement la troisième élève de première année.
Elle n'était pas certaine de savoir si cette nouvelle la réconfortait ou non. Une petite classe signifiait qu'elle serait mieux accompagnée par ses professeurs, mais signifiait également qu'elle serait beaucoup plus visible ainsi, avec l'impossibilité de se fondre dans la foule.
Le chemin jusqu'à sa nouvelle chambre se fit relativement vite, alors qu'elle était plongée dans sa conversation avec Shoko. Avec une grande surprise, Aya constata qu'elles se trouvaient désormais dans un bâtiment carrelé de blanc, qui se révélait être l'infirmerie.
Sa chambre, constata-t-elle, se trouvait non loin des salles d'examen. Ce qui n'était guère étonnant, sachant sa santé constamment déplorable. Ainsi, elle n'aurait pas besoin de courir à droite et à gauche pour se rendre à l'infirmerie en cas d'urgence.
Sa chambre était, malgré son emplacement peu reluisant, très jolie. Un lit, des meubles de cuisine, une salle de bain, une commode, une penderie, sans oublier une magnifique baie vitrée qui donnait sur un jardin rempli de fleurs. Et, surtout, un sol constitué de parquet, et non de carrelage froid et invivable comme elle en avait l'habitude.
Elle sentait son excitation monter, si bien qu'elle trépignait d'impatience à l'idée de pouvoir déballer ses affaires et s'installer dans cette nouvelle chambre. Tout était fourni, allant des ustensiles de cuisine aux serviettes de bain, sans oublier le clou du spectacle : un petit vase de fleurs posé sur sa table de chevet en guise de bienvenue.
Un mini appartement, en somme. Bien entendu, elle se rendit très vite compte que du matériel médical se trouvait près de son lit, ce que ne releva pas sa camarade de seconde année. Comme si elle savait déjà à quoi s'attendre avec Aya.
-Ma chambre est juste à côté de la tienne, continua Shoko en ouvrant la fenêtre afin que l'air puisse rentrer. Si jamais tu as besoin d'aide pour quoi que ce soit, n'hésite pas à venir me trouver. Surtout qu'on va passer beaucoup de temps ensemble, j'en suis certaine!
Alors qu'elle déballait d'ores et déjà ses bagages, Aya s'arrêta dans son élan, et regarda Shoko sans comprendre. Cette dernière resta silencieuse quelques secondes, renvoyant son regard perdu.
-Monsieur Yaga nous a dit que tu avais énormément d'énergie maudite, du coup il y a de grandes chances pour que tu fasses pas mal de missions et de cours avec nous, les secondes années, pour mieux t'aider à tout contrôler... Et puis on a souvent des cours en commun de manière générale.... Tu n'étais pas au courant?
De surcroît, non. Aya ne savait même pas ce qu'était cette fameuse "énergie maudite", alors penser qu'elle pourrait s'en servir... Comment le savaient-ils, déjà? Alors qu'elle-même n'était pas au courant? Et, surtout, qu'est-ce que c'était cette histoire de mission?
Shoko ne se laissa cependant pas abattre.
-Ne t'inquiètes pas, lui dit-elle avec un sourire rassurant. On t'expliquera tout demain en classe, et tu pourras voir de toi-même de quoi je parle. En attendant installe-toi comme tu le souhaites, l'infirmière devrait passer sous peu pour parler un peu avec toi. Ah, et tiens, voici mon numéro de téléphone si jamais tu en as besoin, n'hésite surtout pas! Bye!
Le petit bout de papier couvert de numéros dans les mains, Aya regarda sa camarade brune s'en aller en lui faisant un signe de la main, fermant doucement la porte de sa chambre au passage.
La jeune fille jeta un énième coup d'œil circulaire à son nouvel environnement, le calme de la pièce la gagnant malgré la pointe d'excitation qui persistait encore au fond d'elle. Un énorme sourire vint se frayer un chemin sur ses lèvres, un véritable et authentique sourire.
La mélancolie se fanait progressivement, et l'adolescente se sentait étrangement bien. Presque euphorique.
En envoyant un message à ses parents, afin de leur dire qu'elle était bien arrivée, Aya se décida à déballer sa première valise, posant la fleur éternelle offerte par sa mère à côté du vase débordant de tulipes colorées, sur la table de chevet.
Une nouvelle vie commençait, pleine de promesses et de couleurs à venir.
Pour la première fois, elle avait la sensation d'être comme les autres. De ne pas être différente, d'être là où elle devait être. D'avoir sa place en ce bas monde.
Tout ce qu'elle avait toujours voulu.
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