Chapitre 5
Je me réveille le matin dans une chambre inconnue. Ah oui, je suis rentrée avec Tampia. Et nous avons couché ensemble. Il est encore dans un profond sommeil, la bouche entrouverte, bavant sur le lit.
Je pousse les draps et cherche mon sang. Je suis déçue. Je m'attendais à davantage de traces, à une grosse marre rouge bien dramatique, mais à part une tache sur ma cuisse gauche, je ne vois rien.
Après un étirement peu élégant, je saute du lit et renfile mes vêtements après une toilette express. J'aurais bien trouvé quelque chose à grignoter mais c'est tellement un bazar monstre chez lui qu'impossible de trouver de quoi se sustenter.
Enfin, le gros loir décide de se réveiller.
Je le rejoins et l'embrasse comme l'adorable fille que je suis.
— Si tu veux que je te paie un petit déjeuner au restaurant... sourit-il la voix encore pâteuse.
Mes sourcils se haussent avec innocence. J'ai très bien compris.
Il se rallonge dans un soupir de contentement alors que je commence à lui caresser le sexe.
— Je commence à me demander si tu ne faisais pas certaines tâches moins ingénues chez toi.
— Tu aimes ?
Il ne me répond pas, ce qui me confirme ma question. Ce petit jouisseur baisse les paupières pour mieux profiter. Sans le prévenir, je commence à le sucer et lui masser les bourses. Sur ce point, j'ai déjà vu des prostituées le faire donc je crois savoir me débrouiller.
Et vu la tête de Tampia, je crois que je réussis pas mal.
— Püpe... Je crois que je vais te ramener tous les soirs chez moi.
Ouai bah, coco, faudra ranger. Je ne couche pas dans une porcherie.
Le gnome se redresse soudain et me demande d'arrêter :
— Je veux finir entre tes cuisses.
Je hoche la tête et retire ma robe et ma culotte. Dire que je m'étais déjà lavée. Bon, faudra recommencer.
— Tu peux te retourner, si tu veux.
En soutien avec mes amies, c'est ça ? Mais je veux essayer, c'est vrai. Je lui présente donc mes fesses en espérant qu'il ne me considère pas, tout d'un coup, comme une fille de joie.
— Par contre, prévins-je, avant qu'il ne se rapproche, tu passes par l'autre porte, je te coupe tout, compris.
Mes menaces semblent l'amuser. Heureusement pour lui, il ne se rate pas et me pénètre d'un coup.
— Aïe ! Ralentis !
— Tu es moins excitée, j'y peux rien...
Oui, alors que lui vit sa meilleure vie. Ça m'énerve ça. Pourquoi c'est toujours plus compliqué quand on est une femme ? Mais j'arrête vite mes récriminations lorsque je commence à apprécier ses aller-venu. Tampia a les reins solides, je suis bien tombée. Bon, même si je trouve qu'il se fatigue vite mais faut pas vouloir la perfection, non plus.
Après quelques coups de reins, il cesse de se retenir et m'honore de sa semence. Tu parles, va falloir passer derrière, après.
Le gnome se retire et part chercher de quoi se mettre sur le dos. Je le détaille pendant qu'il marche. J'apprécie particulièrement son torse large et ses bras forts. Après il a un petit bedon que j'accepte moins mais ce n'est pas moi qui vais pouvoir lui faire la remarque.
— Ça ne te dérange pas que je sois un peu grosse ? demandé-je un peu honteusement.
Il se retourne vers moi avec étonnement et pose son regard sur mon corps déshabillé.
— Non.
Je crois qu'il s'en fout royalement. Et je pense surtout qu'il n'aime pas trop parler. Un homme d'action ? Le voilà qui a trouvé un pantalon et une chemise à se mettre.
De mon côté, je pars me laver dans la petite salle contigüe. Je renfile ma robe, mes chaussures et pose mon châle sur les épaules.
Dès que nous sommes prêts, nous reprenons le chemin de notre travail. Nous nous arrêtons au restaurant -pour une petit-déjeuner bien mérité- puis je reprends ma route jusqu'à la porte de la Mer des Passions. Minutieusement, j'évite les deux folles et gagne ma chambre pour trouver des vêtements plus adaptés.
— Ma chérie ! Où étais-tu ?
Maman se jette dans mes bras et encercle mon visage joufflu de ses mains :
— Il ne t'est rien arriver ? Tu ne sens pas très bon.
Non, je n'ai pas eu le droit à un bain digne de ce nom, en effet.
Ma mère fronce d'un coup les sourcils.
— Tu étais avec un garçon ?
— Oui, il s'appelle Tampia.
Elle reste désarçonnée quelques instants par ma réponse directe.
— Tu as copulé avec lui ?
— Je n'aurais peut-être pas employé ce mot mais oui.
— Pars immédiatement chez l'apothicaire !
— Mais pourquoi ?
— Tu vas tout de suite vérifier si toi et ce garçon n'êtes pas compatible.
— Mais...
— Oust !
Quel caractère ! Maman, ne t'inquiète pas, je ne suis pas enceinte. Comment lui dire ? Mais si ça peut la rassurer.
Je rejoins le hall lorsque les deux astres m'accostent pour m'assaillir de questions. Différemment d'elles, je préfère rester pudique sur mes rapports et les laisse donc à leur frustration.
Je trottine donc jusqu'à la boutique hantée mais n'y trouve pas Djinévix. Où est passée cette sorcière, encore ? Je m'aventure derrière le comptoir pour vérifier qu'elle ne soit pas dans ses réserves. Bon, clairement, je n'ai pas l'autorisation de m'engouffrer dans l'escalier tortueux qui disparait dans la pénombre. Mais une soudaine curiosité me pique. D'un pas un peu trop décidé, je gravis les marches et commence la lente ascension.
J'ignore combien de temps cette grimpette dura mais j'ai les jambes et surtout les pieds dans un salle état. Ce n'est pas possible, j'ai dû traverser plusieurs départements, là. En ce moment, je longe un étroit corridor poussiéreux et dénué de tout éclairage. Heureusement, ma vue affutée de gnome me permet de bien distinguer les formes dans le noir mais ce n'est pas cette faculté qui va me rassurer vraiment.
Sous mes escarpins, le bois craque lugubrement alors que je m'avance toujours plus loin. Instinctivement, je referme mon châle sur mes épaules nues. Quel endroit étrange. Ma raison me hurle de faire demi-tour ; de toute évidence Djinévix n'attend pas à ce que ses clients se pointent dans une telle retraite. Mais j'ignorais que des passages secrets traversaient ainsi la forteresse.
Enfin, une petite porte ornée de ferronnerie met fin au corridor. D'un geste hésitant, je tourne la poignée et pénètre subrepticement dans la vaste pièce. Mon regard est aussitôt attiré par l'énorme rosace qui occupe la majorité du mur. Les vitraux translucides reflètent les teintes chaudes du soleil levant. De part et d'autre, de grosses tentures brodées d'argent et d'or, tombent depuis les moulures alambiquées du plafond. Une fresque vive s'étend sous le dôme en même temps que des lustres chargés de bougies pendent avec élégance. Le mobilier en noyer laisse ressortir les tapisseries carmin, ce qui confère au lieu une ambiance à la fois chaleureuse et envoutante. C'est un salon magnifique, avec un luxe tout nouveau pour moi. De grosses bibliothèques attirent mon attention. Je m'avance vers le bureau où quelques livres sont entreposées.
De très vieux grimoires que j'ose ouvrir. Dommage, je ne lis pas cet alphabet. Sûrement une langue de sorciers ? Je feuillette les bouquins jusqu'à ce que je tombe sur un plus compréhensible. Sa couverture de cuir laisse place à une jolie pierre blanche, comme incrustée dans la pochette. Les détails sont plaisants, avec les petites arabesques finement ciselées. Ça me plait beaucoup, je l'emprunterais bien...
Mes oreilles se dressent lorsque des pas se font entendre. Oups. Sur la pointe des pieds, je me planque derrière le relief d'une bibliothèque ornées de sculptures importantes. L'odeur du bois séché assaille mes narines alors que j'aperçois Djinévix s'avancer dans le salon. Sa dégaine de poulet déplumé jure fortement avec la beauté des lieux. Elle fait quelques pas avant de s'arrêter sous un tableau aux dimensions importantes. Une danse macabre y est représentée, sans doute pour son plus grand plaisir.
— J'ai toujours apprécié ta décoration, Morgal.
Je tressaille à la brusque apparition de l'homme. Je ne l'avais pas vu se pointer, cet imbécile. De ma cachette, je discerne tout d'abord son long manteau de cuir noir où s'insèrent des plaques d'argent et des chainettes brillantes. Sa chevelure dorée et décoiffée laisse apparaitre deux oreilles pointues.
— Il y a intérêt à ce que tu m'ais appelé pour une bonne raison, Djinévix.
— C'est ton syndrome vampirique qui te rend si désagréable ?
— Tu veux que je te jette de mon île ?
Par le Créateur ? Il s'agit du propriétaire de l'île ?
— Lis ça au lieu de me menacer.
L'elfe se tourne pour attraper un parchemin tendu par la bigote. À ce moment je parviens à détailler son visage. Une hostilité permanente semble former ses traits. De longs sourcils arqués surmontent des yeux d'un bleu glacial. Sa bouche aux lèvres fines est tordue dans un rictus méprisant à l'égard de Djinévix. Malgré le caractère agressif qui transparait, je crois bien n'avoir jamais vu un homme aussi beau. C'est étrange à dire mais il y a comme une aura, un magnétisme ensorcelant qui se dégage. Ce n'est évidemment pas une beauté comme on l'entend mais plus de la séduction destructrice.
— Un conflit entre Réceptacles ? demande-t-il en dépliant le papier, Nahôm ne peut pas s'en occuper ?
— Apparemment non.
— Djinévix, je suis un prince, pas un mercenaire. J'ai assez de soucis à régler déjà.
— Ils vont s'inoculer, Morgal. Les charges valiques seront dispersées et des races peuvent perdre leur Vala intégral.
Je fronce les sourcils, comprenant fort peu leur conversation.
— Bien, je vais voir ce que je peux faire...
Le prince tourne les talons et disparait par la porte principale. L'écho de ses talonnettes ne tarde pas à disparaitre.
— Dis-donc Püpe, t'es gonflée !
Je m'extirpe de ma planque, les oreilles piteusement rabattues sur la nuque :
— J'ignorais que...
— Tu as de la chance que Morgal ait l'esprit ailleurs. Je préfère te cacher ton sort s'il t'avait trouvée !
— Désolée...
Elle soupire devant mon cas et reprend le chemin du corridor :
— Que viens-tu faire ici ? questionne-t-elle en m'enjoignant à la suivre.
— Je vous cherchais... Pour une histoire de compatibilité, vous voyez ?
— Avec le gnome du restaurant ? Non, aucun risque, j'avais déjà vérifié pour m'amuser.
Mes sourcils se froncent.
— Par les auras, explique-t-elle, je parviens à lire beaucoup de choses.
— Ah. Et c'est quoi des Réceptacles ?
Son regard aiguisé glisse sur moi comme si elle m'en voulait de poser cette question :
— Tu sais combien de races il existe dans la Dimension ?
— Non, pas vraiment...
— On n'en compterait presque une centaine. La plupart d'entre elles sont dotées de magie ; d'un Vala plus ou moins puissant.
— Nous, les gnomes, nous sommes sans pouvoirs.
— Parce que vous n'avez pas de Réceptacles pour garder le Vala de votre race. Il en faut minimum un ou deux pour qu'un peuple puisse utiliser librement sa magie.
— Mais, les Réceptacles, ils forment une race à part ?
— Oui et non. En fait il s'agit d'une seconde nature pour n'importe quelle créature.
— Et s'ils décident de s'entretuer, ça donne quoi ?
— Tu poses trop de questions, Püpe. Plus de Réceptacles, plus de magie.
Nous descendons alors l'escalier en colimaçon avec un silence pesant entre nous. Des interrogations s'entrechoquent dans ma tête. Si les races cessaient de jouir d'un Vala, nous serions bien plus à pied d'égalité, tous autant que nous sommes. Bien sûr, cela provoquerait une pagaille monstrueuse mais mon peuple pourrait peut-être sortir de l'esclavage.
Gardant cette idée dans le coin de ma tête, je quitte Djinévix à sa boutique et regagne d'un pas lent la Mer des Passions. Une fois les lourds battants de bois passés, je replonge brusquement dans mon cadre habituel et une réalité me saute aux yeux ou plutôt au nez. Je vais m'empresser de prendre un bon bain pour me décrasser. Je passe par ma chambre où j'attrape mes prochains vêtements et pose le bouquin que j'ai substitué chez le propriétaire de l'île. Djinévix n'a pas eu l'air de remarquer ce chapardage. Pas pris, pas volé.
Je le cache donc sous mon oreiller et descends mon échelle en vue de rejoindre les bains privés de la maison. C'est un espace chaleureux, uniquement réservé aux filles qui travaillent ici. Les clients n'y ont pas accès et utilisent plutôt les salles de bain à leur disposition.
Je sautille donc vers les vestiaires et me défais de mes habits de la soirée. Avec empressement, je gagne les bassins en essayant d'éviter l'attention des femmes déjà présentes. Sans le moindre bruit, je me glisse dans l'eau et commence à me savonner.
— Dis-donc, Püpe, j'espère que tu vas nous raconter tes aventures.
Je foudroie Pigelley du regard tout en disparaissant jusqu'aux yeux dans le bain. Elle ne pouvait pas se faire ramoner ailleurs, celle-là ? J'ai pas l'impression qu'elle travaille beaucoup, ces temps-ci. À cause de cette cruche, me voilà désormais entourée de cinq astres beaucoup trop curieuses qui m'assaillent de questions.
— Dès le premier soir, ça sort le couvert, glousse Djalah, tu as du succès, dis-moi.
Mes joues pâles rougissent alors que je me rappelle la proximité entre le gnome et moi.
— Tu as été à bonne école, en même temps, déclare une autre.
— J'ai gagné mon pari grâce à toi ! lance Djalah triomphante.
— Comment ça ?
Le comportement toujours débordant d'enthousiasme de l'astre ne m'enchante pas vraiment. Elles ont réellement parié si j'allais passer la nuit accompagnée ?
— Cinquante écus de rapportés, ce n'est pas rien ! Gisandre t'en veut toujours autant.
La Gisandre en question se pince les lèvres, dépitée de cette perte colossale :
— Elle avait peu de chance d'y arriver, tout de même, râle-t-elle.
— Non mais je rêve ! m'indigné-je.
— Tu ressembles à un porcelet engraissé, je n'y peux rien.
Mes oreilles se plaquent contre mon crâne ; je suis blessée par ses propos. Elle peut parler, elle avec ses traits du visage grossiers.
— Serait-ce de la jalousie, dans ta voix ? insinué-je.
Agacée, elle m'attrape fermement les joues entre ses doigts et crache :
— La vérité, c'est que l'autre gnome a été bien content de se trouver une pute gratuite à soulever. Tu viens de te faire souiller par quelqu'un qui t'oubliera dans les prochains jours si ce n'est pas déjà fait.
— Gisandre ! s'interpose Kliss, pourquoi tu lui dis ça ?
Je suis sidérée, à vrai dire, par tante de méchanceté. Cela me cloue le bec.
— Quoi ? On lui a jamais dit qu'elle ressemblait à un petit troll ? J'ai le droit de penser que personne ne voudrait d'elle. Même sa mère n'en voulait pas, vous vous souvenez ?
Choquée, je pousse mes interlocutrices et sors du bassin fumant. Le rire de la prostituée me fait l'effet d'une rappe sur la peau. Mais le pire est sans doute le silence des autres.
Elles sont cruelles. Je n'ai rien mérité pour récolter ces médisances.
Qu'elles me dénigrent à cause de mon physique, c'est une chose mais qu'elles remuent le couteau dans la plaie avec maman, ce n'était vraiment pas la peine.
Je me rhabille piteusement ; je n'ai plus la moindre envie de travailler aujourd'hui. Tant pis si Méléra me sanctionne, je vais me coucher.
Je gravis quelques escaliers avant d'atteindre notre logement. Je pousse la porte, trouvant la salle vide. J'aurais souhaité trouver ma mère et juste lui demander si elle tient autant à moi que moi je tiens à elle... Mais elle n'est pas là. Comme si son absence était une réponse à mon désarroi, je monte l'échelle et m'affale sur mon lit.
Mes yeux ne tardent pas à s'embuer. Je suis fatiguée de cette vie. Je voudrais aller sur le continent et échapper à cet endroit sordide. Mais que trouverai-je là-bas, à part l'esclavage ?
Après tout, ne suis-je pas dans une prison, ici ? Coupée du reste du monde, sur mon île... Je ne crois pas qu'un prince charmant viendra me sortir d'ici et m'emmener loin, loin dans un univers où la musique des opéras ne se tarit pas.
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