ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas retrouvées toutes les deux.
je t'ai éloigné autant que possible, j'voulais plus de toi et puis on m'a dit que
t'existais pas. mais j'ai attendu tu sais, j'ai attendu longtemps que quelqu'un vienne te soigner, me soigner moi. j'ai attendu que papa vienne me prendre dans ses bras en me disant que ça irait.
mais même les rêveurs ont besoin de somnifères, alors je t'ai assommé à coup de "fais pas de vagues" "n'en parle pas" "on t'oubliera"
j'aimerai m'excuser en fait, de t'avoir fait taire pendant un moment

ça tourne au ridicule et
j'ai peur des gens qui se lassent, des gens qui se laissent, du temps qui passe et encore un peu des gens qui partent
j'ai peur du noir et de la poussière sous mon lit
des chiens en colère et
de toi qui grognes quand il revient.
et putain, tu hurles beaucoup ces temps-ci

j'ai grandi
mais j'ai encore l'impression de me paumer dans mon propre corps
comme si t'étais encore beaucoup là, trop petite et trop nue à l'intérieur de moi

je sais pas si on guérira du bébé monstre
(il se donne en spectacle devant la petite toi
sautille et danse en riant devant tes petits yeux mouillés)
le pire dans tout ça
c'est qu'il a grandi très vite un jour de méchant lundi
c'était pas pareil que quand on était petite
parce que j'suis partie en courant avant que le monstre ne se déshabille cette fois-ci
(mais il a quand même accroché ses affreuses griffes à ton "futur corps trop grand(i) ")

c'est dur un petit peu
mais j'espère que tu couleras, atteindras le fond très fort pour que l'impact t'aide à déchirer la surface de l'eau noire, comme un ressort
tu cracheras tes paumons un peu morts, tu pleureras surtout
et crieras à Surcouf, de ta petite voix d'enfant sauvée
que ça y'est, ça y'est
j'suis née pour la deuxième fois
et putain
respirer c'est à pleurer de rire.

- sobrevivir (en attendant la fin de l'orage)