𝒞𝒽𝒶𝓅𝒾𝓉𝓇𝑒 𝟸𝟻
Gesture of Resistance - Kim Ji Soo
Starry Wind (In My Heart) - Humming ver. - Ryo Yoshimata, Ki Young Park
Träumerei (Main theme) - JKM1
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Le palais était silencieux, seulement troublé par le doux murmure du vent agitant les rideaux de soie. Taehyung se tenait devant le miroir, vêtu des somptueux habits de mariage que la cour royale lui avait imposés. Le tissu doré scintillait sous la lumière des lanternes, mais tout ce faste ne parvenait pas à apaiser l'agitation dans son cœur.
Il effleura le col brodé de son hanbok, les doigts tremblants.
Dans ce miroir, il ne reconnaissait plus l'homme qu'il voyait. Ses yeux, autrefois pétillants d'innocence, portaient désormais le poids d'une résignation amère. Ce jour devait être une célébration, un honneur suprême : épouser la fille du roi, devenir le futur roi consort, garantir la prospérité de sa lignée. Et pourtant, tout ce qu'il ressentait était un vide profond, un gouffre creusé par l'absence de celui qu'il aimait.
Mais aujourd'hui, ce passé semblait appartenir à une autre vie.
La réalité s'imposait, froide et implacable.
Pourtant, Ha-rin n'était pas une inconnue pour lui. Ils s'entendaient à merveille, partageant des conversations légères et une complicité amicale. Mais l'amitié ne suffisait pas à combler le vide laissé par l'absence de passion.
Lorsqu'elle entra dans la chambre pour la cérémonie, ses yeux, bien que remplis de douceur, trahissaient une certaine tristesse. Taehyung se demanda si elle aussi regrettait cet arrangement. Ils échangèrent un sourire poli, mais il n'y avait que des mots vides derrière ces sourires. Ha-rin avait toujours été perspicace, et il était presque certain qu'elle avait deviné l'importance de sa peine et de son désarroi. Pourtant, elle n'avait pas posé de question. Peut-être était-ce sa façon à elle de lui montrer du respect, de ne pas enfoncer le couteau dans la plaie.
Taehyung se doutait qu'elle aussi devait accepter le dur choix de la résilience, mais contrairement à lui, celui qu'elle aimait ne s'était pas volatilisé sans oublier de lui pestiféré d'horribles paroles inattendues.
Après que Jungkook soit parti, Taehyung fut si brisé qu'il lui fallut la journée entière avant de retrouver le chemin de sa maison. Il était si dévasté qu'il avait à peine remarqué que Yoongi, lui aussi, partageait une peine similaire à la sienne.
Évidemment, son père n'avait pas manqué de le punir pour avoir disparu si longtemps, mais étrangement, il s'était vite radouci, et sous les yeux insensibles de sa mère, et triste de sa sœur aînée, Taehyung avait accepté son sort.
Deux jours plus tard, alors qu'il avait refusé d'avaler quoi que ce soit et n'avait pas réussi à fermer l'œil sans se tordre de douleur, on était venu le chercher. Des gardes royaux, ainsi que le Roi lui-même s'étaient déplacés.
Sans aucun regret, Taehyung avait quitté sa maison, sa famille, et emportant pour seul et unique souvenir, son fidèle serviteur et ami.
Il fut accueilli comme s'il était déjà couronné, acclamé par la foule en délire dans les rues, mais pas une seule fois Taehyung ne réagit, se sentant déjà bien trop écrasé par le poids de ce cortège flamboyant.
Tout s'était enchaîné à une vitesse vertigineuse. Les préparatifs avaient éclipsé ses pensées, l'empêchant de s'attarder sur les souvenirs douloureux. Mais la nuit, quand tout devenait calme, les images de Jungkook revenaient hanter son esprit. Il revoyait son sourire joueur, ses yeux intenses, la douceur des moments volés dans les jardins de la demeure Jeon. Chaque rire, chaque murmure résonnait encore en lui comme une mélodie qu'il n'arrivait pas à oublier.
Le palais était devenu une cage dorée. En épousant la princesse Ha-rin, il n'épousait pas seulement une femme, il scellait son destin, enterrant à jamais tout espoir de retrouver ce qu'il avait perdu.
Le mariage se déroula dans toute la pompe attendue : les tambours résonnèrent, les courtisans se prosternèrent, les bénédictions furent prononcées. Taehyung joua son rôle à la perfection, un sourire figé sur les lèvres. Mais dans le tumulte des réjouissances, son cœur battait au ralenti. Tout lui paraissait irréel, comme s'il assistait à la scène en tant que spectateur. Une partie de lui espérait encore qu'à la dernière minute, tout s'effondrerait.
Lors de la cérémonie, ses yeux cherchèrent malgré lui le visage de son amant, poussé par un espoir vain de pouvoir s'enfuir à ses côtés. Oui, il avait de nombreuses fois prié que Jungkook revienne sur sa décision... A bout de force, et au moment où il prononça ses vœux, Taehyung espérait tout de même le voir, pour la dernière fois, avant de devoir enterrer son souvenir à jamais.
Mais rien ne vint.
La nuit tombée, seul dans ses appartements, Taehyung retira son hanbok avec précaution. Le silence pesant du palais lui rappela douloureusement à quel point il était désormais seul.
Même si Ha-rin occupait une chambre voisine, ils savaient tous les deux que ce mariage n'était qu'une façade, une alliance politique camouflée sous des parures éclatantes. Et derrière ce masque de mari idéal, il n'y avait qu'un homme brisé, accroché à des souvenirs d'un amour interdit.
Assis devant la fenêtre, il laissa son regard errer sur les jardins plongés dans l'obscurité. Là où autrefois il s'était caché avec Jungkook, où ils avaient ri, s'étaient chuchoté des secrets, il ne restait maintenant que des ombres et des regrets. Le souvenir de la voix de Jungkook, de ses aveux maladroits mais sincères, ne cessait de résonner en lui. Et à chaque fois, Taehyung ressentait cette même douleur lancinante, comme un coup de poignard à chaque battement de cœur.
Un mois s'était écoulé depuis la dernière fois qu'il avait vu Jungkook, et maintenant, Taehyung savait qu'il ne pourrait rien y changer.
Peut-être est-ce mieux ainsi, se dit-il en se forçant à respirer calmement.
Jungkook avait eu raison de le repousser, de le protéger d'une société qui n'aurait jamais accepté leur amour. Mais malgré la raison, le manque restait. Et cette douleur silencieuse, il savait qu'il devrait l'endurer seul, chaque jour, sans que personne ne s'en doute.
Alors qu'il fermait les yeux, une larme roula sur sa joue, invisible dans l'obscurité de la pièce.
Au fond de lui, une partie de son cœur continuait d'espérer, contre toute logique, que quelque chose changerait. Mais pour l'instant, il devait jouer son rôle. Car c'est ce que la société exigeait de lui. Et Taehyung, fils de noblesse, prince consort, n'avait jamais appris à désobéir.
*
Les jours passaient, se fondant les uns dans les autres dans une routine oppressante.
Le palais, avec ses couloirs interminables et ses innombrables règles, était devenu une prison dorée. Taehyung assumait ses nouvelles responsabilités avec une élégance froide, répondant aux attentes de la cour avec une maîtrise impeccable. À chaque réunion, à chaque banquet, il était le modèle de la grâce et de la retenue. Mais sous la surface, son cœur restait engourdi, comme recouvert d'une fine couche de givre.
Ha-rin, quant à elle, se montrait d'une bienveillance exemplaire.
Elle semblait comprendre sans qu'il n'ait besoin de dire un mot, et son silence était presque un réconfort. Lorsqu'ils étaient seuls, ils échangeaient des conversations polies, parfois même sincères, mais jamais profondes. Il lui en était reconnaissant. Elle n'essayait pas de forcer une intimité factice entre eux. Au lieu de cela, elle lui offrait une amitié tranquille, un soutien discret mais présent.
Une nuit, alors que le ciel était constellé d'étoiles, Ha-rin et Taehyung se retrouvèrent sur la terrasse surplombant les jardins. Le vent était doux, et le parfum des fleurs embaumait l'air. Ha-rin observait l'horizon avec un air songeur. Taehyung savait qu'elle avait beaucoup sacrifié elle aussi en acceptant ce mariage, mais elle ne se plaignait jamais. Ce soir-là, pourtant, elle finit par briser le silence.
– Taehyung, commença-t-elle doucement, je sais que tu n'as jamais souhaité cette vie. Pas plus que moi, d'ailleurs.
Il tourna légèrement la tête vers elle, surpris par la sincérité dans sa voix. Ha-rin ne souriait pas, ses traits étaient empreints de cette même mélancolie qu'il portait souvent en lui.
– Nous avons été piégés par nos familles, par nos titres, continua-t-elle en fixant les étoiles. Mais je voulais juste que tu saches que je n'attends rien de toi. Tu n'as pas à prétendre pour moi.
Taehyung sentit un poids se relâcher légèrement dans sa poitrine.
Depuis leur mariage, il s'était efforcé de maintenir une façade parfaite, d'être le mari modèle, même si cela ne faisait que creuser davantage la distance entre eux. Il s'en voulait, terriblement, car cette amie devenue sa femme ne méritait pas de porter les méandres de sa peine. Pour autant, à chaque fois que ses yeux se posaient sur elle, sur sa beauté indescriptible, il ne pouvait penser à autre chose qu'à Jungkook.
Viendrait un jour le temps où tous deux seraient forcés de consommer leur mariage, ils le savaient, mais n'avait jamais traité le sujet. Comme s'il s'agissait là d'un lourd secret capable de les faire imploser, ils se contentaient de faire bonne figure.
Cependant, Taehyung n'en démordait pas. Le simple fait de penser qu'il devrait partager son corps à une autre personne que l'être aimé, le dégoûtait. Néanmoins, il n'était maintenant plus libre de pouvoir se rendre malade et se cacher dans ses appartements.
– Je te remercie, Ha-rin, murmura-t-il. Je... je n'ai jamais voulu te causer de peine.
Elle secoua la tête avec un sourire triste.
– C'est moi qui devrais te dire cela. Je vois bien que tu souffres, Taehyung. Je ne sais pas ce qui t'a brisé ainsi, mais je respecte ton silence. Nous avons tous nos blessures.
Taehyung la regarda longuement. Il voulait lui dire la vérité, lui avouer ce qui pesait sur son cœur. Lui parler de Jungkook, de cet amour impossible qui ne cessait de le hanter. Mais les mots restèrent coincés dans sa gorge.
Comment pourrait-elle comprendre ? Comment expliquer un sentiment si profond, si brûlant, qui défiait toutes les conventions et brisait les codes d'une société rigide ?
Tout comme lui, Ha-rin vivait avec le cœur lourd.
Comment pouvait-elle avoir la force de fouler les couloirs du palais tout en croisant chaque jour celui qu'elle aimait, sans pouvoir lui adresser autre chose que des salutations distinguées ? Comment pouvait-elle réussir à l'ignorer ?
Taehyung, lui, n'avait pas pu choisir, mais s'il en avait eu l'occasion, il se demandait si avoir Jungkook à ses côtés sans pouvoir lui parler, le toucher, aurait été plus doux que de le savoir loin, parti à jamais.
Au fond, n'était-ce pas la pire des tortures que l'on pouvait affliger au cœur ?
Finalement, il choisit le silence.
Ha-rin posa délicatement sa main sur la sienne, un geste simple mais empli de compréhension.
– L'hiver vient, souffla cette dernière.
Lui qui avait toujours aimé les splendeurs que pouvaient offrir chaque saison, Taehyung se retrouvait maintenant anxieux à l'idée d'affronter les temps glaciaux. Le jour tomberait aussi vite que la lune prendrait ses droits sur le monde, le ciel deviendrait morose, les fleurs finiraient par se fâner... Tout comme son cœur, à cet instant.
– Ne t'en fais pas, glissa la Princesse pleine de tendresse, au moins, nous serons ensemble. Que ce soit envers le froid, ou bien la peine. Nous nous soutiendrons, pour en sortir plus fort.
Dans cet instant partagé, ils acceptèrent tacitement qu'ils étaient tous deux des victimes d'un destin qu'ils n'avaient pas choisi. Ils étaient des alliés dans leur solitude.
Le lendemain matin, Taehyung reprit son rôle sans faillir. Les mois passaient et les obligations s'accumulaient. Chaque sourire qu'il offrait en public était parfaitement étudié, chaque parole pesée. Il se transformait peu à peu en l'image parfaite du prince consort, effaçant derrière lui l'homme qu'il avait été. Mais la nuit, lorsqu'il était enfin seul, les souvenirs revenaient comme une marée inéluctable.
Parfois, il sortait en silence dans les jardins, où l'air frais lui rappelait les nuits passées à se confier à Jungkook. Il fermait les yeux et laissait les échos de cette époque révolue l'envahir. Dans ces moments-là, il réalisait à quel point son amour pour Jungkook restait vif, inextinguible. Pourtant, il savait aussi qu'il ne pouvait pas se permettre de nourrir ces espoirs. Le mariage avait scellé son destin, et il devait apprendre à vivre avec cette blessure.
Un jour, alors qu'il était dans la bibliothèque royale, Taehyung trouva une vieille lettre cachée entre les pages d'un livre de poésie. La calligraphie était soignée, élégante, mais il n'avait aucune idée de qui l'avait écrite. Cependant, les mots résonnaient étrangement avec son propre état d'esprit :
Le vent souffle sur des cœurs épris,
Mais l'amour se fane sous les poids des attentes.
Nul serment ne brise les chaînes invisibles,
Et pourtant, l'âme continue de chercher ce qu'elle ne peut avoir.
Ces vers frappèrent Taehyung en plein cœur.
Il replia soigneusement la lettre et la glissa dans sa manche, comme s'il voulait conserver une trace de ce message qui semblait si proche de sa propre douleur. Depuis ce jour, il revint souvent à la bibliothèque, cherchant dans les vieux poèmes une forme de réconfort ou de compréhension, quelque chose qui pourrait apaiser l'orage en lui. Mais aucune parole, aucun écrit, ne parvenait à effacer la blessure profonde qui lui rappelait sans cesse ce qu'il avait perdu.
La princesse Ha-rin respectait toujours leur distance, et ensemble, ils jouaient parfaitement leur rôle devant la cour. À mesure que les saisons passaient, leur complicité silencieuse se renforça. Ha-rin était devenue une alliée précieuse, la seule personne en qui Taehyung pouvait se confier sans craindre de jugements ou de reproches. Pourtant, même avec son amitié, la solitude restait son plus fidèle compagnon.
Et chaque nuit, en fermant les yeux, Taehyung se demandait où était Jungkook, ce qu'il faisait, et s'il pensait encore à lui. Mais il savait que ces questions resteraient à jamais sans réponse.
*
Le printemps s'annonçait avec ses premières fleurs, mais pour Taehyung, chaque jour ressemblait au précédent.
Les obligations à la cour s'étaient multipliées. Il devait accompagner le roi lors de cérémonies importantes, représenter la famille royale auprès de diverses délégations, et superviser certains projets au nom de la princesse Ha-rin. Tout cela l'occupait suffisamment pour ne pas sombrer, mais au fond de lui, une tristesse lancinante le rongeait à chaque instant.
Ha-rin était d'une patience infinie. Elle avait, d'une manière ou d'une autre, réussi à se rendre indispensable sans jamais imposer sa présence. Parfois, ils partageaient un thé en silence, la chaleur réconfortante de la boisson contrastant avec la froideur de leurs regards. Mais ces moments tranquilles étaient toujours teintés d'une amertume silencieuse. Taehyung se demandait souvent comment elle supportait tout cela, elle aussi.
Un soir, alors que le palais s'apprêtait à recevoir un émissaire étranger, Taehyung se retrouva confronté à une nouvelle qui le laissa sans voix. En plein milieu de la réunion, un conseiller murmura discrètement à l'oreille du roi. Le regard de ce dernier s'assombrit, et après quelques échanges à voix basse, il tourna son attention vers Taehyung.
– Il semble que l'un de nos généraux les plus prometteurs a récemment été promu pour ses exploits sur le champ de bataille, dit le roi en ajustant son ton, comme s'il cherchait à évaluer la réaction de son gendre.
Taehyung hocha la tête par politesse, mais son esprit s'emballa lorsqu'il entendit le nom qui suivit.
– Jeon Jungkook, annonça le roi. Un jeune homme remarquable, sans surprise. Certains le considèrent déjà comme le prochain héros du royaume.
Ces mots frappèrent Taehyung comme une gifle.
Il sentit son cœur se contracter et l'air lui manquer, mais il ne laissa rien transparaître.
– Sans nul doute, votre Majesté.
Il maintint une expression neutre, comme si ce nom ne signifiait rien pour lui. Pourtant, à l'intérieur, une tempête se levait.
La réunion continua, mais Taehyung n'entendait plus rien.
Le nom de Jungkook résonnait dans sa tête, le ramenant à ces jours où tout semblait possible, à ces moments où il croyait encore pouvoir défier le monde pour rester à ses côtés. La réalité venait de lui rappeler brutalement que, malgré la distance, malgré le temps écoulé, Jungkook restait gravé en lui.
Lorsqu'il quitta la salle, ses pas le menèrent machinalement vers les jardins, là où il avait toujours cherché refuge pour apaiser son esprit. Mais cette fois, même la fraîcheur de l'air et le bruissement des feuilles ne parvenaient pas à le calmer. Il s'arrêta près du vieux cerisier en fleurs, où il avait pris l'habitude de se recueillir. La beauté des pétales contrastait avec l'agitation qui l'habitait.
Pris de panique, il s'effondra contre l'arbre, cherchant à reprendre son souffle alors que cette douleur intense entravait sa poitrine.
Ainsi, Jungkook ne l'avait pas seulement quitté, il avait décidé de fuir, seul. Et bien qu'il n'avait pas troqué leur amour pour une nouvelle vie dans le pays voisin, Taehyung ne put retenir ses larmes, traduisant son amère colère.
Alors que lui avait accepté, bon gré, mal gré, les barreaux de sa propre prison, Jungkook errait quelque part, affrontant certainement la mort à chaque seconde qui s'écoulait.
Il se demanda alors à quoi ressemblait Jungkook, désormais.
Avait-il changé ? Était-il devenu cet homme redoutable dont parlaient les rumeurs ? Était-il heureux dans sa nouvelle vie, loin des chaînes de leur passé commun ? Ou bien portait-il encore en lui les stigmates de leur amour interdit, comme une cicatrice jamais complètement refermée ?
Ha-rin le rejoignit peu après, se tenant à une distance respectueuse, comme elle le faisait toujours. Elle le regarda avec cette perspicacité tranquille qu'il lui reconnaissait, et lorsqu'elle brisa le silence, ce fut avec une douceur inébranlable.
– Je suppose que tu as entendu la nouvelle...
Taehyung ne répondit pas immédiatement, préférant fixer les fleurs qui tombaient lentement au sol, emportées par une brise légère. Quand il se décida enfin à parler, sa voix était à peine plus forte qu'un murmure.
– Oui... Jeon Jungkook.
Sa femme ne posa aucune question supplémentaire, comprenant que ce nom portait un poids bien trop lourd pour être discuté à la légère. Elle s'approcha juste assez pour être à ses côtés, sans toutefois envahir son espace. Pendant un moment, ils restèrent là, silencieux, partageant une complicité tacite faite d'ombres et de secrets inavoués.
– C'est étrange, murmura Taehyung. Le temps passe, les saisons changent, mais certaines choses restent figées. J'ai pensé que, peut-être, un jour, je pourrais l'oublier...
Il laissa sa phrase en suspens, incapable de terminer. Comment pourrait-il exprimer l'indicible ? Ce poids constant dans sa poitrine, cette douleur sourde qui s'éveillait à chaque pensée, chaque souvenir de Jungkook. Ha-rin comprit tout de suite. Elle lui lança un regard empli de tendresse.
– Les blessures du cœur sont les plus difficiles à guérir, dit-elle doucement. Mais parfois, elles finissent par s'estomper, même si c'est lent et douloureux.
Taehyung esquissa un sourire triste.
– Peut-être. Mais je crains que celle-ci ne me quitte jamais vraiment.
Ils restèrent là encore un moment, laissant le silence répondre à leurs pensées. Au bout d'un moment, Ha-rin posa délicatement sa main sur le bras de Taehyung, un geste purement amical, mais empli de compassion.
– Si un jour tu as besoin de parler, je serais là. Pas en tant que ta femme, mais en tant qu'amie, dit-elle avant de s'éloigner pour le laisser seul avec ses réflexions.
Taehyung la regarda partir, reconnaissant pour cette sincérité rare qu'ils partageaient. Il savait qu'il aurait dû trouver un moyen de tourner la page, d'accepter son destin et de vivre pleinement cette vie qui lui était imposée. Mais dès lors qu'il fermait les yeux, c'était le visage de Jungkook qui revenait, inévitablement.
Et maintenant qu'il savait que Jungkook s'élevait au rang des héros du royaume, une partie de lui se sentait encore plus prisonnière. Jungkook était plus proche de lui, et à la fois, plus inaccessible que jamais. Cette dualité le torturait.
Alors qu'il retournait lentement à ses appartements, Taehyung se surprit à murmurer une prière silencieuse. Pas pour lui, mais pour Jungkook. Pour qu'il soit en sécurité, pour que, malgré tout, il trouve la paix et la force de continuer. Même si cela signifiait qu'ils ne se reverraient jamais.
Car dans cette vie, il était évident que leur amour n'était pas destiné à fleurir.
*
Les deux années qui suivirent le mariage de Taehyung avec la princesse Ha-rin furent marquées par des épreuves, mais aussi par une transformation intérieure. Taehyung, autrefois empli d'idéaux et de rêves d'amour, avait peu à peu laissé ces illusions derrière lui.
Il s'était endurci, façonné par les exigences de son rôle et par la responsabilité grandissante qui pesait sur ses épaules. Le jeune noble, autrefois doux et peut-être un peu naïf, était désormais un homme mûri par les épreuves, fermement résolu à faire honneur à sa position de prince consort et à son devoir envers le royaume.
Des rumeurs sur les exploits de Jungkook lui étaient parvenues de temps à autre, par des bribes d'informations échangées entre serviteurs ou des conversations rapportées au palais. On parlait de ses prouesses au combat, de son ascension fulgurante dans les rangs militaires, et de la réputation qu'il s'était forgée en tant que guerrier redouté et respecté. On louait sa bravoure, sa détermination, mais aussi son caractère devenu froid et exigeant, comme si l'homme joyeux qu'il avait été avait disparu sous le poids des batailles et des sacrifices.
Ce qui blessa Taehyung plus que tout fut d'apprendre que Jungkook recevait régulièrement la visite d'un vieil ami, que les descriptions laissaient deviner être Jimin. La pensée que Jimin, celui qui avait été à l'origine du cruel jeu de séduction, continuait à faire partie de la vie de son ancien amant plongea Taehyung dans un abîme de tristesse. Se sentir exclu de cette relation alors même qu'il avait été celui qui avait le plus souffert du départ de Jungkook raviva sa douleur.
Cependant, plutôt que de se laisser consumer par la peine, Taehyung décida de tourner la page.
Il comprit que son amour pour Jungkook, aussi profond soit-il, ne pouvait plus être une priorité. Le royaume attendait de lui qu'il soit un prince consort digne de ce nom, et bientôt, il serait appelé à gouverner en tant que roi. Fort de cette prise de conscience, Taehyung se plongea dans ses devoirs avec une détermination renouvelée, acceptant que son destin n'était plus lié à celui de son amant.
Ce choix de se détacher de ses sentiments le rendit plus résolu, plus ferme. Il se rapprocha du roi, qui commença à le traiter non plus comme un simple gendre, mais comme un futur souverain.
Le roi, vieillissant et affaibli par la maladie, voyait en Taehyung un digne successeur. Il lui confia des responsabilités de plus en plus importantes, l'initiant à l'art de la gouvernance et aux subtilités des relations diplomatiques. Taehyung, autrefois plus discret et effacé, devint un homme plus déterminé, attentif à chaque conseil, à chaque leçon. Avec le temps, il gagna la confiance des ministres et des conseillers, qui voyaient en lui un dirigeant prometteur.
À mesure que le roi vieillissait, la maladie le gagnait, et les signes de fatigue se faisaient de plus en plus évidents. Taehyung s'était rapproché de lui, non seulement par obligation mais aussi par un profond désir de comprendre ce que signifiait réellement gouverner. Il écoutait attentivement les conseils du roi, mémorisait chaque stratégie, chaque leçon de sagesse, trouvant en lui, un père aimant, tout en étant conscient que le temps lui était compté,
Un après-midi, alors que Taehyung assistait le roi dans ses devoirs quotidiens, ce dernier posa sur lui un regard plein de gravité. Le roi, dont la voix était plus rauque que jamais, l'observa longuement avant de rompre le silence.
– Taehyung, mon enfant, il est temps que tu saches... Je ne suis plus l'homme que j'étais. Mon règne touche à sa fin, et il me reste peu de temps. Le royaume a besoin d'un dirigeant fort, capable de maintenir la paix et la stabilité. Je vois en toi celui qui pourra accomplir cela. Bientôt, ce trône sera le tien.
Ces paroles, bien qu'attendues, résonnèrent comme un coup de tonnerre dans l'esprit de Taehyung. Il sentit à la fois le poids immense de cette responsabilité et une étrange sérénité s'installer en lui. Il n'était plus le garçon tourmenté par ses sentiments. Il était devenu un homme prêt à se sacrifier pour le bien du royaume, même si cela signifiait enterrer à jamais ses désirs les plus profonds.
Entre-temps, un autre drame, plus discret mais tout aussi douloureux, se jouait en coulisses.
Yoongi se tenait à l'écart depuis le mariage. Il évitait toute interaction avec la princesse Ha-rin, rongé par un mélange de jalousie, de culpabilité et de tristesse. Il avait aimé Ha-rin en secret, un amour partagé mais rendu impossible par les contraintes de leur condition. Depuis l'union de Taehyung et de la princesse, Yoongi se sentait comme un étranger, incapable d'approcher celle qu'il aimait.
C'était une nuit calme, et alors que le palais était enveloppé par le calme nocturne, la lune pleine éclairait doucement les jardins. Yoongi avait veillé tard, hésitant à se retirer pour la nuit, lorsqu'il aperçut la silhouette de la princesse au loin. Elle se tenait près d'un étang, perdue dans ses pensées, sa chevelure soyeuse tombant en cascade sur ses épaules, absorbée par ses pensées, observant les reflets tremblants de la lune sur l'eau.
Yoongi savait qu'il ne devait pas l'approcher, mais son cœur, lourd de tant d'émotions retenues, finit par imploser. Pris d'un courage qu'il n'avait plus ressenti depuis longtemps, il s'avança lentement vers elle. En entendant des pas, Ha-rin tourna la tête et croisa son regard.
– Yoongi... ? murmura-t-elle, surprise par cette apparition. Il y avait une tendresse familière dans sa voix, mais aussi une pointe de tristesse.
Yoongi s'inclina respectueusement la tête avant de répondre.
– Votre Altesse, je ne devrais pas être ici... Vous savez aussi bien que moi que notre présence ensemble est une imprudence.
Ha-rin secoua légèrement la tête, un rire amer échappant de ses lèvres.
– Depuis quand avons-nous le luxe de respecter ce que la société attend de nous ?
Ces mots, si honnêtes, transpercèrent Yoongi. Ses mains tremblaient alors qu'il tentait de contenir l'émotion qui l'envahissait.
– Votre Altesse,vous ne devriez pas dire ces choses. Vous êtes la future reine, l'épouse de mon maître, de l'homme pour qui je donnerais ma vie sans hésitation.
La princesse soupira profondément et s'approcha de lui, effaçant la distance entre eux.
– Taehyung est plus qu'un époux pour moi. Il est un ami précieux, un allié, mais il n'est pas celui qui détient mon cœur. Lui-même le sait, tout comme je sais qu'il en aime un autre. Nous ne sommes ensemble que par devoir, par le poids du destin qui nous a été imposé.
– Princesse... Cela fait bien trop longtemps. Je ne pouvais plus vous voir ainsi, sans rien dire... J'ai honte de vous avoir évitée tout ce temps. Veuillez accepter mon pardon.
Ha-rin sentit son cœur se serrer, car à vrai dire, elle aussi n'avait pas agit de gaîté de cœur. Peut-être était-ce parce que tout cela était trop dur à supporter, alors, elle avait préféré agir comme si rien de tout cela n'était arrivé entre eux.
Bien qu'ils n'aient pu partager autant de choses qu'ils auraient voulu, un amour sincère s'était ancré dans leur cœur, les liant malencontreusement dans la peine.
– Vous aviez vos raisons. Cette situation est loin d'être simple pour vous, je le sais bien. Mais croyez-moi, j'ai souffert tout autant. Vous me manquiez... plus que vous ne pouvez l'imaginer.
Yoongi, ému, lutta pour maintenir son calme. Bien qu'il pouvait la voir chaque jour, toujours un peu plus belle, cela avait été un vrai supplice. Il avait de nombreuses fois rêvé pouvoir l'approcher, entendre son rire, revoir son sourire, qui rendait le ciel et les rayons du soleil plus beau encore.
– Je n'ai pas été digne de votre confiance, et je m'en veux de ne pas avoir su être présent, même pour le prince.
La princesse avança d'un pas, brisant la distance entre eux.
– Ne vous en voulez pas ainsi. Taehyung comprend vos sentiments. Il sait que vous êtes un homme de cœur. Je suis certaine qu'il voudrait que vous sachiez qu'il ne vous en tient aucune rigueur.
– Pourtant, ce devoir... C'est tout ce qui me rappelle que je ne suis qu'un serviteur. Je n'ai pas le droit d'aspirer à plus que ce que l'on m'accorde. J'ai failli à être l'ami que mon jeune maître mérite, et je me tiens devant vous comme un homme déchiré, incapable de réconforter ni mon maître, ni la femme que j'aime.
Le silence retomba entre eux, seulement troublé par le bruissement des feuilles dans la brise légère. Finalement, Ha-rin reprit la parole, sa voix tremblante d'émotion.
– Si Taehyung n'a jamais douté de toi, pourquoi le devrais-tu ? Si seulement tu savais combien de fois j'ai souhaité pouvoir t'avoir à mes côtés, ne serait-ce que pour échanger un mot, un sourire. Mais chaque fois que je te voyais t'éloigner, j'ai compris que toi aussi tu souffrais.
Yoongi releva enfin les yeux, le regard voilé par l'émotion.
– J'ai fui... Parce que je ne savais pas comment affronter la réalité. Voir mon maître s'effondrer sous le poids de ce mariage, sans pouvoir lui offrir le moindre soutien... Puis vous voir, vous, enchaînée à cette vie, m'a brisé. J'aurais dû être plus fort, plus présent. Mais au lieu de cela, j'ai fui comme un lâche.
La princesse secoua la tête, refusant qu'il se blâme ainsi.
– Tu as toujours été là, même dans ton silence. Ta présence, bien que lointaine, m'a donné la force de tenir. Yoongi... Mes sentiments sont là. Je n'ai jamais cessé de t'aimer, même en sachant que c'était impossible.
Elle marqua une pause, sa voix se brisant légèrement.
– Ce n'est pas seulement toi qui es tourmenté par notre différence de rangs. Moi aussi, je suis tiraillée entre mes devoirs et mes désirs. Mais à quoi bon être une princesse si je ne peux pas écouter mon cœur, ne serait-ce qu'un instant ?
Les mots de la princesse résonnaient avec une telle sincérité que Yoongi sentit ses barrières se fissurer. Cependant, la réalité ne pouvait être ignorée. Elle était bien là, flottait tout autour, comme le rappelait si bien les murs du palais.
– Nous ne pouvons changer nos destinées, Votre Altesse. Même si mon cœur vous appartient, il restera à jamais dans l'ombre, car je ne suis rien d'autre qu'un serviteur.
– Peut-être que dans l'ombre, nous pourrions trouver un peu de lumière, dit-elle en serrant doucement sa main dans la sienne. Je ne te demande pas de braver les lois du royaume ou de trahir Taehyung. Je te demande seulement de rester près de moi, de ne plus t'éloigner.
Submergé par l'émotion, le serviteur ne put que murmurer en retour.
– Je ne souhaite rien d'autre que de vous revoir heureuse. Mais la situation dans laquelle nous nous trouvons est cruelle... Je ne sais pas comment concilier mes sentiments avec ce que je dois à mon maître.
Ha-rin hocha lentement la tête, comprenant son dilemme, qui quelque part, était aussi le sien.
– Je ne veux pas te forcer à rester dans une situation qui te fait souffrir. Mais sache que, quoi qu'il arrive, mon cœur continuera à t'attendre, même dans cette cage dorée.
Il n'y avait plus rien à dire. Yoongi s'inclina profondément devant elle, retenant les larmes qui ne demandait qu'à rouler sur ses joues.
– Pour vous, je resterai. En tant qu'homme qui vous chérira en silence, aussi longtemps que vous le permettrez.
Ha-rin le regarda partir, le cœur alourdi par la tendresse et la tristesse mêlées. Le poids de leur amour interdit et le dévouement indéfectible de Yoongi ne faisaient qu'accentuer la tragédie de leur situation. Malgré tout, ils savaient que dans ce monde régi par les devoirs et les rangs, ils devraient trouver une façon d'exister l'un pour l'autre, même si cela devait se faire dans l'ombre.
Quelques jours plus tard, la nuit était déjà bien avancée lorsque Yoongi reçut l'ordre de se rendre dans les appartements privés de Taehyung. Ce dernier avait pris l'habitude de recevoir peu de monde en dehors des heures officielles, préférant le calme pour se concentrer sur ses responsabilités.
Yoongi, en entendant cette convocation, ressentit un léger pincement au cœur. Cela faisait des années qu'il n'avait pas eu un moment aussi intime avec Taehyung. Depuis que ce dernier était devenu le prince consort, leur relation, autrefois marquée par une amitié sincère, s'était transformée en un lien plus distant, empreint de formalité. Yoongi, par son propre choix, s'était écarté, rongé par des sentiments contradictoires, incapable de rester proche de lui tout en nourrissant un amour interdit pour la princesse.
Alors qu'il se dirigeait vers les quartiers du prince, Yoongi ne pouvait s'empêcher de craindre que cette rencontre soit l'occasion pour Taehyung de lui reprocher son éloignement. Malgré la distance qu'il avait mise entre eux, Taehyung avait toujours été capable de lire en lui avec une acuité troublante. Serait-ce une confrontation sur le manque de soutien qu'il avait manifesté alors que Taehyung avait traversé des moments difficiles ? Cette pensée alourdissait ses pas.
En arrivant devant la porte, Yoongi inspira profondément avant d'entrer. Les gardes se retirèrent en silence pour le laisser passer, et il trouva Taehyung, assis près de la fenêtre ouverte, les yeux rivés sur le ciel nocturne. Le prince consort était devenu un homme au charisme indéniable. La douceur juvénile de son visage s'était durcie, laissant place à une assurance naturelle. Pourtant, derrière cette prestance imposante, Yoongi pouvait encore distinguer la chaleur de l'ami qu'il avait toujours connu.
– Approche, mon ami, invita Taehyung d'une voix posée, marquée par une sérénité nouvelle.
Yoongi s'avança alors, porté par une légère hésitation, et s'inclina respectueusement avant de se redresser.
– Vous m'avez fait demander, Votre Altesse.
Taehyung se leva, quittant le rebord de la fenêtre pour se rapprocher. Au lieu de s'adresser à lui avec la froideur ou la distance que Yoongi redoutait, Taehyung posa une main amicale sur son épaule.
– Pourquoi tant de formalités entre nous, Yoongi ? Avons-nous vraiment changé à ce point que tu ne puisses plus m'appeler par mon nom, comme autrefois ? Il m'a déjà fallu des années avant que tu ne puisses le prononcer, dit-il en souriant.
Les mots et le comportement de Taehyung réchauffèrent un peu le cœur de Yoongi, mais ne dissipèrent pas complètement sa gêne.
– Cela fait longtemps que nous n'avons pas eu l'occasion de parler ainsi. Je craignais que... peut-être... Vous soyez déçu par mon absence ces dernières années.
Taehyung haussa un sourcil, un sourire indulgent effleurant ses lèvres.
– Déçu ? Tu penses vraiment que je t'ai convoqué pour te blâmer après tout ce temps ? Non, Yoongi, je comprends mieux que quiconque pourquoi tu as préféré t'éloigner. Nous avons tous deux vécu des situations difficiles, et chacun a cherché à les affronter à sa manière. Je ne t'en veux pas. Je ne le pourrais jamais.
Ces paroles, empreintes de maturité et de compréhension, firent battre le cœur de Yoongi, empli de fierté. Il ne reconnaissait plus en Taehyung le jeune homme innocent et fragile qu'il avait autrefois protégé. Ce dernier avait grandi, mûri, et se dressait maintenant en tant que futur roi, capable de voir au-delà des apparences et des faux-semblants. Il paraissait même apaisé, ne bégayait plus et laissait une aura rayonnante s'échapper de tout son être.
Bon sang, ce qu'il avait grandi.
Taehyung le guida vers une table basse où il avait fait disposer du thé. Les deux hommes s'installèrent face à face, une proximité presque oubliée se recréant lentement entre eux. Pendant un moment, aucun mot ne fut échangé. Le silence, loin d'être pesant, permettait à chacun de s'imprégner de la présence de l'autre.
Finalement, Taehyung brisa ce calme apaisant en prenant une profonde inspiration.
– Nous avons beaucoup à rattraper, sans nul doute, mais il y a une chose que je souhaite aborder. Elle concerne Ha-rin... Et toi aussi.
Yoongi se raidit légèrement, sachant pertinemment où cette conversation se dirigeait. Mais au lieu de se lancer dans des justifications maladroites, il préféra attendre que son ami exprime ce qu'il avait en tête.
– J'ai peut-être longtemps été naïf, mais je ne suis pas aveugle, poursuivit Taehyung, le regard planté dans celui de Yoongi. J'ai vu les regards que vous vous échangez. J'ai aussi vu comment tu as pris soin de t'éloigner d'elle, par respect pour moi, et sans doute par culpabilité. Mais tu n'as pas à porter ce fardeau seul. Je sais que vous vous aimez. Et je sais aussi que notre mariage n'a jamais été fondé sur des sentiments romantiques, mais sur un devoir.
Yoongi sentit sa gorge se nouer.
La transparence de Taehyung, loin de le soulager, le confrontait à nouveau à l'amère réalité : il n'était qu'un serviteur, tandis que la princesse était la femme de son maître.
– Je... Je ne sais pas quoi dire. Ce n'est pas ma place de nourrir de tels sentiments pour elle. Et pourtant... Je suis incapable de les réprimer. Mais je ne veux pas trahir la confiance que vous avez placée en moi. Notre... Amitié, dit-il tout en regardant Taehyung qui acquiesça comme pour l'encourager, est tout ce qui m'est de plus cher.
Taehyung secoua la tête, un sourire triste aux lèvres.
– Il n'est pas question de trahison. Toi et moi avons traversé tant de choses ensemble. Je n'oublierai jamais tout ce que tu as fait pour moi. Et je te fais suffisamment confiance pour te confier quelque chose d'important.
Il marqua une pause, jaugeant la réaction de Yoongi avant de poursuivre.
Il avait longtemps réfléchi à ce qui pourrait être le meilleur des scénarios. Aujourd'hui, Taehyung savait ce qu'il avait à faire, et ce qui lui permettait aussi, d'oublier la raison pour laquelle son cœur s'était endurci, voire détaché, avec les années.
Il ne pourrait jamais obtenir ce dont il rêvait, mais il avait fini par accepter de ne vivre qu'avec des souvenirs.
Au moins, il avait eu la chance d'aimer et d'être aimé en retour.
Néanmoins, il ne pouvait ignorer que les deux personnes qu'ils chérissaient le plus à ce jour avaient encore une chance de pouvoir nourrir cet amour.
– Le royaume a besoin d'un héritier. Je ne peux pas offrir cet héritier, ni à Ha-rin, ni au royaume, pour des raisons que tu connais sûrement.
Le regard de Taehyung se fit plus intense, plus grave.
– Je te demande de prendre cette responsabilité à ma place.
Yoongi, frappé par la demande inattendue, resta figé.
– Vous... Vous me demandez de... ?
– Oui, répondit calmement Taehyung. Je sais que c'est une décision qui te semble impossible à accepter. Mais il y a peu de personnes en qui j'ai une confiance absolue, et tu es l'une d'elles. Personne ne saura jamais la vérité. Vous pourrez être ensemble, vous offrir un peu de ce bonheur que nous sommes tous deux contraints de sacrifier à cause de nos rôles et nos positions. En échange, je veillerai à ce que tu puisses rester proche d'elle, même si cela doit rester secret. Cet enfant, je le considérerai comme le mien et il portera mon nom.
Yoongi eut un mouvement de recul, troublé par l'ampleur de la demande.
–Votre Altesse... balbutia-t-il, à la fois bouleversé et confus. Ce que vous me demandez... c'est...
– Je le sais, l'interrompit Taehyung avec un sourire. C'est une décision lourde de conséquences, mais elle nous permettrait, à chacun d'entre nous, de trouver une forme de paix. Tu serais auprès de la femme que tu aimes, et Ha-rin pourrait enfin connaître une véritable affection. Cet enfant sera élevé comme l'héritier légitime. J'en fais la promesse.
Yoongi sentit son cœur se serrer. Il voyait bien que cette proposition était teintée d'une profonde mélancolie chez Taehyung, mais également d'une sincérité désarmante. Le jeune noble avait trouvé un équilibre dans cette tragédie personnelle, prêt à sacrifier son propre bonheur pour le bien des autres.
Yoongi baissa la tête, ému et déchiré à la fois.
– Vous... Vous êtes prêt à supporter ce poids pour nous, alors que c'est vous qui avez tout sacrifié depuis le début ? Je ne sais pas si je mérite autant de votre générosité.
Taehyung posa une main sur celle de Yoongi, un geste emprunt de fraternité. Puisque voilà ce que Yoongi représentait pour lui, le grand frère qu'il n'avait jamais eu. Sa famille, lorsqu'il en avait eu le plus besoin. Et bien que Sae-Hee était toujours présente, et lui permettait de trouver la vie un peu plus douce, Yoongi était celui qui avait tout traversé à ses côtés. Il l'avait accompagné, soutenu, éduqué d'une certaine façon, avait essuyé ses larmes et donné son épaule pour qu'il puisse s'y reposer. Il avait tant de fois accepté ses punitions à sa place, afin de le préserver.
– Ce n'est pas une question de générosité. C'est un choix que je fais en connaissance de cause, pour le bien de chacun d'entre nous. Nous avons tous été piégés par nos devoirs, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas trouver des moyens d'être heureux, même si c'est dans l'ombre.
Yoongi sentit les larmes monter, mais il les refoula avec dignité, son esprit oscillant entre incrédulité et choc.
Taehyung reprit, la voix plus basse.
– Je sais que c'est loin d'être la solution idéale, mais parfois, la vie nous force à accepter ce qui est nécessaire plutôt que ce qui est juste.
Après un long silence, Yoongi finit par acquiescer, la gorge serrée.
– Si c'est ce que vous souhaitez, alors je ferai ce que vous me demandez. Je servirai ce royaume de la manière dont vous me l'ordonnez.
Le sourire de Taehyung s'adoucit.
– Merci, Yoongi. Je savais que je pouvais compter sur toi, comme toujours. Nous trouverons une manière de rendre cette situation supportable, pour vous deux, et pour le royaume.
Les deux hommes partagèrent un moment de silence, rempli à la fois de respect mutuel et de la nostalgie d'une amitié ancienne, avant que Taehyung ne termine doucement.
– Rien n'est facile dans ce monde, mais je crois encore que nous pouvons trouver des chemins vers un bonheur, aussi modeste soit-il.
Ainsi, un accord secret fut conclu.
Yoongi deviendrait l'amant caché de la princesse, assurant l'héritage du royaume, tandis que Taehyung continuerait à jouer le rôle de prince consort et futur roi avec une dignité inébranlable.
Taehyung finit par le congédié, comprenant que son ami avait désormais besoin de solitude. Ainsi, seul dans sa chambre, il s'approcha de la fenêtre pour se laisser emporter par la mélodie pluvieuse qui berçait le palais.
Cet arrangement, bien que teinté de tristesse, représentait la maturité et le sens du devoir qu'il avait acquis, prêt à tout pour protéger ceux qu'il aimait, même si cela devait se faire dans l'ombre.
Dans ce silence, qui traduisait la paix nouvelle que Taehyung appréciait, teinté de nostalgie, il se rappela les promesses qu'il avait partagé avec son ancien amant.
Il n'avait pas menti, et aujourd'hui encore, il se souvenait de lui. A chaque lune, à chaque pluie. Il avait peut-être modelé son cœur et ses désirs, mais jamais il ne trahirait une promesse faite avec le cœur.
En mémoire à tout ce qu'il avait chéri, et le seul être qu'il n'ai jamais aimé.
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