VIII. Aube (Partie 1/2)
-Bonjour Mr. Marcelin.
De violents éclats de flash explosaient un à un sur les yeux fatigués du jeune adolescent. Assis près d'un bureau, il posait son regard sur le journaliste, en face de lui. Cette fois, cette troisième interview se déroulait dans une salle du lycée spécialement réaménagée pour l'occasion, et la proviseure, Mme Ariette Castell, y participait également. Assise aux cotés de Mr.Olivier, elle contemplait cette scène si particulière dans son établissement, et plus encore la singularité qu'Alex dégageait à ses yeux.
Le crépitement seul des flashs dura un long moment avant qu'Alex ne daigne répondre.
-Bonjour, lança-t-il, d'une voix à peine audible. Cela faisait quatre jours qu'il avait quitté l'hôpital, mais une légère douleur persistait en permanence, cognant à multiples reprises dans sa boite crânienne. Il se dit au fond de lui qu'il aurait peut être dû se servir de ce numéro, de ce numéro que lui avait laissé cet étrange docteur de la dernière fois, et que ce dernier lui aurait sûrement apporté des éléments de réponse à l'atroce calvaire qu'il commençait à vivre.
Mais Alex n'eut à peine le temps de se plonger dans ses réflexions que le journaliste le ramena à terre avec sa première question.
-Bon, allons droit au but.
Les flashs s'arrêtèrent.
-Je voudrais que tu me parles de la relation que tu as entretenue avec Jekki. Comment c'était..entre vous.
Le journaliste, alors courbé, s'adossa contre son siège, et concentra son attention sur le jeune homme. Mme Castell, qui rabattit ses quelques mèches rousses sur sa coupe au carré, le regardait froidement.
Alex inspira longuement. Malgré son accident, la rage envers cet homme restait présente et bouillonnait au fond de lui. Mais il savait désormais qu'elle pouvait lui être fatale, et ce pour des raisons qu'il ignorait toujours. Tant bien que mal, il devait tenter de se contenir.
-C'était une relation que je décrirais comme..assez forte, marmonna Alex, laissant transparaître son manque d'enthousiasme.
-Continue, renvoya Olivier, d'un vif signe de main.
-Hum..oui, donc, c'était assez fort, et..hum..nous étions très attachés l'un et l'autre. Elle était assez méfiante au début mais elle s'est rapidement mise en confiance avec moi. Chaque jour que l'on passait ensemble était différent. Même si à l'époque, nous avions assez de mal à placer un mot sur notre étrange liaison, pour la simple raison que nous n'étions pas très doués en relations humaines, et que nous avions sûrement peur. Je dois avouer que c'était quelque chose de très spécial, surtout pour moi je pense. Elle était différente et elle le savait, mais je l'ai acceptée.
Il expira. Son cœur battait la chamade. Le simple fait de parler de ces souvenirs le fit entrer dans un état presque second. Après la rage, le chagrin qu'il s'entêtait désespéramment à repousser s'empara de lui.
Bien que la tristesse d'Alex se fit sentir, le regard froid de Mme Castell ne changeait pas d'un point, comme à l'image de sa tenue vestimentaire: Toute de vert-vêtue. Le journaliste, lui, esquissa un léger sourire satisfait, tout en retranscrivant les paroles du jeune homme sur son ordinateur portable. Il enchaîna :
-Comment communiquiez vous ensemble ? Parlait-elle comme nous ?
Alex sécha ses larmes naissantes, et frotta ses paupières irritées. Il déglutit, et reprit :
-...Concernant notre mode de communication, Jekki l'utilisait très bien, elle parlait sans aucun problème, mais il lui arrivait souvent d'avoir comme des..des trous. Où elle semblait ne plus pouvoir user de la parole. Alors elle procédait autrement. Elle dessinait. Des motifs, des formes, des personnages..c'était une chose qu'elle adorait faire. Ou alors..hum..
Il hésita un moment.
-Ou alors ? Ajouta le journaliste, concentré.
-Ou alors elle..elle me regardait et..c'est comme si elle échangeait avec moi..sans même ouvrir la bouche. Je..je ressentais tout. Tout ce qu'elle voulait me faire ressentir. C'était à la fois étrange et..et fascinant. C'est aussi ça qui m'a profondément attaché à elle.
Alex serrait le bas de sa chemise grise avec ses mains, avec une vigueur ne trahissant qu'une certaine nervosité. Il savait parfaitement que cette déclaration, une fois publiée, aurait des conséquences sur lui et sa mère.
Le regard de la proviseure, alors froid, exprimait maintenant une certaine pitié méprisante. Elle ne voyait en lui qu'un jeune homme dépassé par les drogues. D'un geste assuré, elle redressa sa veste vert jade. Le journaliste cessa de taper sur ordinateur et le referma.
-Et c'est aussi « ça », cette communication prétendument télépathique, qui t'as réduit au silence lors du meurtre de Carole et Persie Van Hagen ? Et qui donc, te rendrait complice de ce crime ?
Le jeune homme fut pris de court par cette invective. Le choc fut tel qu'il sentit un violent frisson brûler tout son corps, et enflammer son cœur.
-Où voulez vous en venir ?! Lança-t-il, les yeux écarquillés.
-Toi et moi savons qui est le responsable de ce meurtre, murmura Olivier.
Rouge de rage, Alex bondit et frappa la table de ses deux points. Mme Castell sursauta.
-C'était un ACCIDENT !! Ils voulaient la tuer ! Ils la haïssaient ! Elle avait peur ! Elle ne cherchait qu'à se défendre !
-Le journaliste contemplait la rage d'Alex. Il avait ce qu'il voulait. Il fit signe aux cameramans ainsi qu'aux photographes d'immortaliser la scène, puis il se leva et s'approcha du jeune.
-Faux, faux, faux. Et puis, Jekki reste la meurtrière de ce couple. Conformément à ce que tu m'as dit, c'est une femme dérangée, en perdition, que tu as retrouvée au bord d'une route en plein milieu de la nuit. Selon d'autres témoignages aussi, c'est un monstre. Elle sombre dans la folie furieuse et ne maîtrise pas ses pulsions sanguinaires. Et toi, aveugle dans ton amour malsain, tu as plongé avec elle. Il suffisait de voir les cadavres des Van Hagen à la morgue pour comprendre que Jekki est une psychopathe.
À ces mots, Alex, prit dans les flammes de son courroux, asséna Olivier d'un violent coup de poing dans le visage. Ce dernier s'effondra violemment au sol. Les flashs fusaient. La proviseure, surprise, se leva, et criait à plusieurs reprises.
-Mr.Marcelin !! Mr.Marcelin !
Il ne répondait pas. Il s'avança vers Olivier, alors adossé contre le mur, essuyant sa bouche tachée de sang. Le jeune furieux déboutonna et remonta rageusement la manche droite de sa chemise. Une marque sur son avant bras était alors visible. Un long trait épais surplombé d'un cercle en son milieu, le tout d'une couleur rouge pourpre.
-Savez vous ce que c'est ?! Ce symbole est quelque chose de très important pour moi. C'est tout simplement le symbole d'une relation unique, le symbole de quelque chose qui vous dépasse totalement. C'est ce qui me permet de tenir tous le jours face à vous.
-Appelle moi Frédéric, lança le journaliste d'un ton faussement amical, affichant un sourire sanglant.
Alex resta quelques secondes devant lui, puis quitta la salle en claquant violemment la porte.
Le journaliste se leva péniblement, puis ordonna aux cameramans et aux photographes de quitter rapidement la salle, en informant que son article serait publié. Lui et la proviseure étaient désormais seuls. Il ferma la porte.
-Je..je ne comprends vraiment pas, avoua Mme Castell, encore sous le choc.
Frédéric se retourna vers elle, le visage de nouveau sérieux, essuyant ses dernières traces de sang.
-Justement, il serait utile que nous ayons une certaine discussion.
******
Pendant ce temps, Alex courait dans les couloirs, en tentant désespéramment de se frayer un chemin à travers la nuée d'élèves déjà alarmés de ce qui se tramait dans leur lycée. Il croisait tout types de regards : des regards intéressés, méprisants, compatissants, moqueurs, ou impassibles...tous ces regards, ces commentaires et ces corps se mêlaient dans une masse de plus en plus indiscernable. Tout devenait plus flou. Chaque pas plus aléatoire. La douleur saisissait de nouveau son enveloppe frêle, et le déchirait de l'intérieur. Angoissé, il se voyait déjà s'effondrer, et retomber dans un nouveau coma. Pourtant, contre toute attente de sa part, il tenait, et, d'une force dont il ignorait l'origine, s'extirpa tant bien que mal du bâtiment.
Loin derrière, la jeune Leyna, inquiète et encore plongée dans la foule, questionnait toutes les personnes qu'elle pouvait dans l'espoir de savoir où était parti son ami.
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