Partie 4
Alister passa la soirée et une partie de la nuit à se traiter d'idiot, à traiter le rouquin d'idiot, et à recommencer l'opération. Il en voulait à Spirou, évidemment. Mais quand même pas au point de le repousser définitivement ! Enfin, quel genre de parfait imbécile ferait une croix un garçon aussi adorable que lui !
Il y pensait encore ce matin à son réveil, et quand il se dirigea vers l'ascenseur afin d'aller prendre son petit déjeuner. Il attendait déjà depuis plusieurs minutes, et commençait à sérieusement penser à prendre les escaliers, quand la porte s'ouvrit sur deux hommes imposant et... Une tête rousse, sous un petit chapeau rouge, dans le fond.
Il ne voulait pas porter de jugement hâtif, mais il avait découvert lors de récentes recherches dont il préférait taire le but, que Spirou était le seul groom roux de tout cet hôtel.
Le garçon marqua un temps d'arrêt, avant de monter dans l'ascenseur, puis se fraya un chemin entre les deux clients, et se plaça juste à côté du jeune groom terrifié.
Il aurait aimé pouvoir être tranquille pour parler au garçon, mais puisqu'il ne pouvait pas jeter les deux hommes imposants hors de l'ascenseur (ou du moins pas sans créer un scandale), il s'arrangerait pour lui faire passer le message d'une autre façon.
Spirou ne savait pas le moins du monde comment il devait agir : Alister, qu'il n'avait pas revu depuis l'incident de la veille, ne l'avait sans doute pas pardonné (et ne le ferait peut-être jamais). En un sens, la présence des deux hommes d'affaire devant eux était une vraie bénédiction, qui donnait une raison à leur silence. Il espérait au moins que sa compagnie n'incommode pas le jeune homme, et qu'il ne lui en voulait pas au point de ne plus supporter sa vision.
Cette simple idée lui déchirait la poitrine et le rendait malade : il n'en avait presque pas dormi de la nuit, repassant sans cesse les évènements de la veille dans sa tête, tout en se traitant d'imbécile. Il n'avait jamais autant souhaité que l'ascenseur double de vitesse, afin de sortir de cette cage où il étouffait près de la victime de ses méfaits.
Il sentit tout d'un coup le contact de la main d'Alister contre le dos de la sienne, et eut un léger sursaut. La sensation de sa peau effleurant celle du jeune homme lui envoyait des décharges dans tout le corps.
Une bouffée de chaleur l'envahi et ses joues le picotèrent, symptôme incontestable de leur rougissement. Son corps tout entier semblait avoir cessé de lui obéir, et sa tête commença à lui tourner. Un immense sentiment de soulagement et d'euphorie s'emparèrent de lui, et il lui fallut faire un effort surhumain pour réprimer le sourire qui s'élargissait sur son visage.
Il songea un instant à se retourner pour regarder cet étrange complice, en se demandant comment un garçon en apparence si banal pouvait lui faire autant d'effet. Mais il avait peur de commettre, par ce geste, une faute impardonnable qui le déchirerai certainement en mille morceaux.
Il colla ses phalanges à celles d'Alister, profita un instant du frisson délicieux que lui procurait ce doux choc, et tenta de reprendre sa respiration, sans grand succès.
La sensation sur le dos de sa main lui semblait de plus en plus insuffisante et sa paume de plus en plus vide, comme si la peau du jeune homme à côté de lui était une drogue dont il devenait peu à peu dépendant.
Ses doigts cherchèrent un refuge contre la froideur et l'indifférence du monde, et contournèrent le poignet du garçon pour tenter de se loger au creux de sa main.
Il déglutit difficilement et pris soudainement conscience que son cœur tambourinait dans sa poitrine au point de lui donner l'impression qu'il allait lui briser les côtes.
Le jeune homme près de lui entre-mêla ses doigts aux siens, et colla leurs deux paumes l'une contre l'autre.
Il réprima un hoquet de surprise, et son pauvre cœur accéléra de plus belle, jusqu'à en troubler sa vision. Il avait soudainement l'impression que la main chaude logée dans la sienne était plus fragile que tous les joyaux de ce monde et qu'une simple pression mal dosée pouvait la broyer entièrement. Il s'appliqua donc à la serrer le plus doucement possible, comme on tiendrait un oisillon avant de le rendre à la chaleur de son nid. L'idée même de pouvoir blesser le garçon encore une fois le terrifiait complètement ; ses jambes en tremblaient, et il lui sembla qu'il était sur le point de s'effondrer.
« Vous m'avez l'air un peu pale. » fit remarquer la voix douce du garçon contre lui.
Surpris et désorienté, le rouquin se retourna pour se retrouver né à né avec le regard brun d'Alister.
« Q-q-quoi ? » demanda en retour le groom, sans même faire attention au ton de sa voix, qui semblait s'être transformée en un murmure tremblant, bien plus aigu qu'à l'accoutumée.
Et pour cause, il était incapable de rassembler ses pensées. L'image du sourire tendre que le jeune garçon lui adressait l'omnibulait au point qu'il ne pouvait quitter ses lèvres des yeux. Il utilisait tout ce qui lui restait de concentration pour s'assurer de garder une bonne distance entre le visage de son interlocuteur et le sien.
« Vous n'avez pas l'air en forme. répéta celui-ci sans cesser de lui sourire. Vous devriez songer à vous reposer plus souvent.
- N-n-non, je vais très bien, je vous assure. » répondit le rouquin qui, dans un sens, avait raison et il le savait : il allait particulièrement bien.
« Toutes ces sensations fortes... commença Alister en augurant une lente pression sur la main du jeune homme. Ça ne doit pas être pour vous. »
A ces mots, le garçon lâcha doucement la main de Spirou, le regardant d'un air rieur, et s'éclipsa rapidement par la porte de l'ascenseur, que le rouquin n'avait même pas vue s'ouvrir.
Le battant se referma sur lui avant même qu'il ne comprenne ce qui lui arrivait, le laissant seul dans la cabine. Une immense vague de désespoir s'abattit soudain sur lui, et il sembla prendre conscience qu'il venait sans doute de passer pour le plus gros idiot que le monde n'ai jamais connu.
Il s'appuya contre le mur et laissa ses jambes tremblantes se dérober lentement, jusqu'à ce qu'il finisse assis sur le plancher de l'ascenseur. Là, il décida qu'il ferrai mieux d'aller se passer un peu d'eau fraîche sur le visage, avant de reprendre son service.
Sortant de l'ascenseur, Alister se dirigea vers le guichet d'accueil de l'hôtel. Il y avait une dernière chose qu'il devait régler avant de reléguer définitivement l'incident d'hier soir au passé.
« Excusez-moi ? » dit-il en interpellant le réceptionniste.
L'homme, plutôt âgé et à l'air sévère, s'adressa à lui avec un sourire de fausse sympathie qu'il commençait à connaître par cœur. Il compris en le voyant pourquoi le jeune roux en avait aussi peur : s'il s'agissait de son propre patron, il ferrait tout pour éviter de le mettre de mauvais poil.
« Que puis-je faire pour vous, monsieur ? »
Alister s'accouda au comptoir, ouvrant et fermant les doigts d'un air inquiet.
« Hier soir, un de vos groom a renversé un plateau...
- Oh oui ! le coupa l'homme. Ne vous inquiétez pas à ce sujet, des dispositions vont être prises, soyez-en certain...
- Justement. arrêta le garçon. Ne faites rien, ce n'est absolument pas de sa faute : j'étais dans mes pensées hier soir, et je l'ai bousculé par inadvertance. J'espère au moins qu'il ne s'est pas blessé... »
Alister rajoutait un peu à sa culpabilité : il venait à peine de voir le jeune homme dans l'ascenseur, et savait pertinemment qu'il était en pleine forme. Mais il s'agissait ici de plaider la cause du rouquin, et un peu de dramatisme ne faisait jamais de mal à personne.
« Non, non, il est en parfaite santé, soyez-en sûr !
- Vous me rassurez. menti le garçon à la mèche blonde. J'étais terriblement inquiet à l'idée d'avoir causé un grave accident ! »
C'était à ce moment du speech qu'il commençait à douter. Il espérait de tout cœur que comme le prétendait la devise, le client était toujours roi ; auquel cas il n'aurait rien à débourser. Dans le cas contraire, la suite des négociations risquait d'être difficile à avaler.
« Bien sûr, si cela est nécessaire... commença-t-il d'un air qu'il voulait suffisamment inquiet pour qu'on ne lui en demande pas plus. Je me porterait garant des dommages causés par l'accident.
- N'ayez crainte, coupa encore une fois le réceptionniste. Les dégâts ont été minimes et vous les faire rembourser serait parfaitement ridicule. Profitez donc de votre séjour en toute tranquillité : personne ne vous ferra de scandale. Ni à vous... »
L'homme aux cheveux grisonnants marqua une pause, et fixa un point par-dessus l'épaule d'Alister. Le garçon se retourna rapidement et aperçu le rouquin affairé non-loin de là. Comme s'il avait senti les regards des deux hommes se poser sur lui, il leva les yeux dans leur direction, et croisa ceux d'Alister, qui se tourna de nouveau vers son interlocuteur.
Celui-ci hocha de la tête, un sourire toujours plaqué sur les lèvres, et termina :
« Ni pour ce jeune groom. »
Alister senti un immense soulagement s'emparer de lui, et adressa un « merci » des plus sincères au réceptionniste, avant de s'éloigner.
« Il y a un problème ? » demanda Spirou en s'approchant du guichet, le visage aussi blême que s'il venait d'assister à une apparition fantomatique.
« Ce jeune homme est venu m'expliquer qu'il vous avait poussé hier soir dans les couloirs, et que c'est pour cette raison que vous aviez fait tomber votre plateau. »
Le rouquin regarda Lambert, complètement abasourdi.
« Vous plaisantez ?
- En ai-je l'air ? »
La réponse était évidente : le réceptionniste ne plaisantait jamais, et tout le monde ici le savait.
Le groom se dépêcha de s'éloigner, l'air toujours aussi abasourdi, et emprunta le même chemin que celui que le garçon à la mèche blonde avait pris quelques minutes auparavant.
« Vous ne croyez pas que nous devrions lui parler des caméras de surveillance ? lui demanda l'un de ses collègue.
- Je crains que cela ne ruine leur petit jeu. » commenta l'homme sans quitter des yeux l'endroit où avait disparu son employé.
Il songea un instant à l'étrangeté de la situation dont il était le témoin. Le rouquin n'avait pas fait de très bons débuts dans l'hôtel, mais il avait fini par se révéler efficace dans son travail, et Lambert était certain qu'il avait un grand cœur. Il craignait que, s'il compromettait ses petites manigances innocentes, le jeune homme ne se trouve incommodé, et que cela ne se ressente dans son travail.
« Nous lui diront un jour, bien sûr. assura-t-il en se tournant vers son collègue. Mais... »
Il regarda l'écran de contrôle. Une des caméras, braquée sur un couloir, non loin de là, diffusait les images des deux jeunes hommes en pleine conversation.
« Nous ferrions mieux d'attendre encore un peu. »
« Alister ! »
Le garçon s'arrêta en entendant son prénom, et Spirou arriva rapidement à sa hauteur.
« Vous avez menti à mon supérieur.
- Ça se pourrait, en effet. rétorqua le jeune homme. Il y a un problème ?
- Oui ! » commença par s'exclamer le rouquin, avant de se rendre compte que le seul problème qu'il y avait n'en était pas vraiment un. « Je veux dire... Non. »
Il ne comprenait pas le comportement du garçon à la mèche blonde. La veille à peine, il l'avait mis dans une situation plus qu'embarrassante, et alors qu'il était persuadé ne jamais être pardonné, voilà qu'il apprenait qu'Alister endossait des responsabilités pour des actes que lui-même avait commis.
« Vous avez menti à mon supérieur pour me tirer d'affaire. affirma-t-il.
- C'est bien ce que j'ai fait. répondit son interlocuteur en guise de confirmation.
- Pourquoi ? »
Le rouquin savait qu'il avait désespérément besoin d'une réponse. Son esprit réfléchissait à toute allure, et toutes ses pensées se mélangeaient. La situation échappait pour lui à tout contrôle.
« Vous l'avez dit vous-même. lui fit remarquer le jeune homme avec un sourire moqueur. Je voulais seulement vous éviter des ennuis.
- Vous ne me détestez pas ? »
Cela lui semblait être la chose la plus naturelle du monde. Il en était lui-même venu à se détester pour avoir été aussi insolent, et imaginer que cette haine à son égard ne s'applique pas aussi à Alister lui semblait presque impossible.
« Vous en doutiez encore ? » lui demanda le garçon avec un sourire indulgent.
Spirou se rendit compte que sa remarque était plus que pertinente, mais qu'il n'avait pourtant pas cessé de douter du pardon qu'on lui accordait. Il s'était persuadé d'avoir commis un acte impardonnable, et s'était presque instantanément placé comme impardonné, malgré le sourire d'Alister, malgré leurs mains enlacées dans l'ascenseur, malgré ce qu'il avait dit au réceptionniste.
« Je crois que... J'avais besoin de vous entendre le dire. » décida-t-il.
Le jeune homme attrapa ses deux mains, et sans détourner le regard, lui assura :
« Eh bien non, je ne vous déteste pas. »
Un poids invisible sembla tomber des épaules du rouquin. Alister ne le détestait pas. Alister n'allait pas couper tout contact avec lui. Alister n'allait pas tout faire pour l'éviter et ne plus jamais le revoir. Ils continueraient de se parler, de se croiser dans les couloirs, de s'échanger des mots rapides, seuls dans la cabine de l'ascenseur. Il allait continuer de sentir la main du jeune homme dans la sienne, de le savoir près de lui, d'entendre le son de sa voix.
Il compris à cet instant à quel point tout cela lui aurait incroyablement manqué, et qu'il ferrait tout pour que ces courts instants de bonheur continuent d'exister. Alors il lui dit tout ce qui lui venait à l'esprit, tout ce qu'il avait traversé depuis l'instant où le jeune homme avait disparu de son champ de vision, espérant que ses mots suffisent à effacer définitivement les mauvais instants pour les remplacer par de meilleurs.
« T-tant mieux, parce que... Je crois que je ne l'aurait pas supporté. En fait, j'en suis presque certain. J'ai cru que vous alliez me mépriser et m'ignorer, que vous ne m'adresseriez plus jamais la parole et que je ne verrais plus votre visage, et c'était horrible, parce que vous me manquiez et que je voulais vous revoir... »
Alister fit taire le rouquin d'une pression sur ses mains accompagné de son sourire rieur.
« Arrêtez-vous donc, ou vous allez finir par dire une autre bêtise. » lui dit-il doucement.
Il se plongea dans le regard brun du jeune homme quelques minutes, le temps de faire taire son esprit. Ses yeux avait la particularité de vider sa tête jusqu'à ce qu'il en perde la notion du temps. Et étrangement, ce n'était pas désagréable.
Mais le garçon brisa bien vite le charme, en lui expliquant :
« Cela dit, je suis toujours convaincu que vous êtes un idiot. Peut-être pas le pire que j'ai jamais vu, mais vous êtes assurément un magnifique idiot. »
Spirou senti ses joues rougir légèrement, avant qu'Alister ne remarque à nouveau :
« Et vous devriez m'écouter plus souvent quand je parle : il me semble vous avoir demandé pas plus tard qu'hier soir quel genre d'homme pourrait se passer d'une personne aussi charmante que vous ; j'avais espéré que vous ayez au moins compris que ce n'étais pas le mien. »
Le visage du rouquin continuait de rougir sous le sourire doux du jeune homme.
Les mots qui restaient noués dans sa gorge depuis quelques temps s'échappèrent par inadvertance à l'instant où il baissa sa garde. Il avait essayé de les retenir, de les empêcher de passer la barrière de ses lèvres. Mais à ce moment précis, il n'y faisait même plus attention, tant il s'était laissé aspiré à la contemplation du visage d'Alister.
« Vous m'aimez ? »
Le garçon le regarda calmement, avant de lui répondre. Son sourire s'était quelque peu effacé, et il semblait presque désolé pour le rouquin.
« Parfois, il arrive que les gens aient trop de fierté pour dire certaines choses. » murmura-t-il doucement.
Il planta quelques instants encore son regard dans celui du jeune groom, avant de laisser glisser ses mains hors des siennes et de s'éloigner en silence. Spirou le regarda s'éloigner, le visage encore rougis, et un léger sourire sur les lèvres.
Alister aimait peut-être le mettre dans tous ses états, mais il était à présent de notoriété publique qu'il nécessitait une patience inconditionnelle avant d'accepter de s'ouvrir.
💙💙💙
Oui oui, c'est du Elvis Presley. Attendez de voir le reste.
J'ai aussi rajouté la musique que j'avais oublié la semaine dernière, hehe-
Brefouilles, bonne semaine à vous toustes ! On se revoit lundi prochain :)
L'auteur
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