Chapitre 6 - POV Demeteria
Mon plan était parfait. Enfin, en théorie. Parce que le mettre en pratique allait relever de la folie. Il fallait absolument que Sophitia, la gardienne fée, s'approche de quelques pas. Je n'avais besoin que de quelques secondes pour agir. Mais, tout tenait dans la position de la fée. Et apparemment, elle n'était pas décidée à bouger. Si seulement, j'avais de nouveau ces satanés pouvoirs. Sans eux, je n'étais rien. Et cette fée qui me jetait des regards narquois en jouant avec ma clé...
La clé qui muselait mes pouvoirs et emprisonnait mes ailes.
La colère me gagna rapidement en repensant à tout ce temps passé dans cette prison. Pas une fois, Sophitia n'avait failli à sa garde. Elle était fidèle au poste chaque jour et ce depuis des années. Mais je devais reprendre ma liberté, m'enfuir loin d'ici. Il était plus que temps.
Je rejetai mes cheveux presque roux en arrière et observai ma gardienne avec attention. Une folle envie de la tuer s'empara de moi, cependant, comme à chaque fois, je ne put rien faire. J'étais debout, incapable de faire de grands mouvements et approcher de Sophitia m'était impossible.
Le fait que, depuis quelques temps, nous échangions sur divers sujets, certains plus délicats que d'autres, allait me permettre de jouer avec elle. J'eus un sourire carnassier. Oui, il était plus que temps. Je n'avais pas besoin de grand-chose, juste d'un moyen de faire diversion.
Je retins ma respiration pendant deux longues et interminables minutes. Lorsque j'inspirai à nouveau, je me mis à hoqueter et à cracher. Des larmes perlèrent au coin de mes yeux et de la bave s'écoula le long de mon menton. Je continuai à cracher, exagérant le tout sans retenue, au point d'être proche de vomir. Je produisais plus de salive que nécessaire mais cela ne me dérangeait pas. Au point où j'en étais, autant jouer mon rôle jusqu'au bout. Je continuai donc, en rajoutant des gémissements qui me paraissaient convaincants.
Je détestais ça. Geindre n'était pas dans mes habitudes. Les démons ne gémissaient pas, excepté lors des relations sexuelles. Mais, ici, ce n'était absolument pas le cas. Je laissai retomber ma tête sur ma poitrine et mes cheveux roux vinrent cacher mon visage en un rideau de feu. Mes bras ballants, le long de mon corps, j'entrepris de relâcher tous mes muscles afin de paraître totalement immobile. À travers ma chevelure, je pus voir apercevoir Sophitia. Elle s'était figée. Elle ne semblait pas inquiète. Juste étonnée et désorientée. Jamais encore je ne m'étais comportée ainsi.
Je bouillonnais intérieurement. Ma rage décuplait mes envies d'en finir avec tout ça et malgré mon impatience, je poursuivis mon rôle de malade imaginaire et diminuai l'intensité de mes gémissements. Je crachotai une dernière fois puis ne bougeai plus. Immobilité parfaite et attente expectative.
J'inspirai doucement, sans faire le moindre bruit. Pas un souffle de vent ne venait soulever mes cheveux et la moiteur de l'air me permettait de rester figée comme un pantin désarticulé.
Un mouvement. Enfin ! Du coin de l'œil, je vis la fée se placer face à moi, mais elle était encore bien trop loin. Je ne bougeais toujours pas. La clé pendait sur sa poitrine et l'envie de l'arracher failli me faire hurler. Je devais me montrer patiente et cela n'allait pas être une mince affaire.
- Demeteria ?
La voix de Sophitia avait jailli, froide et dure. Pas une once d'inquiétude. Je relevai mes lèvres sur mes dents en une grimace affreuse que personne ne vit. Il fallait que la fée avance. Quatre pas. C'était suffisant. Peut-être trois. Je ne bougeai toujours pas. Cette clé m'obsédait. Il fallait que son aura m'atteigne pour que je puisse retrouver une partie de mes pouvoirs.
- Demeteria ? Qu'y a-t-il ?
Le ton n'avait pas changé. Sa haine envers moi n'était pas feinte et je pris consciente que cette animosité pourrait être un frein à mon plan. Pourtant, je me retins de bouger. Je sentais des fourmis dans ma nuque et dans mes bras. Je laissai ma bave s'écouler afin de paraître crédible dans mon rôle.
- Demi ? Qu'est-ce que tu fais ?
Enfin ! Je la tenais. Ce soupçon d'appréhension dans sa voix. Le fait qu'elle m'appelle par mon surnom. Cela prouvait qu'elle était troublée. Pas totalement angoissée, mais cela ne serait tarder. Je retins un ricanement et m'empêchai de bouger. Je ne tenais plus en place.
- Demi ! Réponds-moi !
Du coin de l'œil, je la vis passer sa main dans ses longs cheveux verts et triturer ma clé. Elle fit un pas. Mon sourire s'agrandit. Un autre pas. Elle s'immobilisa, hésitante. Tout mon être lui soufflait d'avancer. Je la vis regarder autour d'elle à la recherche d'une quelconque aide. Mais, nous étions seules, comme bien souvent.
- Demi ? Tu vas bien ?
L'angoisse dans sa voix me fit presque frissonner. Mais, je ne devais pas bouger. Pas encore. Je l'entendis marmonner entre ses dents. La connaissant, elle devait pester contre moi, contre son rôle de gardienne et contre le monde entier. Et moi, je pestais contre elle qui ne faisait pas mine d'avancer et je me sentais trembler d'impatience. C'était un exploit pour moi de rester ainsi immobile.
Sophitia leva la jambe. Je retins mon souffle. Lorsqu'elle fit un pas de plus, je sentis une légère onde de chaleur me frôler. La clé. Elle était suffisamment proche pour que son aura m'atteigne. Je me laissai tomber en avant, mais ma prison me retint plus sûrement que si j'avais été attachée à un arbre. L'aura de la clé touchait presque la moitié de mon corps et cela était suffisant.
Grâce à l'aura, je pouvais sentir quelques brides de pouvoir renaître en moi. Je secouai doucement mon bras gauche et mon magnifique tatouage se mit à onduler. Le serpent, enroulé sur ma peau matte, se déploya et prit vie, hors de mon corps. Il rampa sur ma peau et se laissa couler au sol. D'un vert sombre qui tirait presque sur le noir, avec ses petits yeux rouges, il était impressionnant. Sur ma peau, il ne dépassait pas mon avant-bras mais, maintenant, il atteignait facilement les deux mètres de long. Il glissa dans l'herbe environnante et j'en profitai pour relever la tête.
Sophitia me regardait, ses yeux mauves écarquillés d'horreur. Je ricanai avant de prendre la parole.
- Tu ne connais pas tout sur les démons, n'est-ce pas ?
La fée se recula vivement et entreprit de chercher mon serpent des yeux. Je pouvais l'apercevoir, il sinuait dans les hautes herbes et se rapprochait lentement de Sophitia. Je retins mon souffle.
Et lorsque mon serpent mordit la cheville de la fée, je sentis le pouvoir de ma prison disparaître. Sophitia avait totalement relâché sa garde et j'étais enfin libre. Je me mis à courir. Je passai non loin de la fée qui ne me regarda pas, trop occupée à se tenir la cheville et à examiner les hautes herbes pour tenter de localiser mon serpent. Sans un regard en arrière, je courus aussi vite que je le pouvais. Malgré mes forces amoindries, la liberté me poussait vers un avenir plus heureux que le passé sombre que j'avais vécu pendant des années.
Je n'avais rien ressenti lorsque Sophitia avait hurlé sous la douleur de la morsure. Je savais qu'elle n'aurait rien. Le poison des serpents ne blessait pas les fées. Enfin, jusqu'à preuve du contraire, je savais qu'elle ne mourrait pas empoisonnée. Et mon serpent me reviendrait lorsqu'il se serait nourri. Cela lui prendrait quelques heures mais je savais qu'il me retrouverait, où que je sois. Je regardai la marque noire laissée par mon serpent sur mon bras. Son empreinte restée ancrée sur ma peau, signe que tout allait bien pour lui.
Je n'avais pas suffisamment de pouvoir pour m'échapper autrement qu'en fuyant à terre, alors je courais. Mes ailes étaient dans la clé, mais je trouverai rapidement une occasion de la dérober à ma gardienne. Pour l'instant, je devais me mettre à l'abri et trouver une arme.
Je continuai à courir aussi vite que mon corps me le permettait. Ma vie en dépendait et je devais me concentrer sur ma course. Je n'avais jamais eu l'occasion de courir dans une jungle telle que celle-ci. En fait, je venais de prendre conscience que je vivais depuis des années dans une double prison. Les taillis me donnaient du fil à retordre et je n'avais pas d'autre choix que de les contourner. Cela me faisait perdre un temps précieux sachant que Sophitia possédait une magnifique paire d'ailes.
Mon souffle commença à me manquer et cela me mit en rage. Je n'avais qu'une peur : me retrouver à nouveau emprisonnée. Je ne le supporterai pas. Peu m'importait le reste, je devais lui échapper.
Au bout de plusieurs longues minutes, je m'arrêtai pour reprendre mon souffle. Je tendis l'oreille, mais aucun bruit ne me parvint. J'en profitai pour m'asseoir afin de reposer mes jambes. Mes muscles n'étaient plus habitués à autant de mouvements et le sport ne faisait pas partie de mon quotidien habituel. En regardant autour de moi, je tentais de me situer un minimum mais j'étais incapable de reconnaître la flore qui m'entourait. Je levai les yeux et je ne rencontrai que du vert. Du vert partout, sous toutes ses nuances : du vert pâle au vert sombre. Cependant, certaines couleurs se démarquaient et j'aperçus des fleurs rouges et bleues, des fruits d'un orange intense ou même des lianes mauves. Ces dernières semblaient s'entortiller en un entrelacs de branches et de feuilles.
Il me fallait une arme. Je regardai au sol et pris deux pierres. Je les aiguisai et une fois satisfaite du tranchant, j'entrepris de tailler une branche en pointe. Ce n'était pas la meilleure arme que je pouvais espérer, mais je m'en contenterai. Puis, je saisis une liane pour en tester la solidité et tirai dessus. En essayant de grimper légèrement, je me rendis compte qu'elle supportait totalement mon poids. Bien, cela pourrait me servir.
Je repris ma course, profitant que Sophitia ne me poursuive pas encore. Du moins, ne l'entendais-je pas. Je devais faire attention, la moindre erreur et c'était le retour à la case prison.
Devant les énormes taillis qui me barraient la route, je pris une liane et sautai par-dessus les épais buissons. Mauvaise idée. Très mauvaise idée. La liane était vivante. Elle enlaça mon poignet et commença à le broyer. Je me retrouvai donc suspendue par le poignet au dessus d'un buisson de ronces et de plantes couvertes d'épines.
De ma main libre, j'essayai de repousser la liane. Ce faisant, je ne remarquai pas les autres lianes qui s'approchaient rapidement de moi. J'eus la présence d'esprit de prendre mon arme improvisée. Je tentai de couper la liane qui m'entourait mais rien n'y fit. Je commençai à suer et à paniquer. Sophitia n'allait pas tarder à me rattraper. Et elle n'aurait aucune difficulté à me repérer. J'offrais une magnifique cible, pire que l'insecte pris dans la toile d'une araignée.
Je me débattis du mieux que je pouvais et je finis par piquer la liane de la pointe de mon arme. Elle sembla réagir à cette pression et je recommençai encore et encore. Un liquide mauve coula sur mes doigts, rendant la liane glissante. Je sentis comme un relâchement et la liane se déroula. Cela me fit tomber brutalement et j'atterris violemment dans les plantes épineuses. Je me sentis piquée de toutes parts mais lorsque je vis les autres lianes fondre sur moi à une vitesse impressionnante, je m'extirpai le plus rapidement possible du buisson. J'y laissai quelques morceaux de peau mais rien de bien méchant. Je conservai mon arme à la main, contente de m'en être servie.
Je titubai jusqu'à un arbre auquel je m'adossai pour reprendre mes esprits. Il fallait que je me calme avant de repartir. Les battements de mon cœur tambourinaient pas mes oreilles et mon souffle saccadé ne m'aidait pas à réfléchir. Je devais faire très attention. Cette jungle renfermait des pièges peut-être aussi dangereux que les fées. Cela ne serait pas très malin de me faire piéger par d'autres plantes ou créatures et de mourir alors que j'avais enfin réussi à m'enfuir.
Je recommençai à courir mais pas aussi vite qu'auparavant. Les forces me manquaient et je ne voyais pas le bout de cette satanée jungle. Il n'y avait pas de fin, pas de sortie, rien qui m'indique que je pourrais un jour m'échapper d'ici. J'avais l'impression que ma liberté s'éloignait de plus en plus et lorsque j'entendis un hurlement derrière moi, je fermai les yeux.
- Demeteria ! Je te retrouverai et je te ferai payer cher ce que tu m'as infligé !
Sophitia avait retrouvé ma trace et je sentais toute sa colère, sa détermination à me remettre dans ma prison, dans son cri sans fin.
Comme si ce hurlement avait relancé mon adrénaline, je fis des pas plus grands, des sauts plus longs et ma course redevint fluide.
Si Sophitia me rattrapait, un combat aurait lieu. J'étais prête à défendre chèrement ma liberté. Un sourire sauvage s'étira sur mes lèvres. Rien n'était joué.
Auteur : Marion-nette
NB de Marian : Ce chapitre est celui qui jusqu'à maintenant à été le plus facile à corriger ! Presque rien à faire pour moi, du coup. Bravo pour la maitrise de la langue ; )
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