Chapitre 13 - POV Sophitia
Nous nous assîmes sur les racines tordues, difformes. S'enfuir... Nous enfuir... Loin de tout, des règles, des conventions, de nos univers respectifs pour en construire un commun. Un rêve si loufoque que je m'interdisais d'y penser. Mais ce projet était addictif, oppressant, j'y avais dit oui, comme un automate, comme l'enfant privée de liberté que j'avais jadis été.
- Ah ! soupira ma démone à coté de moi. J'ai mal au dos, si tu savais !
- Si je n'avais pas mal moi aussi, je t'aurais massée.
Nous nous sourîmes dans la pénombre. Elle me prit la main, câline, comme à son habitude. Je n'avais jamais cru au grand amour, aux papillons dans le ventre, aux regards alanguis, destinant tout cela aux nobles de la cour. Et Demi m'était tombée dessus, avec ses ruses et ses complots, ses conflits avec elle-même. Magnifique, un démon dans un corps d'ange. Je me perdais dans ses yeux rouges sang, tantôt emplis de glace, tantôt emplis d'un feu qui dévorait mon âme. L'excès la définissait. Elle me regardait comme si j'étais sa vie, son tout, sa rédemption. Et je m'en voulus de douter de nous. La vie m'offrait une chance, je devais la saisir. Moi qui avait toujours répondu présente aux missions, aux ordres, pleine de dévouement. Le petit toutou de la reine en somme.
- Dis, Demeteria... Comment as-tu vécu ton enfermement ?
Un moment passa avant qu'elle ne réponde. J'écoutais la musique cristalline de son souffle tandis qu'elle rassemblait ses idées.
- C'est dur d'en parler, lâcha-t-elle finalement, peu sûre de la suite.
Nous nous allongeâmes sur un tapis de feuilles improvisé, ne craignant ni le froid, ni les insectes. Je commençai à lui caresser le ventre, et posai ma tête sur son épaule pour l'encourager.
- Je ne me rappelle pas vraiment. Les sensations, les souvenirs... ça me fait comme dans un rêve. Ce que je sais, c'est que je n'ai jamais cessé d'espérer. Je comptais les jours, les heures, attendant la liberté. Et un jour où je dépérissais, j'ai senti mon pouvoir. je l'ai senti en toi, sur toi et mes prières ont été exaucées. Ce fut toi, ma liberté.
Alors, finalement, n'étais-je que cela pour elle ? le chemin vers la lumière ? Une étape ? Je ne pouvais que le croire. M'imaginer une vraie personne qui m'aimerait à part entière, une âme sœur, l'Amour avec un grand A... C'était risible, ironique. Les larmes emplirent mes yeux, brûlantes de désespoir, de crainte de l'abandon. Elles coulèrent le long de mes joues, et atterrirent sur son bras. Je laissai échapper un sanglot pathétique. Je ne voulais pas être à plaindre. Demi se redressa doucement, et la pale lueur de la lune me permit de lire l'inquiétude sur ses traits. Elle se doutait de ce que je pensais, de ce que je croyais être réel.
Elle essuya mes pauvres larmes de ses doigts parfaits, ses cheveux rouges flamboyant tombant en cascade autour de nous.
- Sophitia, me réprimanda-t-elle d'une voix tremblante. Ne pleure pas. Je t'aime, sans toi ma vie ne vaut rien... Le destin nous a tragiquement réunies, mais ce qui compte, c'est que l'on soit ensemble. Ne doute jamais de nous, je t'en prie. Tu me blesses. Je mourrais pour toi !
Elle m'embrassa tendrement de ses lèvres carmin, me faisant ressentir toute sa passion et son désespoir. Elle paraissait forte mais s'accrochait à moi comme à une bouée. Cette femme qui m'avait fait connaître les délices de son corps et de son cœur était fragile à l'intérieur. Je me serrai contre elle, alanguie, apathique, presque rassurée de sa présence à mes cotés. Demi m'anesthésiait complètement l'esprit. Et je me surpris à rêver, rêver d'amour, de douceur et de fraîcheur. D'une fin heureuse à tout ça.
La lune à son zénith nous cueillit en son sein, tandis que nos corps se mêlaient, pleins de promesses d'un avenir utopique.
- Je t'aime, lui murmurai-je.
Et ces simples mots créèrent en moi un raz de marée, une tempête dévastatrice. Je me noyais dans l'océan de mes sentiments, et ces trois petits mots me servaient de radeau.
Puis je me mis à haïr mon peuple, les détester tous pour ce qu'ils avaient fait subir à ma beauté, ma moitié. Enfermer un esprit si libre, si grand, si majestueux avait été un crime. Mais ma Reine avait été mon tout durant ma courte existence avant l'amour. Si bien que j'eus honte de lui pardonner l'impardonnable.
- Je ne te ferai jamais de mal, me surpris-je à mentir.
Bien sûr que je finirais par la blesser un jour. Soit en étant le contraire de ses attentes, soit en finissant par la lasser. Je n'y connaissais rien, ouvrant à peine les yeux après notre moment d'extase ultime.
Elle retomba sur le côté et soupira longuement.
- Tu te torture pour rien ma belle, m'assura-t-elle, sur le point de s'endormir. La vie est faite pour être vécue, un point c'est tout.
Elle me serra tout contre elle, craignant presque que je disparaisse pendant la nuit. Et tandis que ses ronflements délicats meublaient peu à peu le silence, je cherchai le sommeil, encore et encore, ne le trouvant nulle part, continuant à ignorer les complaintes de mon esprit déchiré.
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De tout petits pas. J'entendais quelque chose se mouvoir près de moi. Je me réveillai en sursaut, me dégageant tant bien que mal de l'étreinte de Demi. Sérieusement, elle dort comme une contorsionniste.
Cherchant de tous les côtés la chose qui m'avait réveillée, je tombai nez à nez avec un lapin noir et blanc. Sans savoir pourquoi, il me paraissait familier.
- Salut, toi. Tu cherches à manger ? lui demandai-je gentiment, n'espérant quand même pas de réponse.
J'avais toujours été fascinée par les animaux étant donné que je vivais dans une forêt. Il se rapprocha de moi et je tendis la main pour caresser sa mignonne petite tête. Je ressentis une vibration étrange tandis qu'il me fixait de ses grands yeux. Aucun doute, je connaissais ces yeux.
- D'où viens-tu, petit ? Du palais, j'imagine...
Demi se retourna et grogna, me faisant sursauter.
- Tu parles aux bestioles maintenant ?
Le lapin détala à toute vitesse au son de sa voix rauque. La sensation bizarre que j'avais eue disparut aussitôt. Je fis une moue mi-colérique, mi-indignée. Enfin, j'essayai. Elle ne fut pas très réussie étant donné que je ne pouvais pas m'empêcher de lui sourire tendrement, comme une idiote.
- Tu l'as fait fuir, espèce de monstre !
- Tu n'es pas crédible, petite, tu le sais ça ? déclara-t-elle en riant.
Je levai les yeux au ciel.
- Okay, j'avoue que je suis une très mauvaise actrice.
Tant de candeur et de bonne humeur dans une conversation me semblaient irréels. Pourquoi n'avais-je pas connu cela plus tôt ? J'aurais pu ainsi éviter de tomber dans ce cynisme éclatant de douleur qui me caractérisait. Mon ventre émit un bruit de gouttière désagréable et je m'assis, contemplant ma belle au point du jour. Pas très avantageux tout ça, pensai-je. Il est vrai que ses cheveux en bataille lui donnaient un air de vierge effarouchée qui me plaisait bien, mais j'avais envie de la retrouver comme d'habitude, combative, souple, et... réveillée !
- Bon, j'ai faim, tu vas me chercher à manger ? plaisantai-je, sachant très bien qu'elle m'enverrait chier avec le sourire le plus diabolique qui soit.
- Mais bien sûr ! Très drôle. Bon, lève-toi. Je dois prendre un bain, et je ne sais pas où trouver une rivière.
Je soupirai et exécutai ses pâles copies d'ordres. Elle ne le faisait pas exprès, mais elle me soumettait sans s'en rendre compte. J'avais cette sensation de lui appartenir entièrement et de devoir la satisfaire au détriment de moi-même.
Les buissons nous offraient un véritable festin de fruits rouges. Fraises, cerises, baies de toutes sortes. Rien qu'à les regarder j'en faisais une indigestion. Nous étions à demi nues, nos tuniques trop grandes et déchirées. Elle se glissa derrière moi, m'attrapant par les hanches. Je penchai ma tête en arrière et elle m'embrassa sur les lèvres.
- Bonjour... esclave, me souffla-t-elle.
J'étais à moitié morte de rire. Cette femme ne savait plus quoi inventer comme bêtises. Je fis mine de me fâcher, les sourcils froncés, et les mains sur les hanches.
- Qui traites-tu d'esclave, là ? Tu ne serais pas un peu suicidaire sur les bords ?
Elle rit, se moquant de moi. Il est vrai que ma menace sous-jacente était risible étant donné que je faisais deux têtes et demi de moins qu'elle et que je paraissais frêle comme un roseau. Mais elle n'avait aucune idée de mon véritable potentiel. Ce n'était pas pour rien que j'étais l'une des meilleures gardes de la cour. J'aurais pu la tuer avec une seule main. Cette idée me fit reprendre mon sérieux. Tandis qu'elle riait encore un peu sous cape, je cueillis une baie proche de moi et l'examinai minutieusement avant de l'ingurgiter. Il serait bête de mourir d'empoisonnement alors qu'on était si près du but.
- Bon, déclarai-je. Je nous prépare à manger pendant que tu nous cherches un endroit pour nous laver.
Elle acquiesça sans faire d'histoire, contrairement à son habitude et partit d'un pas léger. Me dressant sur mes pointes de pieds, je cueillis deux grandes feuilles qui nous feraient office d'assiettes, puis ce fut une véritable farandole de couleurs et de goûts que je confectionnai alors, cueillant des baies, épluchant des mangues, pelant des oranges avec mes ongles... Et une pomme rouge chacune pour compléter ce petit déjeuner tout à fait végétarien.
Tandis que je cherchais des racines accueillantes pour nos postérieurs meurtris, un lapin déboula devant moi, me faisant renverser quelques myrtilles. C'était le même lapin, j'en était sûre. Le même air inquisiteur, mais aussi les mêmes yeux. Ils paraissaient... humains, pour dire vrai.
- Qu'est-ce que tu me veux encore ? Je suis occupée, tu sais, je prépare un encas pour ma chérie.
J'avais juste envie de prononcer le mot chérie à voix haute. C'était gratifiant.
Le lapin tourna son regard à gauche, à droite, et repose son regard pénétrant sur moi. L'univers s'altéra soudain, le temps sembla s'arrêter. Les feuilles mortes tourbillonnaient, entraînées par un vent de magie. Une magie que j'aurais reconnue entre mille. La femme qui apparu devant moi dans le brouillard avait de longs cheveux noir corbeau, un port de tête altier, une robe noire sertie d'onyx purs et une couronne d'or délicate mais imposante. Son regard gris et dur était relevé par un trait de khôl noir. Même en colère, elle était magnifique, la plus belle femme du monde, mais elle me tétanisait.
Je m'agenouillai devant ma reine, la tête presque contre le sol. J'entendis mon cœur s'accélérer jusqu'à atteindre la vitesse de la lumière.
- Sophitia, gronda-t-elle.
Sa voix d'outre-tombe résonna, occultant tous les autres bruits. C'est à ce moment que je pris conscience du tumulte que constituaient les cris de oiseaux, l'écoulement de l'eau et le bruissement des feuilles.
- Je t'avais confié une mission... Et tu as échoué.
- C'était mon choix, ma Reine. Je ne pouvais pas me résoudre à la tuer, elle est trop importante pour moi. Je... je l'aime, je suis amoureuse de cette démone, déclarai-je, la voix à peine tremblante alors même que j'étais liquide en fusion à l'intérieur.
Elle renversa la tête en arrière, secouée par un rire grinçant. Ce son me faisait penser au crissement des os, à la mort.
- L'amour ! Tiens donc ! Une des belles conneries que je n'aurais jamais pensé entendre dans ta bouche, ma fille. Tu me déçois terriblement.
- Allez-vous me tuer ? demandai-je sans peur et pourtant sans défi.
Étonnamment, je n'avais jamais eu peur de la Reine. Cela avait toujours été une sorte de fascination morbide, de l'admiration. J'imaginais que je la servirais quoi qu'il m'en coûte.
- Non, je ne te tuerai pas. Je n'en ai ni l'envie, ni le temps. J'ai autre chose à faire, vois-tu ! Autre chose que de te rappeler qui t'a élevée, nourrie, et, surtout, que la vie ne t'apportera rien si tu abandonnes les gens qui tiennent à toi.
- Elle tient à moi, m'énervai-je, les dents serrées.
- Pas d'insolence, je te prie ! Enfin voilà, je tenais à te faire mes adieux puisque apparemment tu as choisi une autre voie que la mienne. Et rappelle-toi une chose, je suis la seule à réellement t'aimer. Tu ne seras jamais heureuse.
Sur ces doux mots, elle s'envola, emportant avec elle tous ses artifices, mais laissant une graine de doute douloureusement plantée au fond de mon cœur.
Une larme solitaire roula le long de ma joue, et je m'accroupis afin de ramasser le bazar que j'avais causé en laissant les fruits tomber à terre. Demi revint à ce moment, me découvrant au plus bas, souillé de terre et de jus d'orange, fébrile à cause de mon manque de foi en elle.
- Sophi ! Que t'est-il arrivé ? Tu vas bien ?
Je hochai la tête, rassemblant mes forces pour parler. Sans même que je le décide, un mensonge sortit de ma bouche.
- J'ai juste trébuché... Je suis désolée, j'ai foutu notre repas en l'air. Pardonne-moi Dem, je ne fais jamais rien de bien.
- Ne t'excuse pas, s'exclama-t-elle désolée, et ne dis pas ce genre de choses. Tu en as tellement fait pour moi ! Ce n'est pas ta faute. Viens, j'ai trouvé une cascade. On mangera plus tard.
Je collai un sourire à demi faux sur mon visage et me laissai tirer par elle jusqu'au coin de paradis qu'elle nous avait déniché.
J'entrai dans l'eau froide, cherchant par mes ablutions à laver la mauvaise influence de la monarque. Rien n'y fit. C'était terminé. Je regardai Demeteria plonger, nostalgique. Il n'y avait plus de nous, juste elle, moi, et un amour à peine entamé.
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Nous étions montées dans un arbre pour la nuit, cherchant la fraîcheur que nous tenions à éviter la journée. Le temps s'était considérablement réchauffé, et l'influence néfaste du soleil récemment couché était ancrée dans le sol.
Tandis que Demi installait je ne sais quel piège pour capturer d'innocents oiseaux à partager pour notre pitance du lendemain, je l'observais, avide. Chacun de ses mouvements, chacun de ses mots, chaque inflexion de sa voix se gravait dans ma chair, me causant une magnifique douleur que j'avais envie de ressentir jusqu'à la fin des temps. La vie est faite pour être vécue, m'avait-elle dit. Effectivement.
- Demi ?
Elle se retourna, curieuse. Elle avait remarqué que je ne l'avais pas quittée des yeux depuis quinze minutes.
- Oui ma belle ?
- Non, rien... J'avais juste besoin d'entendre le son de ta voix.
Elle sourit, heureuse du romantisme dont je faisais preuve. Je m'étais silencieusement promis de faire des efforts pour lui apporter tout ce dont elle aurait besoin. Et puis, je réalisai que je n'en avais rien à faire, de l'avis de la Reine, de la cour, ou même du monde entier. J'avais enfin trouvé le bonheur, cette chose qui m'avait si longtemps répugnée parce que je ne la connaissais pas et qui maintenant me donnait tout ce dont je n'avais pas osé rêver.
- Viens s'il te plaît, oublie les oiseaux deux minutes.
Elle dût entendre quelque chose dans ma voix, car elle s'avança en fronçant les sourcils.
- Qu'y a-t-il ?
- Rien, j'ai juste besoin d'un câlin.
Émue, elle me prit dans ses bras, sa force étouffant ma force, sa chaleur se mêlant à la mienne. Les larmes se mirent à couler abondamment sur mon visage sans que je les ai senties venir. Comme si mon corps connaissait déjà ma décision, mais que mon esprit niait encore que je l'ai prise.
- Je t'aime, murmurai-je pour la énième fois à son oreille.
- Moi aussi, Soph...
Ma main se déplaça plus haut sur sa poitrine, en dessous de son sein gauche. Je ressentais son pouls jusque sur ma langue. J'appuyais un peu, et ma main traversa sa chair, ses côtes, ses muscles... Je me saisis de son cœur, palpitant, chaud, et gluant de sang, je m'emparai de sa vie. Elle poussa un cri étouffé et je sanglotai. Je ne savais pas comment lui expliquer que le devoir avait prit le dessus sur mes sentiments. Elle me regarda avec douleur et incompréhension.
- Pourquoi ? souffla-t-elle.
J'eus aussi mal que si c'était moi qui mourrait, et je sus que je ressentirais cette douleur jusqu'à la fin de mes jours, comme châtiment du ciel pour avoir trahi l'accord tacite que j'avais passé avec l'amour. Je sortis ma main de son torse, son cœur toujours serré entre mes doigts, et je la fixai, regardant avec détresse ses yeux déjà vitreux.
Je voulais qu'elle reste.
- Reviens-moi ! hurlai-je dans ma souffrance.
Je plaquai ma bouche contre la sienne en d'ultimes baisers, sentant sa peau froide, sa respiration qui s'était arrêtée.
- Je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée, je suis désolée...
Je répétai cette phrase comme un mantra avant de hurler au ciel, contre la lune, les astres, la vie, la mort et toutes les dimensions infinies le désespoir que je ressentais à présent.
Était-ce la joie qui m'avait détruite ? Ou l'amour ? Je n'en savais rien. Tout ce que je savais, c'est que de moi ne restait qu'une coquille vide, jusqu'à la fin de temps... J'avais perdu ma raison d'être.
Auteur : Ice Queen Of Shadow
NB : A l'origine, le prénom de Sophitia était orthographié 'Sofitia' dans ce chapitre, mais pour une question de concordance avec les autres, j'ai choisit d'en modifier l'écriture à la correction. Cependant, ça aurait tout aussi bien pu s'écrire de cette manière.
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