Une attente sempiternelle. (35)
Il n'est que huit heures. La terreur devrait me serrer les entrailles, parce qu'il reste moins d'une journée avant la pleine lune. Juste seize heures, et je doute que Thomas n'attende encore beaucoup avant de venir m'arracher le prénom de la prochaine fille qu'il emportera dans la nuit avant de lui arracher cruellement la vie.
Je suis réveillée depuis presque quatre heures, et les filles sont à présent toutes bien réveillées. Chloé est dans la salle de bain depuis son réveil et refuse d'en sortir. Après une dizaine d'heures de sommeil provoqué, chacune de nous a dû uriner ce qui nous a semblé de longues minutes. Même le bruit de notre flux rapide n'est pas parvenu à dégoûter Chloé de ce lieu qu'elle imagine comme un havre de paix et de sécurité. Moi, il me rend folle. Il n'y a pas de fenêtre pour voir le temps passer, personne à qui parler, et pire, la pièce me paraît toujours trop petite, alors même qu'elle est aussi vaste que mon ancienne chambre.
Mon amie ne semble toutefois pas partager ma répulsion des sanitaires. Installée à même le sol, elle lit un énième livre, ou peut-être le même qu'avant. J'en perds le compte, et peu importe. Ce qui est certain, c'est qu'après notre coup d'éclat, Thomas ne risque pas de nous donner de nouveaux livres. Elle parvient à s'occuper, et c'est tout ce qui compte. À vrai dire, je l'envie. Pour moi, le temps présent s'est stoppé, comme si la seule manière de remettre les engrenages en route néccessitait impérativement de sortir d'ici. Inexorablement, mon esprit revient à Thomas. J'espère que mon coup ne l'a pas blessé. Après tout, s'il vient à mourir, nous serons coincées ici pour toujours. Pire, il pourrait nous laisser mourir de faim, s'il le désirait. Je tâche de le virer de mon esprit pour revenir à mon amie, qui me préoccupe davantage. Elle a l'air en bonne santé, même en forme. Plus que moi, tout du moins, qui clopine à moitié.
Je ne suis pas la seule à me plaindre de blessures, mais tout le monde n'est pas aussi mal au point que moi. M'asseoir me fait mal, marcher me fait mal, me tenir droite me fait mal, m'allonger me fait mal. Il ne me reste pas beaucoup d'options, donc ça fait presque trois heures que je suis assise de travers sur le canapé, la jambe surélevée sur le dossier pour soulager ma hanche.
— Toujours rien ? me demande Sophia tandis qu'elle s'installe à mes côtés.
Je serre les dents quand son poids déplace la disposition du canapé, et elle souffre aussi, sauf qu'elle c'est surtout à son bras gauche. Elle se le touche distraitement, tâtant à de multiples endroits. Je crois qu'elle s'est cassée quelque chose, mais je n'en suis pas sûre. C'est surtout sa moue embêtée qui me le fait dire. Je reporte mon regard sur la vidéo de surveillance, où malgré la lumière toujours allumée, Thomas n'est pas réapparu.
— Non, lui répondis-je enfin, je ne l'ai pas vu. J'ignore quand il va revenir, mais il le fera certainement.
— Je n'en doute pas. Ce petit enfoiré n'abandonnera pas aussi vite.
— Je crois que mon plan de faire ami-ami pour le persuader de nous sortir d'ici est foutu aussi, pas vrai ?
Cette idée me fait crisper les poings. Toutes les conversations qu'on a eues pendant tout un mois viennent d'être réduites à néant, et notre prétendue amitié détruite à tout jamais, sans espoir possible de la voir renaître.
— De toute façon, c'était une idée débile d'essayer de communiquer avec ce taré. Rien ne pourra le raisonner, il est tout simplement fou à lier.
Je n'ai pas besoin de me retourner pour savoir qu'Églantine a parlé. Les autres savent très bien à quel point j'exècre le mot « taré ». Je leur ai raconté que ce mot faisait ressurgir les souvenirs de brimades qu'a pu vivre Ivano pendant toute son enfance. Aujourd'hui encore, je peux imaginer entendre des gens le dire dans son dos. Visiblement, Églantine se moque pas mal de modérer ses propos, elle reste elle-même, un peu crue et maladroite. Ses yeux clairs paraissent plus sombres par ce temps nuageux et ses cheveux blonds sont détachés et emmêlés dans son dos. Elle est plutôt jolie, mais elle gagnerait en popularité en cessant d'être aussi cassante, parfois. Je suppose que c'est le stress, qui agit différemment sur tout le monde. Aujourd'hui, le stress me fait stagner. Je n'avale rien de la journée, et pas uniquement parce que je crains que Thomas ne cesse de nous nourrir, mais surtout car j'ai perdu toute volonté de me lever un jour de ce canapé.
— Layland.
Sophia m'arrache à mon comatage d'une manière un peu trop brutale.
— Oui, quoi ?— Regarde, fait-elle en désignant l'une des fenêtres.
Mon regard s'attarde un peu trop longtemps sur l'objectif d'une caméra, en espérant presque que Thomas soit justement face aux écrans de sa salle de surveillance, avant de glisser finalement sur la vitre. Dehors, le ciel a pris des couleurs de cobalt. Il est tard. L'échine se dresse soudain sur mes bras.
— Et les filles ? Et Chloé ?
Mon cœur palpite douloureusement.
— Tout le monde est encore là, me rassure Juliette avec douceur.
Sa main couverte de taches de rousseur se pose sur mon épaule et elle m'aide à me redresser. L'inquiétude que je lis dans leurs yeux sont le reflet de la mienne.
— Il est ici, crie soudain une voix aiguë de manière si hystérique que je ne reconnais pas son autrice.
Natasha court dans la pièce et ses mèches brunes s'agitent de toute part quand elle arrive à ma hauteur.
— Il... il... il veut te parler !
— Qu'il vienne, dans ce cas-là...
— Il refuse d'entrer, se plaint Natasha.
— Quelle blague ! se moque Lucie. Il compte faire comment, pour nous enlever, s'il ne compte pas entrer ?
— Tu as déjà oublié le gaz, Luce ? rétorque Jade depuis la table où elle dessine avec acharnement, comme une artiste au bout de sa vie désirant achever sa dernière œuvre avant le jugement dernier.
Le regard paniqué de mes colocataires m'encourage enfin à me lever. Je gémis et aussitôt, Sophia et Juliette m'épaulent pour me redresser. Je les remercie en tâchant de camoufler une grimace de douleur, mais je n'ai jamais été très douée pour jouer la comédie.
— Merci. Je vais y aller.
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