Un maquillage digne d'une jeune fille. (3)
Le minuscule parking est totalement bondé, le bouche à oreille ayant visiblement attiré des foules. Il n'est que vingt heures mais nous avons dû garer la voiture au bord d'un champ à proximité du bar. Avant que je ne descende, Kat et Phil se retournent pour un ultime débriefing.
Leurs sourcils se froncent à l'unisson et je dois me retenir de rire devant ce spectacle inattendu. Ils n'ont jamais été particulièrement stricts, cela ne leur va pas vraiment. Toutefois, je reprends mon calme et écoute leurs directives.
— Phil restera auprès d'Ivano et je resterai avec toi, m'annonce Kat sans me laisser mon mot à dire. Ne t'inquiète pas, je serai simplement pas loin pour te surveiller, mais je ne jouerai pas à faire la pot-de-colle. Tu as aussi le droit de t'amuser !
— Super, tu es la meilleure !
Sans en attendre davantage, je saute de la voiture et cours jusqu'au bâtiment. En chemin, je me retourne pour m'adresser à Ivano, avant de le perdre de vu dans la foule qui se dirige doucement vers l'intérieur.
— Amuse-toi bien, toi aussi, avec ton dracula je-ne-sais-pas-quoi !
— C'est un Gracula religiosa, s'indigne le garçon.
Son sourire m'accompagne sur mon trajet, jusqu'au moment où j'arrive devant l'entrée. Plusieurs groupes de personnes se sont formées, fumant bruyamment, se tendant des briquets en riant. Malgré la fumée, j'inspire profondément et tire sur la lourde porte en bois, qui s'ouvre dans un grincement.
C'est le début du rêve que j'ai tant fait qui démarre enfin. Enfin, je découvre un nouveau monde, où tout me semble possible. Une forte odeur alcoolisée envahit les lieux, qui couvre presque celle de transpiration qui m'aurait probablement donné la nausée, si je n'avais pas été aussi surexcitée.
Tous les gens ou presque me dépassent de taille, mais je ne me laisse pas démonter et file aux toilettes du pub. Je me faufile agilement entre eux, jusqu'à apercevoir la petite pancarte indicant un pictogramme de femme. Je me dirige alors dans cette direction et pousse enfin la porte des toilettes. Celle-ci se referme et subitement, le calme vient s'abattre sur moi. Je n'entends plus les rires, les disputes et les cris ni la musique émanant du bar.
La pièce dans laquelle je me trouve n'est ni grande ni fonctionnelle. Trois lavabos s'alignent, directement incrustés dans le mur. Ils font face à quatre cabinets fermés, dont l'un d'eux est occupé. La grosse poubelle noire un peu difforme qui trône à ma gauche constitue le seul mobilier.
Mon regard s'arrête sur les miroirs accrochés au-dessus des éviers. Face au plus propre d'entre eux que je trouve, ma tête pointe à peine son reflet. À croire que tout le monde est plus grand que moi, dans le monde entier. Si je me mets sur les pointes, j'arrive toutefois à apercevoir mes lèvres. Rassurée sur ce fait, je fouille dans mon petit sac et en sors le tube de rouge à lèvres couleur pourpre, celui-là même que j'ai subtilement emprunté à ma mamie. Un bruit de chasse d'eau retentit, et une femme vient laver ses mains, complètement distaite dans sa tâche. Alors que j'approche le tube de mes lèvres en les tendant en avant, elle m'approche en riant.
— Ma p'tite, cette couleur ne va pas t'aller du tout !
Je stoppe mon geste et tourne ma tête vers elle. Sa posture semble bancale, perchée qu'elle est sur ses talons hauts. Son haleine sent l'alcool fort, et elle semble suffisamment bourrée pour être guillerette sans raison apparente. Je continue mon inspection, et elle se permet de faire de même, en titubant légèrement sur ses jambes. Soudain, elle prend une voix plus aiguë et vient se pencher jusqu'à laisser son visage en face du mien.
— Tu ne veux pas avoir l'air d'une fillette qui se maquille avec les affaires de sa mère, n'est-ce pas ? Tu veux avoir l'air grande ?
Je déteste la manière dont elle me parle, pourtant au fond je sais qu'elle a raison. Je me garde cependant d'avouer qu'elle est encore plus proche de la vérité qu'elle ne le croit. Alors, comme une petite fille, je hoche la tête en ouvrant grand les yeux.
La femme sourit alors, et ouvre son propre sac. Il est bien plus petit que le mien, pourtant elle a réussi l'exploit d'y fourrer trois fois plus d'affaires ! Ses longs cheveux blonds glissent le long de son bras quand elle penche la tête, mais d'une manière contrôlée, elle les renvoie par-dessus son épaule, me rendant stupéfiante. J'ai l'impression de me trouver devant un tournage d'une publicité pour un shampooing. L'effet aurait probablement été plus complet si elle n'avait pas paru aussi pompette
— On va d'abord te mettre ça.
Le mascara qui approche mon œil me fait peur, surtout qu'elle tire la langue, comme si ce simple acte exigeait de canaliser toute sa concentration. La peur passe tout de même, surtout en voyant le regard assassin qu'elle me lance.
— Tu vas arrêter de bouger, oui ? grommelle-t-elle.
Nerveuse, je suis enfin ses directives. Je dois fermer puis ouvrir les yeux plusieurs fois, tandis qu'elle essuie la sorte de pâte noire sur mes cils. Ma mamie n'en utilise pas, donc je n'en ai jamais utilisé en cachette. L'effet est un peu étrange, mes cils paraissent vraiment plus denses et plus lourds. Mes doigts s'approchent de mes yeux pour les frotter, afin de retirer la gêne qui m'a envahit, mais la femme claque sa langue contre son palai.
— Ne touche à rien, tu vas t'en étaler partout ! Ce sera bientôt sec, ça ne te gênera plus. Heureusement, c'est waterproof, donc ça tiendra toute la soirée... même si tu colles tes doigts dedans. Mais évite, quand même.
Je grimace sans la contredire, me forçant à ne pas frotter frénétiquement mes paupières. Se maquiller est bien plus contraignant que je le pensais !
— Entrouvre tes lèvres, fait-elle en désignant le rouge-à-lèvres brillant d'une couleur orangée qui a remplacé le mascara dans sa main.
J'obéis du mieux que je le peux, et elle finit par tartiner généreusement mes lèvres un peu trop tendues.
— Du gloss couleur pêche, voilà qui convient à une jeune fille. Tiens, je te l'offre. De toute façon, il n'en reste plus beaucoup et tu en feras meilleur usage.
Je tente d'attraper le tube qu'elle me lance, mais il loupe mes mains. Je me penche donc pour le ramasser en bredouillant des remerciements avant de tourner la tête vers le miroir. Elle n'a pas changé grand-chose, pourtant je semble déjà faire plus mature. Mes yeux bordés de cils noirs mettent en valeur mes iris d'un marron quelconque et le gloss fait paraître ma bouche plus épaisse, atténuant leurs imperfections.
— Merci beaucoup !
Je lui dit ces derniers mots alors qu'elle passe déjà la porte, criant quelque chose à sa bande d'amis qui l'attendait visiblement.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro