L'homme-enfant qui parle aux oiseaux. (2)
Dans la voiture, l'air me paraît presque trop chaud, trop étouffant. Pourtant, je sens mes membres trembler, faisant parcourir un ruisseau de sueur glacé le long de mes jambes. Je pense qu'il s'agit surtout d'une appréhension.
— Alors, toujours en âge de câliner sa grand-mère ? demande Ivano, un brin sarcastique en me tirant de mes observations.
— Il n'y a pas d'âge pour aimer. Pourtant, toi, je te déteste toujours autant.
Je lui montre ma langue rose avant de tourner la tête face à la fenêtre pour cacher un sourire naissant. Ivano a eu vingt-sept ans cette année, je ne me souviens plus très bien de la date exacte. Mais peu importe l'âge qu'a son corps... dans sa tête et dans son comportement, il aura toujours bien moins.
Il est atteint de troubles autistiques, comme me le répètent souvent ses parents pour expliquer les nombreuses crises auxquelles j'ai été témoin. Mais je m'en moque car il est toujours drôle. Il blague beaucoup trop à propos de moi pour que je ne le taquine pas aussi.
Cela fait depuis tout petit que nous vivons dans le même village. Il y a très peu de jeunes couples et forcément... aussi peu d'enfants de notre âge. Alors, même si on a pas loin de douze ans d'écart, on s'est toujours bien entendu.
C'est bien le seul garçon du village qui voulait bien venir jouer avec moi aux poupées. Il y a pourtant deux t'inquiètes autres filles d'environ þtt toujours collées ensemble, faisant tout pour m'éviter. Ou alors évitent-elles Ivano, qui vient toujours chez moi ?
Peu importe, elles sont de mauvaises amies pour moi et ne méritent pas mon attention, ni que je partage avec elles mes précieux jeux. Finalement, je leur suis reconnaissante qu'elles m'aient ignorées toutes ces années.
— Ivano, pourquoi tu veux venir au concert ?
— Oh, je me fiche du concert. Je sais que toi tu veux y aller, c'est pour ça que j'ai dit qu'on devait se dépêcher.
— Oh. Tu es trop gentil, alors tu y vas pour rien ?
— Moi j'y vais pour quelque chose d'encore mieux, fait-il d'un air mystérieux. Devine !
Concentrée, je fais mine de réfléchir passionnément sur cette intrigue. Impatient comme un enfant, il ne peut s'empêcher de sautiller sur son siège, ses longs cheveux noirs rebondissant sur sa tête.
— Ils ont des perruches, éructé-je. Des inséparables ? Oh, mieux, un cacatoès ?
Ivano tape dans ses mains, ravi d'entendre tous ces noms d'oiseaux qu'il affectionne tant.
— Encore mieux que ça !
— Sérieux ? Alors... une autruche ?
— Mais non, fait-t-il en poussant de rire comme un gamin, un Gracula religiosa !
— Dracula... une chauve-souris ? m'étonné-je.
Un éclat de rire me fait sursauter mais Ivano semble bien s'amuser alors que je ne connais pas cette sorte d'oiseaux.
— Une chauve-souris, ce n'est pas un oiseau, mais un mammifère ! Je te parle du mainate religieux, c'est une espèce de passereau. Leur plumage n'est pas vraiment impressionnant mais ils sont capables d'imiter plein de sons différents, ils sont passionnants !
Pendant tout le trajet, Ivano nous envahit littéralement d'information sur cet animal à un point où je peux être capable d'en faire un exposé de classe par la suite ! Si moi j'apprécie la musique, Ivano est dingue d'ornithologie et il engloutit livres, documentaires et tout support qui parle un temps soit peu de ces créatures. Il y voue son existence et en fait une fixation, je peux dire sans me tromper que c'est sa véritable passion ou plutôt... obsession.
Je suis d'ailleurs plutôt ravie, c'est plus intéressant que s'il était passionné de trains, d'architectures ou pire, de fourmis ! S'il était passionné de fourmis, nous n'aurions jamais pu devenir amis, car j'en ai une trouille bleue sans même savoir pourquoi !
Il continue passionnément à nous expliquer que le Mainate religieux, qui vit habituellement dans le sous-continent indien, doit avoir un emplacement à l'intérieur même du bar, bien à l'abri du froid et des courants d'air. Dans le rétroviseur central, je croise le regard de son père, qui a les traits tirés mais aussi rieurs.
C'est fou à quel point il peut ressembler à son fils. Les mêmes cheveux noirs qui forment de belles boucles, la même peau mate qui vire à l'orange, la même taille. Tout, sauf les yeux. Si Phil a les yeux extrêmement sombres, Ivano a hérité des beaux yeux de sa mère, deux perles d'un marron très clair, parsemé de taches vertes, lorsqu'on observe leur iris de près.
C'est très particulier à observer, étant donné qu'on voit sans trop d'effort que l'œil gauche et l'œil droit ne sont pas identiques. Les taches apparaissent aléatoirement, comme si un peintre avait décidé d'y créer l'œuvre de sa vie.
Soudain, les phares éclairent enfin autre chose que les arbres qui bordent les routes et les panneaux. Des voitures garées nous apparaissent sur le côté de la route, nous faisant perdre de la vitesse. Cette interruption nous délivre de sa dissertation d'Ivano, qui se tait en observant les alentours. Bientôt, nous voyons un bâtiment en bois plutôt massif d'où s'élève un brouhaha monstre à peine ponctué d'une musique pop, probablement une radio.
Mes muscles se contractent dans mes cuisses, un stress agréable me faisant gonfler d'appréhension. Je ne peux empêcher un sourire immense de s'accrocher à mon visage.
Par chance, le concert n'a pas encore commencé !
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