Je veux et j'ordonne. (19)
Je me suis complètement trompée. Quand j'avais entendu parler de micros, je pensais qu'ils me seraient destinés. Seulement, ils étaient pour la maison de Chuck.
Aujourd'hui, il a vissé un petit boîtier que je peux laisser allumer ou éteindre à souhait. Il est apparemment relié à un micro qu'il a posé dans son salon, assez puissant pour que je puisse même entendre sa porte d'entrée s'ouvrir. Je commence à me dire qu'il n'est pas tout à fait ordinaire, soit il est trop confiant, soit il a désespérément besoin d'attention, ou peut-être les deux. Je ne peux toutefois pas nier son argument principal pour avoir installé pareil dispositif :
— Cela te rassurera de savoir que je suis là même quand tu ne me vois pas, avait-il dit. Peut-être que tu ne feras plus de crise.
Son argument se tenait jusqu'à ce qu'il vienne poser un écran aux côtés du boîtier sonique.
— Qu'est-ce que c'est ? demandé-je en le regardant brancher le câble à la multiprise branchée au mur.— Un écran de surveillance, tu pourras aussi me voir rentrer à la maison ! Je l'ai mise à un endroit où tu as vu sur la cuisine et le salon.
Je gratte le sol avec mon pied en formant un tas de poussière.
— J'veux un aspirateur. Ça devient vraiment sale...— J'accepte ta requête. Mais en échange...— Quoi ?
Je recule un peu et j'attends le retour que je vais devoir payer en échange. Ce n'est pas très linéaire comme méthode donc c'est difficile de voir clairement que chaque revendication de ma part mène inexorablement à une de ses demandes.
— Est-ce que je peux installer un micro ici ? me demande-t-il avec un air de totale innocence.— Tu veux m'espionner... mais pour quoi faire ?— Non, non ! Simplement, je veux pouvoir te parler sans être là. Je ne peux pas toujours venir. Si tu acceptes, je rajoute un second écran et un micro, que tu pourras activer quand tu en as envie.— Donc... tu ne pourras entendre que si je le souhaite ?
Il hoche la tête avec joie et me rappelle un petit garçon au jour de Noël, pourtant il doit avoir au moins cinq années de plus que moi, voire davantage encore. Pourtant, j'ai l'impression d'être l'aînée et d'être face à un gamin qui a besoin d'être materné.
— Je suis d'accord, fais-je, conciliante.
— Super ! Alors pour la peine, tu auras droit de me voir dans la salle des écrans !
— Quelle salle ?
— Celle où j'ai accès aux caméras. Je pourrais t'entendre seulement de là-bas, si j'active le son...
— Donc si je t'appelle parce que j'ai besoin de quelque chose, tu pourras le savoir seulement en allant là-bas ? C'est nul dans ce cas ! On croirait une vieille conversation par e-mail de la génération précédente...
— J'suis pas idiot, je n'ai pas pris n'importe quel matos. Si tu actives le micro, je vais recevoir une alerte sur mon portable !
— Tu en as un ? Où ça ?
Il me regarde comme si je venais de dire une sacrée bêtise, ce qui me rend quelque peu mal à l'aise. Alors je me retourne et pars m'asseoir sur le fauteuil qu'on a installé. Il est un peu vieux et sent le renfermé mais il est confortable.
— Tu me prends pour un abruti, Layland. Ce que je ne suis pas. Je ne vais pas prendre mon portable ici et risquer que tu alertes qui que ce soit.
— Ce n'est pas ce que je voulais faire ! Je voulais juste voir comment ça fonctionne, mais tant pis, boudé-je.
Chuck s'approche et se laisse tomber dans le sofa à côté de moi. Il soupire et réactive son éternel sourire d'angelot, qui camoufle bien son activité semestrielle de tueur.
— Je veux que tu me fasses confiance, Layland.
— C'est ça, Chuck. Et moi, j'aimerai que tu me laisses sortir. Mais tu vois, on a pas tout ce qu'on veut... surtout quand on nous prive de liberté.
— Je fais beaucoup pour toi ! s'indigne-t-il en désignant les alentours.
Il n'a pas tort, j'ai à présent assez d'électroménager pour cuisiner moi-même, il m'apporte des denrées régulièrement et j'ai même un canapé. Mais qu'est ce que c'est d'avoir quelques meubles face à être privé de sa famille, de ses amis et de sa vie, tout simplement ?
— Rien de ce que tu pourras faire ne pourra racheter le fait que tu souhaites me sacrifier juste pour faire décoller ta carrière.
— C'est important pour moi, tu le sais, Layland !
— Mais tu n'as même pas besoin de chance, vous avez déjà beaucoup de talents ! Ce sont eux, qui t'obligent à faire ça ?
Il détourne le regard et serre les poings avant de se lever et de quitter la pièce.
— Je veux aussi des livres ! crié-je alors qu'il passe la porte. Je me fais terriblement chier ici !
Le battant se referme dans un bruit sourd et je me précipite sur l'écran vissé au mur et allume aussi le son. J'appuie sur le bouton et je peux suivre les mouvements de Chuck qui vient d'arriver dans la pièce.
Soudain, j'entends un «bip» et il s'immobilise avant d'avancer vers l'entrée. Il attrape un objet posé sur un meuble et l'observe. Lorsqu'il se retourne, je vois qu'il s'agit de son portable, alors qu'il fixe maintenant l'œil de la caméra de ses yeux bleus.
— Je te manque déjà, Layland ? demande-t-il avec un ton amusé dans la voix.
Je ne pensais pas qu'il avait vraiment une alerte lui indiquant quand je pouvais l'observer ! Honteuse, je décide de laisser perpétuellement le son et l'écran allumés. Au moins, il ne saura plus quand je le verrai vraiment... à moins qu'il ne soit dans sa fameuse salle des écrans, à me regarder lui aussi.
Mais cette fichue vidéo en couleur est aussi attractive que la télévision et je me sens happée par les observations de cet étrange personnage. Lui seul est un grand mystère, que je ne demande qu'à percer.
Car si j'y parviens suffisamment, il pourrait peut-être même reprendre ses esprits juste assez longtemps pour me laisser sortir... et me donner le temps de le fuir.
Je sais que d'espérer ainsi est vain mais je préfère cela à être résignée. Car j'ai encore espoir qu'il soit plus qu'un psychopathe et qu'il ressente quelque chose, sans savoir quoi exactement. J'ai encore l'optimisme de penser qu'il peut s'améliorer, qu'il peut guérir de ses idées déraisonnables.
J'ai la certitude que je vais survivre.
Mais je n'ai pas toujours raison.
Alors je doute un peu.
Et surtout... j'attends.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro