Moi, Éva.
Je me sens mieux depuis qu'on m'appelle Éva. Ce n'est pourtant pas le prénom inscrit sur mes documents d'identité.
J'apprends enfin à m'épanouir dans la peau d'une jeune fille. Mais, encore une fois, ce n'est malheureusement pas l'information qui apparaît sur mon acte civil. Et ça me cause beaucoup de problèmes...
Aujourd'hui à la sortie des cours, une poignée d'élèves du lycée m'a encore bousculée. Insultée. Blessée... Presque brisée.
— Pourquoi tu t'déguises ?
— Tout le monde sait que t'es pas une meuf.
— Va te pendre, le trans !
De tels mots sont bien plus douloureux que n'importe quels coups. Je le sais, car j'en ai aussi reçu. Au visage, à l'abdomen. Dans le dos, les jambes, la tête... Même roulée en boule au sol, sans défense, ils ne s'arrêtaient pas.
Personne n'est intervenu pour m'aider. Sous mes bras, serrés autour de ma tête, j'entendais des rires et des sifflets. Quelques bribes de paroles aussi, un peu d'indignation et des « Oh, le pauvre ». Mais nul.le ne s'est mobilisé.e pour faire en sorte que l'enfer s'arrête.
Du moins, pas jusqu'à ce que Kévin et Asma arrivent.
Ce sont mes deux meilleur.e.s ami.e.s. Les seul.e.s, en fait.
Kévin et moi, on se côtoie depuis l'époque de la garderie. Être ami.e.s a été des plus naturel, nos parents se connaissent depuis toujours. Nous avons donc grandi ensemble, joué, ri, pleuré dans les bras l'un.e de l'autre. Je pense qu'il m'a toujours perçu comme je suis, bien avant que j'ai le courage de manifester mon identité intérieure au su de mon entourage. Mais rester mon ami a dû représenter un des plus grands challenge de sa vie, ces deux dernières années.
Quant à Asma, je l'ai rencontrée à mon entrée au lycée. Nous avons eu la chance d'être dans la même classe tout ce temps. Elle est différente, elle aussi. Pas comme moi, juste comme elle. Et être une jeune musulmane féministe avec des idées bien arrêtées s'avère tout autant problématique.
Les deux ont créé une brèche dans la foule de spectateurs inconscients pour sauter dans la fosse aux lions et sauver la misérable agnielle. J'ai entendu Asma leur hurler de dégager. L'écho des coups, n'étant plus portés sur moi, provenait certainement de Kévin qui écartait mes assaillants. Je ne sais pas. J'étais pétrifiée de terreur et d'angoisse. Incapable de bouger. Le cœur déchaîné, le souffle erratique. L'esprit recroquevillé, tout comme mon corps, pour moins souffrir.
Puis une main a saisit mon poignet, une autre s'est glissée dans mes longs cheveux blé maintenant emmêlés et tachés d'un rouge sombre, par endroits.
— Tu peux te lever, Éva ? m'a gentiment demandé Asma.
Je n'ai pas pu répondre, mais mes muscles ont obéit. Sûrement commandés par la partie de mon cerveau qui ne saignait pas le désarroi. J'ai saisi sa main tendue et me suis redressée en position assise, avant de pouvoir me mettre debout. Kévin a enroulé son bras autour de ma taille pour m'aider à marcher. Son contact pourtant délicat m'a tiré un nouveau sanglot.
J'avais mal.
Physiquement. Mentalement. Émotionnellement.
Il s'est excusé alors qu'il n'était en rien fautif et iels ont proposé de me conduire à l'infirmerie. J'ai refusé d'affronter le regard accablant de la femme en blouse blanche. Le lycée m'interdit de porter des vêtements féminins, refuse de m'appeler Éva. Pour l'administration scolaire, j'aurais cherché ce qui m'est arrivé aujourd'hui. Comme toujours. Alors j'ai juste voulu rentrer chez moi au plus vite. Disparaître sous mes draps et par chance, peut-être sombrer dans l'oubli.
Mes ami.e.s m'ont donc raccompagné. Iels sont entré.e.s, m'ont quasiment porté jusqu'à ma chambre puis allongée dans mon lit. Les deux se sont montré.e.s incroyables. Kévin ne savait pas trop quoi dire, ni n'oserait me toucher. Certainement par crainte de me faire mal. Assis en haut de mon lit, il s'est sentit plus à l'aise de me tenir la main tandis qu'Asma désinfectait mes plaies visibles. Elle s'est ensuite agenouillée au sol, a caressé affectueusement ma chevelure désordonnée et ma joue, en susurrant des mots réconfortants.
J'avais bien besoin de leur soutien et de leur amour inconditionnel. Je n'en reçois que trop peu, mais iels deux sont juste génial.e.s.
J'aurais aimé pouvoir les remercier. Les serrer dans mes bras, contre mon cœur tuméfié. Je suis seulement parvenue a rester apathique, à la place de sangloter tristement.
Moi calmée, iels sont parti.e.s. Non sans placer un baiser généreux sur ma peau meurtrie.
Je ne sais combien de temps s'est écoulé avant que mes parents rentrent l'un.e après l'autre du travail. J'ai entendu la porte de ma chambre s'ouvrir, avant de se refermer dans la minute. Ma mère a dû passer la tête dans l'entre-bâillement et me penser endormie. Il y a eu le bruit de la douche, par deux fois, puis celui d'un remue ménage dans la cuisine. Vite couvert par divers éclats de voix émanant de la télé.
J'ai poussé un soupir et me suis décidée à me redresser.
Maman n'allait pas tarder à venir me chercher pour dîner. Je ne voulais pas qu'elle me voit dans cet état. C'est en grimaçant que je me suis levée, et acharnée à marcher droit. J'ai pris des vêtements, quitté ma chambre, traversé le salon et salué mon père la tête basse.
Une fois dans la salle de bain, je me suis mise dos au miroir accroché à la porte pour me déshabiller.
Je ne supporte pas la vue de ce corps, dans lequel je suis emprisonnée et qui n'est pas le mien.
J'ai enlevé mon slim noir, mon pull en laine vert, mon débardeur dos nageur et mes sous-vêtements, avant de me réfugier sous la douche.
L'eau chaude s'est confondue avec mes larmes silencieuses. Elle a éliminé les impuretés et le sang, en omettant mon mal-être.
Prenant soin de ne pas rester trop longtemps sous la douche au risque de me faire engueuler, je suis sortie de ma désolation. Me suis lavé et démêlé les cheveux, avant de quitter le bac pour me sécher. Grimaçant de douleur et prenant soin de ne pas croiser ce reflet hideux, je me suis vêtue d'un pantalon de survêtement gris imprimé de motifs koalas et d'un débardeur noir à bretelles strass avant d'enfiler à nouveau mes sandales.
À la maison ou pour les sorties autres que le lycée, je peux m'habiller comme je veux. Si ma mère m'encourage à exprimer ma personnalité et me défend bec et ongles, mon père ne cautionne pas du tout. La plupart du temps, il se contente de me regarder du coin de l'œil sans rien dire.
Il n'a pas besoin de parler. Nous sommes d'origine italienne et il est d'une nature très fière, virile. Je sais bien que je lui fait honte.
Étouffant cette pensée, je baisse les yeux vers mes pieds ballants.
Les souvenirs du début de soirée dérivent dans ma tête, à l'instar de mon regard sur l'étendue du fleuve tranquille me faisant face. Je ravale difficilement mes pleurs.
Lorsque je me suis présentée à la cuisine pour manger, couverte d'un gilet beige pour masquer mes ecchymoses, j'ai tenté de rester discrète. Cacher mon visage derrière mes cheveux, maîtriser mes tremblements. J'appréhendais la réaction de mon père s'il se rendait compte que je m'étais encore faite rouée de coups.
Il n'a rien remarqué, mais l'instinct maternel a trahi mon secret. Maman a insisté pour que je lève le regard vers elle. J'ai obéi, et lu la déchirure dans ses yeux effarés.
Elle s'est levée en renversant sa chaise. S'est précipitée vers moi. A dégagé mes longues mèches de mon visage pour évaluer l'ampleur des dégâts.
— Mon Dieu, Éva ! Qui t'a fait ça ma chérie ? m'a-t-elle ensuite demandé, larmes aux yeux.
— Ce n'est rien maman, ai-je répondu.
— Comment ça ?? Dis-moi tout de suite qui c'était ! Encore des idiots de ton lycée ? Si c'est le cas, ils vont m'entendre et ton proviseur aussi ! Nous pouvons faire appel à un médecin dès ce soir pour constater tes blessures, et même nous rendre au commissariat, s'il le faut. Mais Éva, ma puce, tu dois me parler.
Elle se montrait protectrice, comme toujours.
Sans surprise, ça a énervé mon père.
— Il s'appelle Giovanni, merde ! a-t-il rétorqué. Et s'il se comportait comme un homme, il saurait se défendre !
Avec ça, son souffle s'est accéléré de colère et son dîner a volé contre un mur. Ma mère a fait volte face, tapé des poings sur la table en hurlant ; à cause de moi, iels se disputaient une nouvelle fois.
S'en était trop. Ignorant la douleur giflant mes côtes, je me suis levée sur mes jambes fébriles et j'ai couru.
Couru jusqu'à la porte de notre maison... Jusqu'au bout de la rue... Jusqu'à en perdre haleine.
Je ne sais pas trop comment j'ai réussi à semer maman, mais je suis arrivée ici. J'ai marché un moment le long du fleuve, avant de m'asseoir à même le sol sur le bord cimenté de la berge.
Il n'y a pas de barrière de sécurité, ici. Pourquoi il y en aurait ?
La vie est belle, dans cette ville accueillante. Tout le monde paraît heureux. Peu doivent caresser et retourner dans tous les sens l'idée de se jeter dans cette étreinte aquatique, pour ne jamais en sortir.
Je fais pourtant partie de cette minorité, et peut-être bien que ce serait plus simple pour tout le monde.
Je n'aurai qu'à disparaître, emporter avec moi ma douleur. Celle de ma mère. La honte de mon père.
Ce serait simple. Un petit plouf, et terminé.
Les mains posées au sol, je me penche en avant. Il ne suffirait que d'une poussée pour trouver la sérénité.
Ma silhouette se reflète dans l'eau sombre tandis qu'une brise agréable cajole mon visage. Mes cheveux fouettent mes yeux, je me redresse avec précaution et ramène quelques mèches sauvages derrière mon oreille droite.
C'est aussi ça, la vie.
De paisibles moments de calme. La bonté des éléments, la beauté de la nature. L'amitié, l'amour... Je doute un jour expérimenter une romance, quelle qu'elle soit, mais j'ai une famille.
Je repense à mes parents, à Asma, Kévin. Je sais que je leur manquerait. Mon départ leur infligerait peut-être même un mal à la hauteur de celui que je combats. Je n'ai pas le droit de leur faire ça. Je n'ai pas non plus envie de disparaître parce que le monde rechigne à m'accepter telle que je suis.
Serrant les dents, je balance mon poids en arrière, ramène mes pieds sur la terre ferme et me lève.
Ce soir, je vais rentrer à la maison et communiquer à ma mère l'identité des élèves qui m'ont frappé. Je vais surtout la serrer fort dans mes bras, en lui répétant combien je l'aime. On va faire le nécessaire pour que mes agresseurs soient tenus responsables de leurs actes.
Une fois qu'il sera calmé, je vais rassurer papa sur le fait que je l'aime aussi, malgré tout. Puis j'enverrai un message à mes deux meilleur.e.s ami.e.s pour leur laisser savoir que je vais mieux. Selon les résultats quand j'aurai vu un médecin, je retournerai tôt ou tard au lycée. Ce jour là, j'enfilerai un legging couleur chaire sous la jolie robe blanche que ma mère m'a acheté samedi dernier. L'assortirai au châle kaki tricoté par grand-mamie pour mon anniversaire et à mon rouge à lèvres ''femme fatale'' préféré.
Plus tôt que tard, je retournerai au lycée et m'affirmerai. Affublée de mon sourire le plus combatif et d'un regard déterminé. Soutenue par mes deux ami.e.s, armée des lois prônant l'égalité pour tout le monde.
Peut-être me ferais-je exclure du bahut quelques temps à cause de ma rébellion, je n'en sais encore rien. Ce dont je suis certaine, c'est que cette société en grande partie indifférente à mes tourments ne me muselera pas. Je deviendrai plus forte. Imposerai ma personnalité.
Je m'appelle Éva DiCardi.
Je suis une jeune fille transgenre de 16 ans.
Je ne suis pas banale, je ne suis pas la norme.
Je suis tout simplement moi !
🌻💛🌻
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