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<3

Pris en sandwich entre deux hommes en costume, dans cet ascenseur bondé, Namjoon se retient de jurer. Cette odeur de pot d'échappement sur ses vêtements, et probablement ses cheveux, il n'y a rien de plus agaçant ! Les embouteillages, son bus (qu'il a presque loupé), cette foule laborieuse qui se presse pour être à l'heure au bureau, ce soleil de décembre qui transperce avec difficulté l'énorme couche de pollution... Tout lui porte sur les nerfs. Alors, en passant la porte de son bureau, lorsqu'il voit l'air désolé d'In-gee, il sait que sa journée ne va pas mieux se poursuivre.

En entrant dans son bureau, il renifle sa manche avec dégoût, puis défait son écharpe et son manteau, contrarié, avant de les abandonner sur le divan qu'il n'utilise jamais. Il se laisse ensuite tomber lourdement dans le fauteuil de cuir derrière sa table de travail. La pile de manuscrits à éplucher est plus haute que la veille.

—    J'aurais mieux fait de faire des études d'ingénierie comme le voulait mon père ! se lamente-t-il en desserrant déjà sa cravate.

—    Un café ? tente timidement In-gee.

In-gee, la standardiste, c'est son printemps quotidien. Une fille douée, pro, mais qui a aussi un don pour lire dans les silences et les non-dits. Namjoon lui sourit et la remercie d'avance. Lorsqu'elle passe le seuil, il se dit que s'il osait, s'il n'avait pas peur de l'opinion des gens ou d'être accusé de harcèlement, il l'inviterait bien à sortir.

A midi, quand son collègue préféré vient toquer à la porte pour l'inciter à venir déjeuner, la pile n'a pas l'air d'avoir bougé d'un pouce.

—    Fais une pause, Nam. Tu vas voir flou ! Le patron ne nous paie pas au rendement ou au Dong-in* ! On a du bol, fait le grand Seok-jin que Namjoon aime tant.

—    T'as peut-être raison... mais, c'est moi ou c'est de pire en pire ? fait-il en relâchant sans délicatesse une liasse de feuilles.  Les histoires se ressemblent toutes ! Certaines sont même franchement mal écrites ! Comment ils peuvent oser nous envoyer ces torchons ? s'énerve Namjoon en dessinant à présent de grands moulinets avec ses bras et faisant voler, par la même occasion, quelques feuilles volantes oubliées sur le coin de son bureau.

—    Hummmm... viens, on en discute devant une bonne salade ! insiste le jeune homme toujours plus souriant.

—    De la salade ? Tu rigoles ? Je me tue à la salle de sport tous les soirs pour entretenir le corps de rêve que tu vois là ! Je veux du gras !

Seok-jin pouffe. Il regarde avec amusement son collègue qui tente de faire sauter les boutons de sa chemise blanche en bandant ses pectoraux.

—    En attendant, ce corps de rêve, qui en profite ? ajoute-t-il.

Namjoon se rembrunit. Personne, comme d'habitude. Comme trop souvent. Il se demande aussitôt qui, parmi ses collègues, y échappe, d'ailleurs, à la solitude. Il a beau manier dans tous les sens sa devise, « Carpe diem », son appartement est toujours aussi vide de vie à presque trente ans.

—   Toi, Jin ! Toi ! réplique un Namjoon charmeur.

—    Pfff, les hommes, c'est ton truc, maintenant ? T'es à voile et à vapeur ?

Namjoon ne répond pas. La voile, pour rester dans les métaphores, il connaît. C'est un excellent skipper, même. Quant à la vapeur, il a laissé ça loin derrière lui, avec ses souvenirs violents et romanesques de lycéen. A l'époque, il croyait encore que la société pouvait changer, que l'amour pouvait tout affronter, foutaises ! Il vit dans une société qui tue ses jeunes à petit feu et ses vieux par la misère et l'oubli. Il vit dans une société qui n'a jamais été aussi ouvertement misogyne et homophobe. Il faut rester dans le rang et vivre à en crever.

Namjoon erre dans ses pensées. Seok-jin parle seul. Namjoon se demande comment ils ont pu faire le chemin depuis les bureaux jusqu'au self, quand une crevette frite atterrit entre les lèvres.

—    Mange ça ! fait son collègue et ami avant de poursuivre.  Si tu rendais ton après-midi plus fun ? Tu sais comment je fais ?

—    Non, fait le rêveur aux ailes coupées en secouant la tête.

—    Je choisis un nombre au hasard, je pioche le manuscrit qui correspond dans la pile, et, s'il n'est pas trop mauvais, je coche le numéro correspondant sur une grille de loto.

—    Ha ?

—    Figure-toi que j'ai déjà gagné deux fois !

—    Pas le pactole, j'imagine, sinon tu ne serais pas au bureau.

—    Non, mais assez pour acheter le PC de mes rêves et offrir des vacances à mes parents ! Enfin, les vacances, c'était avec les pires manuscrits, s'étouffa de rire Seok-jin.

En reprenant place derrière son bureau, Namjoon se dit « Pourquoi pas ? ». Il pense aussi que ses parents n'ont pas besoin qu'on leur offre quoique ce soit, ni même sa sœur, pianiste prodige. Il n'a pas non plus envie d'un PC ou d'un objet en particulier. Mais partir, prendre des vacances, même pas si loin, oui ! S'il gagnait assez, il irait à Paris ou New-York ! Et s'il gagnait vraiment beaucoup, il deviendrait propriétaire...

—    Allez, mon nombre fétiche... pense-t-il à haute voix... heu... va pour le 3 !

Ses mains fourragent la pile et manquent de tout renverser. Il tire le troisième dossier tout en dessous, parce que tout au-dessus cela lui semble moins aventureux. C'est un dossier fin avec une belle reliure grise. Au moins, il pourra le finir d'ici la fin de la journée !

Brusquement, l'entrain qu'il avait ressenti en revenant à sa tâche s'envole.

Le titre le secoue !

Il l'attrape par le cou et l'étouffe avec une belle boule de nostalgie, de regrets et de remords mêlés. Et cette boule s'enfonce profondément dans sa gorge. Le titre n'est pas méconnu. Le titre, il a déjà vu sur une feuille froissée ! Le titre l'a déjà fait pleurer, il y a dix ans de cela.
« Je suis en grade 3 ».


*


Namjoon se souvient.


*


La semaine de vacances entre son année de grade 3 et de grade 4 touchait à sa fin. Il avait plu tout du long et fait super froid pour un mois de mars. Ses parents ne les avaient pas emmenés, lui et sa petite sœur, à la plage comme promis. Il ronchonnait dans la cuisine près de sa mère qui lui disait qu'aux prochaines vacances, il irait casser les pieds à ses grands-parents d'Ilsan, que ce n'était pas possible d'être aussi capricieux à son âge, qu'à 9 ans, surtout quand on est l'aîné, on se montre raisonnable.

Les réprimandes avaient soudainement cessé lorsqu'ils avaient entendu un vacarme du diable dans le couloir. Des bruits de meubles cognant les portes de l'ascenseur doublés de jurons à peine étouffés, suivis de pleurs d'un nourrisson, avaient envahi l'étage.

Namjoon était un petit garçon exemplaire. Sa mère le grondait le plus souvent pour la forme, quoiqu'il fût vraiment rêveur et très maladroit. Mais c'était bien tout ce qu'elle pouvait lui reprocher. Il avait aussi cette habitude, tantôt une qualité, tantôt un effroyable défaut : celle de se montrer extrêmement curieux.

Les fracas n'avaient pas cessé qu'il avait déjà son petit nez dans l'entrebâillement de la porte d'entrée.

—    Dis, tu regardes quoi ? avait trépigné la petite Kyung-min en tirant sur le sweat Pokemon préféré de son frère.

—    Arrêteeeee... tu vas l'abîmer ! avait tenté d'ordonner discrètement le garçonnet en se retournant vers la petite chipie.

Lorsqu'il avait voulu revenir à son espionnage, une paire d'yeux curieux l'observait à tout juste trois pas. Namjoon avait rougi furieusement.

—    Bonjour. C'est Salamèche ? avait dit un petit garçon tout fin en marinière, à peine plus jeune que Namjoon.

Namjoon avait dirigé son regard sur son ventre bien rebondi et l'avait caressé tandis que sa sœur en avait profité pour ouvrir grand la porte.

—    Oui ! Il est beau, hein ? avait murmuré fièrement le petit Namjoon.

—    Mon préféré, c'est Rondoudou ! avait répondu le garçonnet presque d'un air de défi.

—    C'est vrai ? J'ai eu sa carte hier ! Tu veux la voir ?

Sous les yeux d'abord surpris puis attendris des adultes, Namjoon avait entraîné le gamin dans sa chambre. Il avait sorti les albums et les cartes, et ils avaient discuté sans se lasser des heures durant. Les mères des petits garçons avaient eu un mal fou à les séparer ce soir-là.

—    Joonie mini, appa va être mécontent si tu n'as pas pris ton bain et ton dîner lorsqu'il rentrera du travail, ce soir...

—    Taetae, les bébés s'impatientent. Tu reverras ton nouvel ami... bientôt... avait ajouté l'autre Mme Kim (Oui, les Kim avaient à présent d'autres Kim pour voisins).

—    Dans quelle école avez-vous inscrit votre garçon ? avait ajouté la mère de Namjoon, passionnée par l'éducation de ses enfants.

—    KICS... avait fait prudemment la mère du petit Taehyung, incertaine de son choix.

Ce soir-là, les garçons n'avaient pas pris leur bain et le père de Namjoon avait trouvé son Joonie mini plus heureux que jamais en train de picorer sur le tapis du salon avec sa petite sœur et un petit garçon ressemblant à un petit chat écorché.

Les mères de famille avaient parlé des heures de la Korean International Christian School. Elles découvraient qu'elles s'entendaient à merveille sur tant de principes qu'elles les avaient totalement oubliés sur l'instant : les enfants avaient joué librement, n'avaient fait ni leur toilette ni leur prière, les bébés avaient été laissés au soin de l'autre M. Kim qui se réjouissait de retourner au bureau dès le lendemain ! C'était bien moins épuisant que de calmer les deux petits qui vagissaient sans fin !


*


Kim Taehyung avait un an et trois mois de moins que Namjoon. Et ce dernier tenait à chaque semaine d'écart. S'il adorait son nouveau petit voisin qui, lui, ne se moquait ni de ses rondeurs ni de ses étrangetés (car il en partageait de similaires), il ne tenait pas moins à ce qu'il le considère comme son grand-frère avec tous les avantages que cela lui conférait. En échange, il se montrait protecteur et lui avait facilité l'arrivée dans cette nouvelle école immense et impressionnante pour un petit garçon.

Dans leur polo vert pin floqué au nom de l'école, ils faisaient le chemin en bus et à pieds ensemble. Namjoon parlait de ses nouvelles cartes ou du télescope qu'il allait avoir à Noël, ou bien encore du formidable astronaute qu'il ferait plus tard. Taehyung lui répondait « étoiles, Petit Prince... » et disait que plus tard, lui, serait un écrivain et un papa formidable.

Il y avait une autre chose sur laquelle ils s'entendaient à merveille : les autres. En dehors de quelques camarades choisis, les autres les effrayaient par leur capacité à se moquer si aisément, à mettre en relief leurs différences. Et parmi eux, c'étaient les filles qu'ils trouvaient les plus redoutables !

Grace était la pire de toutes ! Ils étaient d'accord sur ce point. Déléguée de la classe de Taehyung, elle se vantait de porter un prénom américain et de parler couramment l'anglais car ses parents employaient une gouvernante australienne depuis sa naissance. Elle inondait ses camarades de conseils et de reproches et n'hésitait pas à dénoncer la moindre petite infraction au maître. Elle avait surtout un intérêt croissant pour le petit Taehyung qui en avait une peur bleue, d'autant plus qu'elle se montrait effroyablement cruelle et moqueuse envers son ami « biglouche et obèse ».

Si Namjoon était un élève exemplaire, Taehyung était qualifié de "génie" par ses professeurs. Au bout de deux ans, il avait gagné la réputation d'être capable du pire comme du meilleur. Il avait paru réservé dans les premiers temps. Puis, après quelques mois, il avait révélé sa vraie nature : une tête de bois ! Il pouvait se montrer buté et rebelle et ne craignait, dans les cas où il était sûr de lui, ni les remontrances ni les devoirs supplémentaires. Mme Pak, son professeur du 5ème grade aimait dire de lui, en salle des professeurs, que c'était le nouveau Rimbaud. Mais même le nouveau Rimbaud avait dû se plier aux heures de sport qu'il détestait, aux exercices qu'il trouvait inutiles et stupides en mathématiques.

Les Kim, parents des trois petites tornades sur pattes, avaient suivi l'avis de leurs chers voisins : ils avaient rapidement inscrit leur fils dans le même hagwon*** que Namjoon. Les professeurs avaient tranché : Taehyung s'ennuyait avec les camarades de son âge. Au printemps prochain, il passerait dans le même niveau que Namjoon à la condition qu'il travaille d'arrache-pied et rattrape tous les cours par ses propres moyens. Taehyung n'aimait pas l'école. Mais il aimait Namjoon. Il avait obtenu de ses parents qu'ils négocient que les deux garçons soient dans la même classe. Ce fut une histoire vite réglée ; les enseignants espéraient que l'aîné tempérerait son cadet. Ils n'imaginaient pas que, plutôt que de s'annuler l'un l'autre, ils allaient démultiplier leurs forces.

Ainsi, âgés de 10 et 11 ans, ils caracolaient dans les rues de Séoul, entre leur école, l'institut, les cours de piano et les séances de natation. Dans ses bons jours, Taehyung parvenait à entraîner Namjoon dans ses « aventures » : ils séchaient les cours du soir pour traîner dans une salle de jeu ou une librairie.

Namjoon les couvrait et prenait toujours la responsabilité de la « bêtise » auprès de leurs parents qui les assommaient de « Mais qu'est-ce que vous allez devenir ? C'est aujourd'hui que votre futur se décide ? Il faut viser le SKY ! ». Ils rentraient la tête dans les épaules et se trouvaient malheureux quelque temps. Et puis, leurs bonnes notes et la tête de classe, qu'ils squattaient en permanence, leur soufflaient qu'ils avaient bien raison de s'amuser en cachette et de désobéir quand bon leur semblait.

Lors de leur dernière année d'école primaire, Namjoon était devenu de plus en plus secret. Son ventre et ses joues avaient fondu au même rythme que le temps passé à se confier à Taehyung et à lui raconter ses rêves. Le plus jeune avait bien vite découvert que les filles n'effrayaient plus autant le grand garçon. Il en avait développé une jalousie maladive et avait commencé à se montrer agressif envers les "grues" qui osaient être un peu trop intéressées par Namjoon. Cela avait été l'occasion de leur toute première dispute mais aussi de leur toute première réconciliation. Taehyung avait ainsi découvert que Grace avait petit à petit incarné "l'idéal féminin" pour son ami. Cet aveu avait reçu un "beurk" d'incompréhension.

Il y avait eu d'autres disputes au collège. À cause des filles. Soit qu'elles plaisaient à Namjoon mais ne s'intéressaient qu'à Taehyung, soit qu'elles étaient bien trop entreprenantes et trop bien accueillies par l'aîné.

Il y avait eu une autre dispute mémorable en toute dernière année avant le lycée : Namjoon, pour la première fois, avait demandé à son cadet de le couvrir pour se rendre à un rendez-vous plutôt qu'à son cours du soir. Taehyung avait accepté de mauvaise grâce. Mais lorsque la demande s'était reproduite et qu'il avait découvert que son ami était bel et bien amoureux et le délaissait, il avait piqué une colère mémorable.

—    Tae ! Pourquoi tu te compares toujours ? Pourquoi crois-tu me perdre ? On reste potes...

L'adolescent était resté obstinément muet à le regarder d'un air mauvais.

—   Parfois, même moi, je ne te comprends pas !

—   C'est ce que je te reproche !

—   ALORS PARLE-MOI, IDIOT !

—   J'aime pas cette fille ! J'aime pas les filles ! J'aime pas les filles qui te tournent autour !

—   T'aime pas non plus mes autres copains...

—   Non, non plus !

—   Merde, Tae ! Tu ne peux pas être possessif comme ça. Tu te rends malheureux. Tu me rends malheureux !

Le plus jeune avait fini par fondre en larmes et avait entraîné Namjoon avec lui. Ils s'étaient endormis, vidés, sur le lit du plus vieux. Plus tard, dans la nuit, Namjoon les avait entourés de la couette, Taehyung s'était alors blotti contre lui. C'était étrange, et nouveau. Agréable et terrifiant. Ils avaient fait semblant de dormir et avaient surveillé leurs souffles. Ce qui avait été un "accident" s'était reproduit à l'occasion de soirées passées "à réviser". Du moins, c'était le prétexte qu'ils invoquaient en fuyant le regard de leurs parents qui, eux, n'y voyaient que du feu.

Un jour, juste avant Noël et son anniversaire, Taehyung s'était présenté chez Namjoon avec des lunettes. Namjoon, lui qui ne rêvait que de pouvoir posséder des lentilles, car il se trouvait horrible avec ses "binocles", l'avait trouvé beau.

—   Ça te va comme un gant ! Tu fais plus vieux...

—   Je te plais ? avait soufflé Taehyung d'une voix tremblante.

—   Oui ! avait répondu Namjoon sans réfléchir, puis s'apercevant de ce qu'il venait d'avouer, avait commencé à bafouiller.

Taehyung avait fondu sur lui, avait noué les bras autour de son cou, avait fait claquer ses lunettes contre les siennes pour déposer un baiser plume sur les lèvres de son aîné sidéré. Il s'était alors enfui et l'avait évité des jours durant.

Ils ne pouvaient rester éloignés bien longtemps. Namjoon ne se souvenait plus comment ils étaient revenus l'un à l'autre. Mais cela s'était produit. Ils n'avaient jamais reparlé du baiser et avaient repris leurs habitudes : études intensives, escapades, disputes au sujet des copines de Namjoon, nuits partagées...

Namjoon ne pouvait jamais longtemps cacher quelque chose à Taehyung. D'abord, parce qu'il le connaissait comme sa poche. Ensuite, parce qu'il avait un regard inquisiteur que l'aîné trouvait un poil effrayant. Enfin, parce que Namjoon était incapable de garder un secret. C'est ainsi qu'entre deux exercices de chimie des particules, lors de leur dernière année de lycée, Namjoon avait balancé qu'il avait chipé la carte bleue de son père pour payer l'accès à des films.

—   Des films ? Pourquoi tu payerais pour... Non ! Si ?

—   Si... avait admis, penaud, Namjoon.

Et Taehyung avait toujours son caractère obstiné, à 18 ans comme à 8 ans. Namjoon avait cédé, comme il l'avait toujours fait. Alors que la maison était parfaitement endormie, il avait lancé un de ces films. La gêne avait laissé place à des regards interrogateurs. Les mains s'étaient frôlées "accidentellement" puis s'étaient égarées. Cette nuit-là, les garçons avaient échangé bien plus qu'un baiser plume.

Les jours qui suivirent, Taehyung avait surpris Namjoon plusieurs fois au détour des couloirs du lycée. Il l'entrainait pour l'embrasser dans le cou, ou sur le poignet, ou sur tout ce qui pouvait passer à sa portée. Namjoon ne le repoussait pas mais n'initiait rien de son côté. Il ne l'évitait pas non plus, mais ne l'invitait pas à venir réviser pour le suneung**, le soir, chez lui. De rage et de chagrin, Taehyung avait forcé les choses et s'était invité. Il trépignait devant la distance amicale que son ami lui imposait. Il fulminait. A quelques jours des examens, il avait perdu toute patience. De ses yeux féroces, il avait envoyé valser toutes les fiches de révision qui s'étalaient sur le lit et avait enjambé un Namjoon médusé et frissonnant de peur et de désir mélangés. Namjoon avait reçu son premier "Je t'aime".

Il avait reçu sans rien oser donner en échange.

La passion de Taehyung l'effrayait. Le regard des autres l'effrayait. Les autres l'effrayaient tout court. Ses sentiments et ses désirs l'effrayaient tout autant. 

Mais si Taehyung possédait l'éloquence des poètes, Namjoon en avait l'âme. Bientôt, il lui avait été insupportable de nier ses sentiments et de faire souffrir inutilement son ami. Il s'était mis à croire qu'ils étaient d'une génération qui changerait tout et que leur amour, si profondément ancré, les aiderait à tout supporter.

Du jour où Namjoon s'était persuadé de cela, son attitude avait changé. Il était devenu prévenant et chaleureux. Taehyung passa les examens comme sur un nuage.

Avant de se rendre à la fête célébrant la fin des épreuves, Namjoon l'avait surpris en lui offrant des fleurs dans lesquelles se cachait un minuscule « Je t'aime » sur une carte blanche.

Ils se souviennent encore de la fête oubliée, du bouquet froissé, des pétales pris dans leurs cheveux, de la première fois où ils avaient fait véritablement l'amour. Ils s'en souviennent vivement et cruellement.

Il y avait eu d'autres fêtes loupées joyeusement et fiévreusement.

Mais il y avait eu aussi cette fête... Taehyung voulait absolument y aller parce que le lieu était magique. Tant pis s'il y avait trop de gens pour une fois. Ils étaient arrivés en retard. L'effervescence les avait avalés comme les autres. Tard dans la nuit, au bord d'une piscine éclairée, un peu à l'écart de tous, Namjoon avait voulu embrasser Taehyung. C'est là qu'ils avaient surpris un couple un peu plus loin. La lune les éclairait faiblement et ils étaient magnifiques dans leurs habits de fête, les cheveux ébouriffés et les joues en feu.

Malheureusement, Taehyung et Namjoon n'avaient pas été les seuls à assister au baiser de Jimin et Yoongi. D'autres âmes moins poétiques, plus cruelles et infiniment stupides en avaient été témoins.

Le lendemain, alors qu'ils faisaient la queue pour aller au cinéma, Namjoon avait reçu un message d'Hoseok, un de ses amis, qui lui avait glacé le sang. La Terre avait arrêté sa rotation et sa révolution, la lune s'était éloignée, et les étoiles avaient cessé de briller. Tremblant, il avait appelé pour en savoir plus ; il espérait avoir mal lu. Taehyung, accroché à son bras, n'en avait pas perdu une miette.

Yoongi, après la fête, avait été pris dans un guet-apens. On l'avait battu. On l'avait défiguré. On l'avait laissé pour mort avec un papier griffonné à ses pieds. « Crevez tous, sales PD ! »

Namjoon avait quitté le cinéma tête baissée. Il voulait hurler sa rage, son dégoût, son dépit. Il n'y avait eu que des larmes acides. Taehyung avait essayé de le retenir.

Mais non ! Non, Taehyung ne finirait pas comme Yoongi. Il l'aimait trop pour ça ! Il devait devenir écrivain et père. Il devait pouvoir vivre et vieillir. Taehyung avait craché son désaccord, avait maudit la couardise de Namjoon et lui avait dit qu'il ne reniait pas seulement leur amour mais sa propre personne.

L'aîné, brisé, avait encaissé. Il avait accepté tous les mots éructés douloureusement par celui qui se débattait face à lui.

Il avait traîné son corps dans les rues avant de rentrer chez lui. Dans l'ascenseur, à ses pieds, une dizaine de feuilles de Moleskine froissées, déchirées, torturées, gisaient.

Namjoon les avait ramassées avant de passer la nuit à les rassembler.

*

Je suis en grade 3
Et il y a toi qui me fait exister pour la première fois.
J'ose enfin respirer le monde, montrer mes crocs, taper du poing.

Je suis collégien
Au monde qui ne se conquiert pas,
Je préfère l'univers que ton regard détient.
J'ai aspiré la nuit en dormant dans tes bras.

Je suis lycéen
Ma peau brûle,
Personne n'est plus transparent que moi pour toi.
Ma peau brûle,
Rien n'est plus ardent que moi en toi.
[...]

*

Namjoon oublie. Il oublie où il est et qui il est.

Quand Seok-jin repasse la porte et le voit liquéfié sur le divan sur lequel il ne s'assoit jamais ô grand jamais, il est certain que son collègue a déniché la perle rare. Il lui prend le manuscrit des mains et le feuillette rapidement avant de pousser un cri de satisfaction.

—   Mon vieux, t'as déniché le Dong-in* de la décennie ! Je dirais même un Nobel !

Namjoon le sait. Namjoon entend mais il n'est plus là. Il est en ce jour où l'emménagement s'est fait à l'envers : des regards qui ne se croisent pas, une porte qui reste fermée, des pleurs silencieux, un départ dans un silence fracassant.

Taehyung est Vante. Taehyung est écrivain. Taehyung est peut-être papa...
Et lui, lui n'est pas astronaute. Il ne regarde plus les étoiles, son télescope prend la poussière, son âme de poète s'est envolée. L'amour est mort.

Le chef est content, le contrat est signé, l'imprimeur s'active, les libraires s'extasient. Un nouveau Rimbaud est né !
Les semaines et les mois défilent et Namjoon se sent partir. Il se représente comme emprisonné dans une énorme boule de coton qui l'étouffe et étouffe les bruits du monde.

Namjoon n'a pas gagné au loto mais il a eu une belle augmentation et quinze jours de vacances aux frais de la société. Il visite Paris en zombie ; les merveilles sont toutes ternes et les vins insipides. Les portraits de Vante s'étalent sur les magazines des kiosques, dans les gares et l'aéroport.

—   Quelle idée d'avoir choisi un pays amoureux d'art, d'histoire et de littérature ! se sermonne-t-il vertement.

A son retour, Namjoon est presque propriétaire. Il vérifie les papiers une dernière fois avant la signature définitive le soir même. In-gee toque à la porte de son bureau et lui annonce que quelqu'un souhaite le voir. Personne ne vient le voir. Personne ne vient jamais voir les éplucheurs de manuscrits.

Un nez surmonté d'une grosse paire de lunettes en écailles dépasse de la porte. Leurs regards se croisent et Namjoon rougit furieusement.

Un homme en marinière, aux allures de garçonnet, passe le seuil. In-gee referme la porte sur eux. Il a un joli sac à main en cuir de chez Loewe. Namjoon ne le quitte pas des yeux car le motif l'interpelle mais aussi parce que cela lui donne quelques instants de répit.

—   Tu as vu, c'est Salamèche ! C'est toujours ton préféré ? fait une voix chaude qui lui avait manquée.
"Oui, toujours" pense Namjoon en levant enfin les yeux. Son cœur bat la chamade. Le temps n'est rien. Les sentiments refoulés reviennent au triple galop.

—   Hmmmhmmm... ne parvient-il qu'à dire alors qu'il s'écarte de son bureau pour tenter d'aller saluer de son mieux le visiteur inattendu.

—   J'ai un cadeau pour toi, fait ce dernier en sortant un petit portefeuille à l'effigie de Rondoudou. Prends.

Taehyung tend l'objet comme on fait une offrande. Mais ses yeux ne supplient pas. Ils imposent.

Et, Namjoon se remémore à une vitesse folle les moments partagés. Il entend de nouveau les rires des petits garçons qu'ils étaient. Puis leurs chuchotements, la nuit, lorsqu'ils faisaient mine de s'être endormis accidentellement dans le même lit. Et, enfin, les soupirs et les râles... mais aussi les pleurs et les dernières supplications.

—   Il ne fallait pas... je n'ai fait que mon travail, réponds Namjoon en fixant ses propres mains comme si cela pouvait les empêcher de trembler.

—   C'est tout ce que tu trouves à me dire ? Pas de "Toi, ici ?" ou de "Comment est-ce possible ? Tu m'as tant manqué !". Pas même un impersonnel  "Qu'est-ce que tu deviens ?" ! s'emporte le visiteur.

Évidemment que, toutes ces questions, Namjoon brûle de les poser. Et bien plus encore. Il n'a pas le temps de rassembler ses mots, de reprendre contenance, que Taehyung poursuit.

—   J'ai attendu. Je suis devenu ce que j'avais rêvé de devenir. Je suis parti pour mieux revenir. J'ai voulu te montrer à quel point je suis fort à présent, et que tu n'as rien à craindre des autres, que je ne suis pas cette chose fragile que tu voulais à tout prix protéger ! gronde-t-il.

Il froisse ses cheveux qui retombent sur son front d'une main nerveuse et souffle. Il fait quelques pas vers la porte. Namjoon sent son cœur s'arrêter brusquement ; il a peur de le voir partir. Mais l'écrivain se ravise, se retourne et poursuit.

— Le temps et la distance n'ont pas changé mes sentiments. Aussi dingue que cela puisse paraître ! Je voulais voir dans tes yeux qu'il en était de même pour toi. Que rien n'avait changé. Mais tu te tiens là, raide... sans émotion...

—   Je... c'était il y a si longtemps ! Je pensais que tu me détestais puis que tu m'avais oublié.

Namjoon se mord les lèvres et torture ses doigts. Les mots ne sortent pas comme ils le devraient. Il se dit qu'ils n'auraient pas dû parler tout de suite. Ils auraient juste pu se serrer la main et mesurer le degré d'intimité perdu auparavant.

—   Tu me comprends toujours aussi mal ! s'agace le jeune homme.

—   Tu es parti sans me dire au revoir... se surprend à gémir Namjoon.

Ses épaules se ramassent. Il a l'impression que ses jambes ne le soutiendront plus longtemps. Lui, le plus âgé, le plus grand, le plus costaud des deux, voudrait que Taehyung rompe la distance et le prenne dans ses bras. Il aimerait qu'il fasse de nouveau claquer ses lunettes contre les siennes pour revenir à leur tout premier baiser.

—   Tu ne m'as pas retenu ! souffle le jeune homme en marinière. Ses yeux, plus tôt si fiers, se brouillent maintenant de larmes.

—   Je voulais juste te protéger, murmure Namjoon en avançant enfin vers Taehyung.

—   Oublie ça ! Tu n'es pas devenu astronaute et dans tes yeux, je vois que tu ne t'autorises même plus à rêver. Alors, je viens te chercher ! Enfile ta combinaison et teste la centrifugeuse de la vie avec moi. Poursuivons ce que nous avons à peine commencé !

L'écrivain comble la distance en tendant les bras. Il n'y a rien de raisonnable dans ce que Namjoon s'apprête à faire. Dans les mauvais manuscrits qu'il lit, il noterait en rouge, souligné trois fois, que ce n'est pas crédible. Il n'y a qu'un pas entre un très mauvais roman et une merveille. Et il décide de le faire.

La Terre reprend soudainement sa rotation et sa révolution, la lune retourne à sa place dans le firmament, et les étoiles brillent de nouveau.

Namjoon a peur des gens mais il est heureux. Il est un, et il est deux. Enfin.



* prix littéraire coréen
** examen de fin de lycée permettant l'accès aux études supérieures
*** établissement privé dans lequel les élèves peuvent se rendre dès l'école élémentaire, après la classe, pour recevoir non seulement des cours de soutien, mais également pour prendre de l'avance sur les programmes scolaires.

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