Matthew s'apprête à répliquer, mais il referme la bouche et me considère sans un mot. Le cœur battant la chamade, je vois vibrer toute une palette d'émotions à l'intérieur de ses prunelles. Parmi elles, l'amusement, la tendresse, mais aussi l'inquiétude. Peu à peu je me laisse emporter dans ce tourbillon, tandis qu'une part de moi se dit que nos yeux se rencontrent un peu trop souvent ces derniers temps ...

Mais le bruit d'une porte qui claque interrompt ma rêverie et me fait sursauter. Je pivote en même temps que Matthew vers l'entrée de la chambre. La silhouette du docteur Georges Forster, un petit homme chauve, se détache dans l'encadrement de la porte et me glace les sangs. Son regard torve oscille entre Matthew et moi, puis son visage se fend d'un large sourire.

- Bonjour. Je passais pour vérifier quelque chose mais à ce que je vois tout de suite, j'ai déjà ma réponse ...

Je me recule vivement de Matthew, le visage enflammé. Du coin de l'oeil, je vois le chanteur se crisper.

- Bonjour docteur Forster, fais-je d'un ton que j'espère avenant.

- Ne jouez pas à ça avec moi, m'interrompt le docteur en pénétrant dans la pièce. Ca marche peut-être avec Edward mais pas avec moi, je vois clair dans votre jeu.

- C-Comment ? Je me fige, stupéfaite.

- Vous jouez de vos charmes avec lui pour l'attendrir et il vous passe tout, votre inexpérience, vos erreurs de jugement, vos faiblesses ... Vous pensiez que vous alliez vous en tirer éternellement ainsi ? Mais je vais pouvoir mettre votre chef devant les faits ...

- Mais qu'insinuez-vous par là ? Je rétorque sèchement.

- Vous croyez que je suis aveugle ? Vous déambulez au sein de 'mon' service matin et soir pour voir votre patient ... ou plutôt pour lui conter fleurette !

- Mais qu'est-ce que vous racontez ?!

- Ne démentez pas. Pour tout dire, quand je vous ai vu arriver tout à l'heure, je pensais que votre consultation avec lui était prévue ce matin et je comptais y participer pour juger le protocole thérapeutique vous aviez mis en place. Mais votre air béat en sa présence est éloquent ! Les rumeurs disaient vraies, vous n'honorez pas que des rendez-vous professionnels avec votre patient ...

Je le regarde, bouche bée.

- Ne jouez pas la surprise, tout le service en parle depuis une semaine ... Ajoute Georges Forster sévèrement.

- Ces rumeurs ne sont qu'un tissu de mensonges ! Constesté-je.

- Nous savons tous qu'aucune rumeur ne l'est totalement, voyons.

- Ca, c'est bien vrai ... Intervient Matthew placidement.

- Matthew ! Je m'exclame, effarée, en me tournant vers lui.

Le chanteur me dévisage avec un sourire en coin. Mais avant que je puisse répliquer, il reprend à l'intention du docteur Forster.

- Mais si les rumeurs contiennent souvent un fond de vérité, elles sont en revanche toujours déformées. Et en ce qui concerne celle dont vous parlez, il y a une nuance à apporter.

- Tiens donc ... Laquelle ? Fait l'homme, soupçonneux.

- Ce n'est pas le docteur Berthelet qui a une idée derrière la tête, c'est moi. Et ce n'est pas elle qui me drague, mais moi. Et je précise qu'elle ne me rend pas la tâche facile, elle a rejeté toutes mes avances jusqu'ici. Donc si vous avez des reproches à adresser, c'est à moi qu'il faut le faire, pas à elle. Seulement il faut me pardonner, parce que je ne suis qu'une rockstar ... Et puis je n'ai plus toute ma raison, d'où ma présence dans cet hôpital d'ailleurs.

- Vous dites ça pour la couvrir !

- Réfléchissez bien docteur. Entre le chanteur de rock célèbre qui mène une vie débridée et la personne sérieuse à la vie bien rangée qu'est le docteur Berthelet, qui pourrait avoir envie de passer du bon temps avec l'autre ? Blague à part, je pensais que vous êtiez plus fin que ça. Ma présence ici allait forcément faire naître toutes sortes de ragots, mais de là à les tenir pour vrais ... Sachez que des rumeurs sur mon compte, il en fleurit tous les jours, et elles reposent souvent sur peu de choses ! Les gens aiment bien inventer ce genre d'histoires.

Je baisse les yeux, à la fois amusée et embarrassée par la prise de position de Matthew. Le docteur Forster fulmine quant à lui mais ne répond rien. Il croise les bras et nous toise d'un air suspicieux.

- Je reste ici. Lâche-t-il enfin, en me jetant un regard noir. Je tiens à voir comment se déroule vos entretiens avec Monsieur Bellamy.

- Non ! Proteste Matthew, perdant son sang-froid tout à coup. Vous ne restez pas, je ne veux pas !

- Je suis le directeur du service qui vous hospitalise.

- Ca ne change rien, je ne veux pas de vous ici !

- Matthew s'il vous plaît, répliqué-je. En tant que médecin et chef de ce service, il a le droit de superviser une consultation avec l'un de ses patients ...

Je lance un regard insistant au chanteur. J'aimerais lui faire comprendre que nous n'avons guère le choix si nous ne voulons pas que mon collègue nourrisse plus de soupçons, et ne finisse par lever le voile sur notre enquête. Cependant, je redoute comme lui cette requête de sa part. Je sais qu'il cherche à rassembler toutes les preuves de mon incompétence pour les mettre sous le nez d'Edward et m'ôter le suivi du dossier de Matthew.

Et il a toutes les chances d'y parvenir, car pour l'instant je n'ai guère avancé dans le déroulement la thérapie, trop occupée à enquêter avec mon patient sur les mystères qui planent au-dessus de l'établissement.