XXXIX-AMIE ET CONFIDENTE
J'appuie sur le numéro de l'étage puis fixe songeusement les portes coulissantes qui se ferment sur moi. L'ascenseur démarre dans un soubresaut et me conduit dans un ronronnement sourd jusqu'au premier étage de la maternité du Portland Hospital. Natacha m'avait vanté le sérieux de la clinique londonienne lorsqu'elle s'y était inscrite au début de sa grossesse, et l'état des lieux corrobore son opinion. Le bâtiment est ultra-moderne, et l'intérieur est lumineux et impeccablement entretenu, comme on pourrait l'attendre d'une maternité. Un contraste saisissant avec l'établissement à l'aspect défraichi et austère dans lequel je travaille. Mes lèvres s'étirent en un pli amer. Il est désolant de constater à quel point l'humain agit par association d'idées lorsqu'il abrite ses semblables. Une clinique pimpante pour accueillir avec joie la maternité d'un côté, un hôpital sinistre et antédiluvien pour concentrer les populations 'indésirables' de psychotiques de l'autre ...
Je sors de la cage d'ascenseur et me dirige vers le numéro de la chambre que Natacha m'a indiqué par téléphone un peu plus tôt. Elle a accouché la nuit dernière de son garçon et je suis toute excitée par la nouvelle. Il me tarde de voir le nourrisson et d'embrasser la maman. A peine ma journée de travail terminée, j'ai donc décidé d'aller lui rendre visite sur un coup de tête. Après les divers rebondissements de ces derniers jours, j'avais grand besoin de me requinquer au contact de la jeune femme et sa bonne humeur communicative.
Je toque brièvement à la porte puis pénètre doucement dans la chambre et découvre la jeune maman tout sourire, penchée au-dessus d'un berceau au milieu de la pièce. Elle lève à peine la tête pour me saluer avec un sourire gracieux puis plonge à nouveau dans sa contemplation béate. Je m'approche doucement et jette à mon tour un regard par dessus son épaule.
- Oh, Natacha ... Je murmure, émue. Il est tellement petit ...
Le nourrisson dort à poings fermés, sa tête tournée sur le côté. Je reste immobile un long moment aux côtés de mon amie, en admiration devant le petit être endormi. Deux petites virgules en guise de jambes, des joues rebondies à croquer, sa menotte minuscule recroquevillée sur le tissu d'un lange, le mouvement paisible de son abdomen qui oscille au rythme de sa respiration ... Le spectacle est d'une touchante fragilité et met mon cœur en émoi.
- Il est beau mon petit Liam, n'est-ce pas ? Chuchote Natacha avec une pointe de fierté dans la voix.
- Il est adorable. J'acquiesce avec un sourire.
Après s'être absorbées longuement dans la contemplation du nouveau-né, ponctuée d'échanges truculents sur les joies et douleurs de l'enfantement, je suis regaillardie. En dépit de son récent accouchement, Natacha est toujours un soleil bouillonnant d'ondes positives et son contact me revigore.
- Tu es radieuse, la complimenté-je. La maternité te va bien.
- Oh merci, ma Zozo ! C'est vrai que je me sens vraiment bien, heureuse ... Les sages-femmes me conseillent d'en profiter, d'ailleurs. Elles prétendent que le baby blues pointe souvent son nez juste après l'euphorie des premiers instants. Elle a un petit rire, puis reprend d'un ton cinglant. Quels oiseaux de mauvais augure, celles-là !
- Connaissant ton caractère, je suis certaine que tu vas très bien t'en sortir. Et Thomas, comment va-t-il ?
- Si tu le voyais, c'est un vrai papa-gâteau. Il va arriver un peu plus tard d'ailleurs, il s'est absenté un moment pour se changer à la maison et faire quelques courses.
- Je suis tellement heureuse pour vous deux ... Fais-je, émue.
Natacha me décoche un sourire ravi. Je le lui rend, étouffant du mieux que je peux le vague à l'âme subit qui m'étreint. L'allégresse de mon amie me réchauffe le cœur, mais elle me ramène aussi à mes propres tourments. Je songe malgré moi à David, à la famille que je pourrais fonder avec lui à l'image de Natacha avec Thomas. A ce bonheur qui me tend les bras. Quelques mois plus tôt, j'aurais ressenti une joie intense à cette idée, peut-être même l'impulsion pour tenter l'aventure à mon tour avec mon amoureux ... Mais aujourd'hui, tout est différent, et c'est un sentiment de malaise oppressant qui se substitue à cette douce ivresse.
- Dis-donc, ce n'est pas toi qui viens d'accoucher, il me semble ... Lâche Natacha d'un ton taquin. Alors pourquoi cette mine mélancolique soudainement ?
- Oh ... Heu ! Je bredouille en me redressant brusquement. Quelle mine, que veux-tu dire ?
- Je ne sais pas, je t'ai vu te rembrunir tout d'un coup.
- Tout va bien, je t'assure. Je réponds d'un ton un peu trop hésitant pour paraître sincère.
- Tu sais que tu peux tout me dire, Zoey. Je suis sur un nuage, d'accord, mais je peux encore entendre les problèmes de mon amie.
Natacha incline la tête de côté et me considère d'un regard soucieux. La gorge nouée, j'hésite cependant à me confier. Je ne veux pas gâcher les instants magiques qu'elle vit avec mes propres soucis ...
- Zoey, insiste Natacha. Je vois que quelque chose ne va pas. Il me semble que tu es dans cet état depuis un certain temps d'ailleurs, tu n'es plus la même, je l'ai perçu rien qu'au téléphone. Dis-moi ce qui te chagrine.
Mon sourire se fige et la commissure de mes lèvres se met à trembler nerveusement.
- Ca ne va pas très fort en effet ... Finis-je par lâcher.
- C'est David ?
- ... Non !
- Tu as hésité Zoey, Réplique la jeune femme d'un air entendu. Un quart de seconde seulement, mais je l'ai perçu quand même. Alors qu'est-ce qui cloche avec lui ?
- Rien je t'assure ! J'hésite un instant, puis ajoute. Enfin, on s'est peut-être disputé un peu plus souvent que d'habitude, dernièrement.
- Ah oui ? Pourquoi ?
- Il me reproche de trop travailler en ce moment.
- Et c'est vrai ? Si c'est le cas et que ça perturbe ton couple, il faut en parler à Edward !
Je dévisage Natacha d'un air las. La situation est tellement plus compliquée qu'elle ne l'imagine. Mais comment lui dire la vérité ?
- J- Je ne crois pas que ... Je m'interromps un instant, ne trouvant pas les mots. Puis m'affaissant sur moi-même, je souffle. Mon Dieu, je ne sais plus quoi faire, Natacha.
Mon amie fronce les sourcils et me considère attentivement.
- Wow. Toi, tu as quelque chose de grave à m'annoncer.
- Je ... Oui. Des événements se sont produit ces dernières semaines, et je suis perdue. Aujourd'hui, j'ai peur de décevoir tout le monde. Et de perdre mon emploi, et la vie que j'ai construite avec David ... Tout.
- A ce point ! ... Dis moi, tu as rencontré quelqu'un ?
Je ne réponds pas. Mais ma mine doit être éloquente car Natacha déduit aussitôt :
- Donc tu as rencontré quelqu'un. Tu as parlé de perdre ton boulot ... C'est un homme qui travaille chez nous ?
- Non, non ... Fais-je évasivement. Puis gênée, j'embraye sur un autre aspect. Ecoute Natacha, je crois que j'ai fait une grosse bêtise et je ne sais plus comment m'en sortir. Je suis en train de dissimuler des détails importants concernant un patient à mon chef ...
- Woaw ! De quoi s'agit-il ? Quel patient ?
Je cherche encore ma réponse, quand les yeux qui me fixent s'illuminent tout à coup.
- C'est Matthew, le chanteur de Muse ? Vu comme tu en parles, ça ne peut être que lui ...
J'adresse un sourire dépité à Natacha. Face à mon aveu silencieux, la jeune femme est prise d'une effervescence et je la vois se pencher vers moi, avant de reprendre d'un ton où perce une grande excitation :
- Zoey, je veux que tu m'expliques tout ! Qu'est-ce que mon amie si sérieuse et raisonnable a bien pu faire pour les beaux yeux de Matthew Bellamy, et qui la perturbe tant ?
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