XXXIV-PERTE DE CONTROLE
Je parcours en long et en large le couloir sans pouvoir m'arrêter. Je suis dans tous mes états. Depuis dix bonnes minutes, je me repasse le film du retour de David dans notre appartement, et j'imagine le choc qu'il s'apprête à subir en découvrant notre chambre vide. Il va sûrement être rongé d'inquiétude durant toute la nuit et lorsqu'il découvrira enfin la vérité, il sera terriblement déçu. A cette idée, je pleure de plus belle.
Je n'ai aucun moyen de le contacter pour le rassurer, ni lui ni personne d'autre d'ailleurs. Avant le départ pour notre expédition en début de soirée, j'avais pris la précaution de ranger mon téléphone portable dans la petite poche-avant du sac à dos, et désormais il a disparu avec le sac. Nous sommes donc contraints de patienter dans ces couloirs lugubres jusqu'à ce que quelqu'un descende pour nous ouvrir ... Ce qui ne se produira vraisemblablement pas avant le petit matin, lorsque l'équipe de jour viendra récupérer le linge propre et sec.
- Zoey, je vous en prie ... Fait Matthew d'un ton penaud. Assis contre la cloison un peu plus loin, il m'observe d'un air inquiet depuis un bon moment, sans oser intervenir. Cessez de tourner comme ça, vous allez vous faire du -
- Vous, taisez-vous ! Je claironne en faisant volte-face dans sa direction.
Il n'en fallait pas plus pour me faire exploser, et maintenant je déverse toute ma fureur sur lui.
- Tout ça, c'est entièrement votre faute ! Sans votre stupide propension à prendre tout être vivant pour un comploteur, nous n'en serions pas là en ce moment ! Je m'étrangle, au bord de la crise de nerf. Vous ... Vous êtes aussi dérangé que ce meurtrier de Richard Dadd !
Matthew me considère un instant, médusé. Un silence glacial s'installe entre nous tandis que nous nous défions du regard. Puis il se détourne et se réfugie derrière un masque hermétique, fixant le sol devant lui sans un mot de plus.
Je regrette aussitôt la violence de mes paroles. La détresse m'a fait dire des choses atroces. En effet, même s'il est en partie responsable de ce qui nous arrive, lui balancer des propos aussi blessants est totalement injuste, en plus d'être inutile. Je me sens misérable de lui faire autant de mal. Et pour être honnête, je suis aussi coupable que lui de notre mésaventure, si ce n'est plus. Etant la psychiatre saine d'esprit, c'était à moi de prévoir et empêcher le désastre.
En dépit de cette prise de conscience, je garde le silence et m'obstine à tourner en rond. Je ne parviens pas à lâcher des excuses, encore bien trop affectée par la tournure des événements.
- Pardon Zoey.
Je m'immobilise et relève le tête, surprise. Les deux mots sont sortis sans que je m'y attende. Je pivote face au chanteur. Le masque d'indifférence glacée a disparu et il me considère d'un air sincèrement navré, désormais.
- Vous ne voulez sans doute pas l'entendre, mais je tenais à vous le dire quand même. Renchérit-il avec une moue déconfite. Je suis tellement désolé de vous avoir infligé tout ça. Vous avez raison, tout est de ma faute, j'ai été égoïste et vous ai entrainé dans une opération bien trop risquée.
- Matthew ... Je murmure, le cœur serré.
- Non, laissez-moi finir. Je veux aussi vous faire mes excuses pour m'être montré si odieux ces deux derniers mois, alors que vous me tendiez la main. Et en particulier en ce qui concerne votre ... vie privée. Je réalise combien j'ai dû vous heurter et vous ne méritiez pas ça.
- Non Matthew, ne vous condamnez pas aussi sévèrement ! Vous cherchiez seulement à vous protéger ... Je sais que vous souffrez terriblement à l'intérieur. Vous êtes trop fier pour l'admettre, mais je le vois bien.
- Vous me prêtez de belles intentions, mais je crains que la réalité ne soit moins glorieuse. Je crois que j'enviais la vie sereine et épanouie sentimentalement dont vous jouissez et que je n'ai plus ... Enfin, si j'en ai jamais eu une, à vrai dire. Il part d'un petit rire amer, puis poursuit. Peut-être avez-vous raison, et n'ai-je jamais eu de fiancée qui m'aimait. Peut-être me suis-je inventé tout ça parce que quelque chose ne tourne pas rond chez moi ... Pourtant, c'est étrange. Même si cette vie n'est qu'un rêve, j'ai quand même cette sensation de manque. Notre amour me manque ...
Les épaules du chanteur s'affaissent et je le vois se recroqueviller sur lui-même contre le mur.
- Carla vous manque ? Fais-je doucement.
- Oui. Souffle-t-il, terrassé par le chagrin. Les souvenirs sont intacts. Je l'aimais et j'aimais l'enfant qu'elle portait. Alors réaliser que tout ça n'est que le fruit de mon imagination ... C'est tellement ... pathétique.
Il prononce le dernier mot rageusement, puis se tait.
Je me mords la lèvre en le dévisageant. Deux sentiments mettent mon cœur en lambeaux. Ses aveux me déchirent et je suis empreinte d'une profonde tristesse pour lui. Mais celle-ci est vite évincée par une haine farouche qui me dévore. Une haine envers Carla, l'inconnue qui a su ravir son cœur et qui n'est même pas là pour le soutenir dans les épreuves qu'il traverse ...
La honte m'envahit aussitôt. C'est ridicule, je deviens folle à mon tour, comment puis-je avoir de telles pensées ? Il y a deux minutes à peine, je m'inquiétais de la réaction de mon petit ami ... Puis-je l'avoir oublié si vite ? En outre, comment puis-je être jalouse d'une relation qui n'est qu'une hallucination dans l'esprit d'un homme ...
- Je ne voulais pas vous rendre triste.
Je lève les yeux, interdite. Matthew me dévisage avec un petit sourire las.
- Moi qui espérais vous remonter le moral avec mes excuses ... Vous êtes adorable Zoey, toujours le cœur sur la main. Vous vous faites du souci pour moi alors que je ne le mérite pas.
- Ce doit être mon côté scout ... Fais-je avec un semblant de sourire, cherchant à dissiper le malaise qui m'étreint.
S'il savait à quoi je songe ... Il me chante des louanges alors que je viens tout juste de vouer aux enfers celle qu'il aime. Inconscient de mes tiraillements, le chanteur éclate de rire. Cette soudaine manifestation de gaieté me réconforte et mes lèvres s'étirent de plus belle.
- Allons, cessez d'arpenter ce couloir et asseyez-vous à côté de moi. Fait-il en tapotant le sol près de lui. Puisque vous êtes condamnée à passer la nuit avec moi, autant en profiter pour papoter un peu.
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